Bruno Colmant
L’Italie a donc voté contre un projet de réforme constitutionnelle, qui s’apparentait à une expression plébiscitaire espérée par le Premier Ministre. Quelle est la nature de ce refus ? Elle relève de la même trame que tous les référenda, quels que soient leur objet, à savoir l’expression de l’adhésion à une configuration politique. Lors d’un référendum, on ne répond donc pas à la question posée mais à l’adhésion à la configuration politique qui dirige un pays. On donne donc souvent la mauvaise réponse à une question plébiscitaire. Du reste, le Premier Ministre italien avait lié son sort au résultat de ce référendum, ce qui le transformait de facto en plébiscite.
Cela étant, cet échec est une fissure supplémentaire portée à l’unicité du projet européen. Depuis les dernières élections européennes, le courant eurosceptique se renforce et des forces centrifuges commencent à se déployer. Si L’Allemagne garde sa stabilité institutionnelle, la France fait face à des échéances électorales au débouché hasardeux, l’Espagne est dirigée par un gouvernement minoritaire tandis que l’Italie vacille. D’autres pays sont aussi en questionnement : il s’agit, par exemple, des Pays-Bas et de l’Autriche, sans parler du Brexit. L’élection autrichienne constitue, quant à elle, un refus d’un certain populisme.
Quelle est la trame commune de ces expressions populaires ? Soyons tout d’abord attentifs à ne pas juger une expression démocratique. Si des peuples réfutent leurs dirigeants, il n’incombe pas à ces derniers de plaider l’ignorance de ceux qui les ont précédemment élus. Il y a un refus et des peurs et si la rue n’a pas toujours raison, on n’a pas raison contre la rue. La fatigue de la crise, la peur du futur, le sentiment de perte d’identité et l’euro jouent des rôles essentiels. En effet, de nombreux partis populistes remettent en question la politique d’austérité associée à l’euro et la perte de souveraineté monétaire. Certains, comme le mouvement italien cinq étoiles, expriment même une préférence pour l’annulation de la dette publique.
L’orientation budgétaire de zone euro est à risque
Derrière le vote italien, c’est donc l’orientation budgétaire de la zone euro qui est aussi à risque. Car, à mes yeux, une question reste en suspens : l’euro ne contribue-t-il pas à effriter l’Europe ? Le prix Nobel d’économie Milton Friedman avait prédit en 1997 que l’absence d’unité politique serait exacerbée par la création de la monnaie unique. Il n’avait probablement (et tristement) peut-être pas tort. En effet, la monnaie n’est plus, aujourd’hui, portée par un élan politique commun. Sans volonté affirmée et sans politique monétaire reflétant une politique économique modulaire, le signal de l’histoire pourrait être la lente érosion d’une confiance en un projet européen qu’une monnaie seule ne peut assurer.
En résumé, de nombreux citoyens européens ressentent un profond malaise par rapport à cette technocratie tutélaire que sont devenues les institutions européennes, cette « Olympe technocratique » Le vote italien n’est probablement qu’une des nombreuses expressions d’amertume, de nature essentiellement domestique, qui découle de la crise de 2008. Dès sa survenance, il est apparu que c’était un choc de croissance et un questionnement sociétal. Il nous confronta à de nombreux défis, dont l’absence de soubassements institutionnels satisfaisants à l’euro et le manque d’harmonie quant à la gestion de cette crise devenue internationale.
Contrairement à d’autres continents, l’Europe fit fausse route, s’engageant dans une politique de contraction budgétaire et de monnaie forte qui devait évidemment conduire à la déflation que nous observons actuellement. Mais pourquoi l’Europe n’a-t-elle pas répondu de manière adéquate à cette crise économique, à l’instar de ce qui est constaté dans d’autres domaines comme la gestion des flux migratoires et les contraintes environnementales ?
Peut-être parce que, de manière résignée, l’Europe n’est qu’une expression institutionnelle fugace qui ne respecte pas suffisamment, à l’aune de l’histoire, des cultures et religions, les particularismes nationaux et le facteur social. Ce facteur social a servi de variable d’ajustement à la monnaie unique, dont la force s’est immédiatement traduite par la faiblesse de l’emploi dans les pays les plus vulnérables de la zone euro.
Entraînée par des forces centrifuges, l’Europe ne se désintègre-t-elle pas avec la dilution des souvenirs de la seconde Guerre mondiale ? Je l’espère, mais l’image de l’Europe ramène trop souvent à une technocratie insaisissable. L’Europe est d’ailleurs perçue comme une juxtaposition fragile d’intérêts et une administration plutôt qu’un projet. Il en est de même pour l’euro, dont les fondations socioéconomiques sont absentes. Là aussi, on a cru que la couleur de l’alliage entraînerait la fusion de ses composants. A tort.
Au-delà des sentencieuses paroles et autres pétitions de principes, il importe que les leaders européens s’unissent. Il faut marteler que l’union des peuples est la voie unique pour s’extraire d’un accablement moral. Jean-Claude Junker avait dit être le Président de la Commission de la dernière chance. Il faut la saisir, mais je crois, ou plutôt je crains, que sans sursaut moral, cette Europe nouvelle sera proche de l’image qu’en avait Charles de Gaulle, à savoir une coopération d’Etats-nations qui conservent leur souveraineté nationale. C’est d’ailleurs cela qui constitue le défi européen : repenser l’Europe dans le cadre d’une union plutôt qu’une fédération.
L’auteur, Bruno Colmant est Head of Macro Research chez Degroof Petercam à Bruxelles.
Europe : il faut un sursaut moral
13 décembre 2016