Thomas Costerg
L’isolement politique de Donald Trump, les dissensions au sein du camp républicain et les dysfonctionnements structurels du système politique américain représentent des risques à moyen terme pour l’économie du pays, avec des conséquences possibles pour le reste du monde.
Alors qu’il était encore en campagne, Donald Trump avait promis d’en finir avec les blocages au niveau fédéral. Tout en mettant en avant son expérience d’homme d’affaires, et en bénéficiant de la notoriété acquise grâce à l’émission de téléréalité «The Apprentice», il était selon lui le seul à pouvoir garantir que l’action politique serait relancée. Un an plus tard, il a pris possession de la Maison-Blanche et la réalité est tout autre: même impasse, malgré le fait que le parti républicain contrôle l’exécutif et le législatif. Et pour l’heure, l’administration Trump n’a remporté que des succès minimes sur le plan législatif.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation, dont le fait que Donald Trump ne soit pas de la même facture que les Républicains traditionnels. Pour comprendre les raisons de sa victoire, il faut se pencher sur les élections de 1992. Nous avons assisté cette année-là à l’entrée en scène d’un candidat ne venant pas du sérail politique, Ross Perot, magnat des affaires qui a mené une campagne particulièrement virulente contre l’accord de libre-échange nord-américain, l’ALENA, et la délocalisation des emplois, et a finalement remporté 19% des suffrages. D’une certaine manière, le triomphe de Trump est dû à la synthèse réussie entre Ross Perot et George H.W. Bush, président de 1989 à 1993. Sa promesse de renégocier l’ALENA et d’adopter une approche plus agressive en matière de politique commerciale, notamment vis-à-vis de la Chine et du Mexique, a trouvé un écho tout particulier dans les Etats industriels de la Rust Belt, auparavant des bastions démocrates. Dans le même temps, son engagement de baisser les impôts a suscité l’adhésion des Républicains dits Country club. La lassitude des électeurs après les deux mandats d’Obama et les sentiments partagés suscités par la personnalité de Hillary Clinton ont fini de faire pencher la balance.
Mais ce qui ressemble à une synthèse réussie sur le papier ne l’est peut-être pas au vu du paysage politique actuel, caractérisé par une polarisation extrême attisée par la montée en puissance des réseaux sociaux et l’implication croissante des financements privés. Les Républicains traditionnels siégeant au Congrès mettent en doute l’expérience et les valeurs républicaines de Donald Trump. Une très grande défiance règne entre le Congrès et le président. Certains Républicains s’interrogent même sur son intention de faire du Parti républicain le parti des «travailleurs américains » et des «oubliés», comme il l’a mentionné dans plusieurs de ses discours. L’impulsion populiste qu’il a donnée met encore davantage à mal le Parti républicain, déjà mis sous pression par le mouvement du Tea Party au cours des dernières années.
Autre facteur, l’absence de stratégie et de vision claires pour les Etats-Unis. Jusqu’à présent, ses décisions politiques se sont caractérisées par une grande incohérence. Son administration semble avancer à l’aveugle, ce qui s’explique peut-être par le manque d’expérience de plusieurs de ses membres, comme Jared Kushner, son gendre. La philosophie et les principes politiques de Donald Trump restent flous. Sa décision de nommer Jerome Powell au poste de président de la Réserve fédérale est l’exemple parfait d’une absence de choix: il répond à une situation nécessitant un changement, mais les politiques mises en place restent les mêmes (Jerome Powell devrait adopter une approche très similaire à celle de la présidente sortante, Janet Yellen). D’autres décisions politiques prises par Donald Trump ont également suscité une certaine perplexité, comme son attitude critique à l’égard du FBI et le renvoi de James Comey, son directeur. La nomination controversée de l’ancien membre républicain du Congrès Scott Garrett à la tête de l’Export Import Bank a également surpris, d’autant qu’il a longtemps plaidé pour sa fermeture.
Le «danger Twitter» ainsi qu’une compréhension visiblement médiocre du processus législatif posent aussi problème. Son omniprésence sur Twitter et son empressement à improviser sur des sujets divers bouleversent de façon significative le processus législatif régulier du Congrès. Ses méthodes entravent particulièrement les efforts actuels mis en oeuvre dans le cadre des réformes fiscales, déjà compliquées par le front uni des Démocrates, qui accusent le président de surtout vouloir baisser les impôts des plus riches. Ses attaques personnelles sur Twitter contre plusieurs sénateurs républicains risquent d’anéantir tout espoir d’atteindre les objectifs fixés en matière de baisses d’impôts, la majorité républicaine au Congrès étant relativement fragile, notamment au Sénat (52-48).
Perspectives fiscales
Les réformes fiscales pourraient finalement avancer grâce à la crainte des Républicains de se présenter aux élections de mi-mandat sans avoir réalisé d’avancée concrète. Leurs préoccupations sont exacerbées par la peur croissante d’une micro-rébellion populiste orchestrée par Steve Bannon, qui a promis d’importants financements aux candidats qu’il soutient. Toute marge d’erreur est exclue au Congrès lorsqu’il s’agit de compter les voix dans le but de faire passer un accord fiscal correspondant aux promesses de Donald Trump, alors qu’un imprévu pourrait facilement survenir. Tout bien considéré, la promulgation de baisses d’impôts modérées et temporaires au premier trimestre 2018 nous paraît l’hypothèse la plus envisageable.
La bonne nouvelle, c’est que l’économie américaine progresse d’elle-même à un rythme honorable et peut encaisser l’impasse politique en cours. Le taux de chômage est au plus bas, les entreprises américaines génèrent d’importants profits (malgré des taux d’imposition élevés), les taux d’intérêt sont bas et la volatilité des marchés reste limitée. Les perspectives macroéconomiques à court terme demeurent bonnes, comme le montre l’augmentation continue des offres d’emploi. L’appréciation des cours du pétrole est une aubaine supplémentaire pour le secteur de l’énergie américain, et l’intensification des activités de forage (désormais une composante essentielle de l’économie américaine) devrait continuer à dynamiser le secteur manufacturier. Le pays devrait donc continuer de bien se porter tant que tout va bien au Texas. Et le risque de récession reste faible, les conditions financières étant particulièrement favorables.
Les résultats inégaux de l’administration Trump pourraient être le signe de problèmes structurels bien plus profonds du système politique américain, avec notamment une polarisation croissante et l’exacerbation des tensions aussi bien à l’intérieur des partis traditionnels qu’entre ces derniers. Et ce phénomène pourrait s’intensifier si le dynamisme de la croissance venait à faiblir. La réaction face à un nouveau ralentissement économique pourrait être moins rapide qu’à l’accoutumée, et une éventuelle récession serait alors plus profonde. Les taux d’intérêt deviendront à un moment ou à un autre bien supérieurs à ceux d’aujourd’hui, ce qui nécessitera de prendre des décisions douloureuses en termes budgétaires. Fait plus inquiétant encore, l’immobilisme politique actuel pourrait augmenter la popularité des extrêmes des deux côtés de l’échiquier politique, ce qui pourrait faire peu à peu basculer le Congrès vers le populisme et entraîner une érosion de la confiance des entreprises. En dépit de la situation économique actuelle plutôt calme, la situation politique américaine continue d’être une source potentielle de fragilité à moyen terme pour les Etats-Unis comme pour l’économie mondiale.
Thomas Costerg est Economiste senior Etats-Unis chez Pictet Wealth Management