Bruno Colmant
Le contexte économique des prochaines années est peu réjouissant. Affaiblie par le vieillissement de la population et la baisse des gains de productivité, le taux de croissance restera très faible. Il sera probablement inférieur au taux d’élévation des dettes publiques, qui sont alimentées par des politiques de relance et le coût, encore occulté, du financement des pensions. Ces dettes publiques sont temporairement allégées par la création monétaire : la Banque Centrale Européenne (BCE) procède à un immense refinancement de ces dettes publiques. Au terme prévisible de son intervention, la BCE aura refinancé 20 % de la dette publique de la zone euro.
Cette création monétaire souligne la précarité et l’intangibilité du phénomène monétaire, puisque cette institution remplace un symbole portant sur la stabilité de l’ordre politique, à savoir la dette publique, par un autre symbole d’essence étatico-sociale, à savoir la monnaie.
En effet, la dette publique est un postulat portant sur la coercition fiscale qui sera exercée sur les futures générations tandis qu’une des fonctions de la monnaie, à savoir sa thésaurisation, est fondée sur la stabilité des rapports d’échange et de sa reconnaissance étatique. On remplace un futur par un autre. On remplace un symbole par un autre, c’est-à-dire rien contre le néant. Que se passera-t-il si la croissance ou l’inflation ne permettent pas de stabiliser ces dettes publiques ? C’est une question politique qui est fondée sur le rapport de force entre les facteurs de production, le travail et le capital (qui est lui-même du travail passé accumulé). Si le travail était exclusivement privilégié, cela conduirait à l’effacement des dettes publiques. Si le travail était subordonné au capital, cela conduirait à une tutelle étatique forte assise sur des exigences fiscales suffocantes.
La réalité se situera bien sûr entre ces deux orientations extrêmes. Nous constaterons une répression financière à laquelle personne n’échappera. L’étalon monétaire ne sera pas disqualifié, mais les dettes publiques seront financées à un taux d’intérêt artificiellement bas par une canalisation autoritaire de l’épargne privée. Nous assisterons donc à une mobilité réduite de l’épargne, à des frictions fiscales et, pourquoi pas, un jour, à une transformation régalienne d’une partie de l’épargne en prêts forcés à l’Etat ? Les réserves d’assurance-vie seront évidemment mises à contribution, au travers de dispositions fiscales confiscatoires qui captureront les réserves d’assurances afin de financer l’Etat. L’exemple fourmille de précédents. En Belgique, il suffit de penser à l’opération Gutt de 1944.
Et finalement, une chose a changé depuis 2008. Nous comprenons que l’endettement public n’est pas une source de richesses. Au contraire, les économistes Carmen Reinhart et Ken Rogoff, co-auteurs du remarquable ouvrage « This Time Is Different: Eight Centuries of Financial Folly », ont montré de manière empirique qu’au-delà de 90% du PIB, la dette d’un pays affecte ses perspectives de croissance de manière significative. La solidité financière d’un État est fondée par la capacité contributive (c’est-à-dire la faculté de payer des impôts) des citoyens. En d’autres termes, la dette est une avance sur un prélèvement fiscal.
Si les observations de Carmen Reinhart et de Ken Rogoff sont transposables dans le temps, alors les pays occidentaux ont créé leur propre suffocation de croissance puisque la dette publique dépasse en moyenne 100 % du PIB pour les pays de la zone euro.
Le pouvoir explicatif de l’observation de Carmen Reinhart et de Ken Rogoff ne fait cependant pas l’unanimité. Selon Jacques Attali, le déclenchement d’une crise de la dette publique dépend plus de la perte de confiance subjective des marchés que du dépassement de certains ratios standardisés. Il n’existe donc pas de niveau absolu de supportabilité de la dette publique. Par contre, Jacques Attali avance que presque tous les pays endettés finissent par faire défaut. Selon l’économiste français, les débiteurs tiennent les créanciers autant que ceux-ci croient les tenir. Souvent les créanciers n’ont souvent d’autres solutions pour éviter l’effondrement du système que d’éponger une partie de la dette qui leur est pourtant due. Les créanciers ont, en effet, à faire face à des États qui gardent toujours le pouvoir de battre monnaie.
Pour certaines économies, cela pourrait aussi conduire à un rééchelonnement ou une redénomination de la dette publique. Le contrôleur des finances du Royaume de France entre 1768 et 1774, l’abbé Terray (1715-1778), ne disait-il pas que « la banqueroute est nécessaire, une fois tous les siècles, afin de mettre l’Etat au pair » ?
L ‘auteur, Bruno Colmant, est Head of Macro Research chez Banque Degroof Petercam.
Vers une terrible répression financière ?
26 décembre 2016