Trump for President : des turbulences monétaires ?
Dans l’hypothèse d’une élection de Donald Trump à la présidence américaine, l’économie mondiale entrerait dans des territoires non cartographiés. Cette même économie a déjà pénétré dans des zones de déséquilibres que caractérise l’immensité des dettes publiques, financées à bout de bras par de complaisantes banques centrales qui en sont devenus les comptoirs d’escompte à taux d’intérêt nul ou négatif. Mais l’élection de Donald Trump pourrait accentuer ces déséquilibres car sa politique annoncée est volontairement protectionniste. Il s’agit, selon le candidat, d’atténuer la vulnérabilité des entreprises américaines à la concurrence internationale en limitant les importations de pays à bas salaires qui, selon lui, ne respectent pas les termes de l’échange. C’est ainsi que Donald Trump veut renégocier le NAFTA, ce traité commercial qui lie, depuis 1994, les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, tout en imposant des barrières tarifaires et douanières aux importations chinoises, suspectées de détruire sournoisement les soubassements de l’économie américaine. François Mitterrand avait donc vu clair lorsqu’il postula, au terme de sa vie, que la polarité du monde serait fracturée par une « guerre à mort, sans morts » entre les Etats-Unis et la Chine.
Mais que penser du protectionnisme, s’il est mis en œuvre, au détriment d’un siècle de libre-échangisme américain promu par le Président Woodrow Wilson (1856-1924)? Il est possible qu’à court terme, certains emplois domestiques en bénéficient. Mais ses conséquences à long terme sont connues : maintien d’entreprises moins performantes car elles bénéficient d’une étanchéité par rapport à la concurrence étrangère, baisse des flux de commerce au détriment de tous les protagonistes et atténuation de la croissance réelle. Le niveau des échanges est incidemment l’expression de la « main invisible » d’Adam Smith : le commerce contribue à un enrichissement collectif qui conduit à ce que l’addition du gain de l’un à la perte de l’autre se solde positivement.
Dans l’hypothèse d’un raidissement tarifaire américain, il est vraisemblable que la Chine réagisse en rompant le couloir de variation qui lie le Yuan et le dollar. On pourrait imaginer une brusque dévaluation chinoise destinée à stimuler les exportations de ce pays. Ce ne serait, du reste, que l’accentuation d’une tendance dévaluationniste entamée depuis deux ans. Ce mouvement monétaire en induirait d’autres et pourrait culminer dans une guerre des monnaies, c’est-à-dire une rafale de dévaluations compétitives.
Comment un tel scenario pourrait-il se produire ? C’est peu clair car les taux d’intérêt se situent à des niveaux historiquement faibles. Mais, en même temps, le réescompte de dettes publiques, couplé à des politiques de déficits budgétaires, pourrait contribuer à des affaiblissements monétaires. Bien sûr, un tel scénario s’accompagne d’un renchérissement du prix des importations et donc d’une inflation importée qui, normalement, induit des réajustements monétaires qui mettent fin aux désordres qui leur ont donné naissance. Il n’empêche : un désordre monétaire peut être long à apaiser, ainsi que les années septante, caractérisées par le sabordage des accords de Bretton Woods par les Américains, le 15 août 1971, et des chocs pétroliers en séquence l’ont démontré. Cette décennie maudite s’acheva dans un chaos financier sans précédent en temps de paix, assortit d’une inflation eschatologique, de dévaluations en cascade, d’un embrasement des dettes publiques, etc. On inventa même un terme pour qualifier cette situation singulière : la stagflation, c’est-à-dire une combinaison de stagnation économique, affectée d’un chômage persistant. Un 15 août 1971 chinois est-il possible ? Peut-être.
Quels seraient les attributs de cette empreinte de stagflation? Outre les aspects de solvabilité étatique, ils sont les mêmes que le constat des années septante : un taux de croissance faible de l’économie, combiné à une décroissance marginale des gains de productivité, un chômage structurel et élevé (caractéristique des dislocations structurelles de l’économie), une sous-utilisation des capacités de production, des dépenses d’investissement faibles à modérées, des déficits publics importants ainsi qu’une raréfaction du crédit bancaire pour des investissements privés, etc.
Ce scénario est-il plausible ? Ce n’est pas exclu, encore que le seul élément qui puisse le contraindre soit l’impossibilité pour les Etats de supporter des taux d’intérêt plus élevés sur leur endettement. Mais là aussi, on pourrait concevoir que les taux d’intérêt réels, c’est-à-dire après avoir défalqué l’inflation, deviennent encore plus négatifs qu’aujourd’hui.
En conclusion de cette courte note, il faut se rappeler que la crédibilité d’un programme électoral n’engage que ceux qui y croient. Mais le populisme a un prix : sa propre fuite en avant. Il faut espérer que le monde financier reste placide et sage, dans un contexte d’échanges harmonieux.