Le Forum Économique Mondial 2018 a ouvert ses portes à Davos en Suisse autour d’un thème plus que d’actualité : créer un avenir partagé dans un monde fracturé. Face à une société mondiale en proie aux crises identitaires et au repli sur soi (le Brexit en Europe ou encore la fin de la participation américaine au projet d’accord de libre-échange avec les pays riverains du Pacifique en sont des exemples parmi tant d’autres) le monde des affaires, à travers les grandes entreprises internationales qui seront présentes pour la plupart au Forum, ouvre au contraire le débat sur le rôle de la diversité dans la performance et l’accélération des entreprises. Un compte rendu de Heidrick & Struggles.
D’ailleurs, cette année, Davos est présidé exclusivement par des femmes. Qu’en est-il réellement de la diversité au sein des équipes dirigeantes et des conseils d’administration ?
Entreprise et diversité : entre ultra-conservatisme et ouverture timide ?
Renforcer la diversité au sein des postes de direction exige pour les entreprises d’ériger la diversité en priorité stratégique et de démontrer ses avantages en termes de résultats dans la performance de l’organisation. Or, cela est encore loin d’être une évidence pour une partie des fonctions dirigeantes en place.
C’est ce que met en évidence une étude récemment menée par PwC (1) : plus de 40 % des administrateurs pensent que la diversité au sein de leur conseil n’améliore pas les résultats de l’entreprise et plus de la moitié juge le conseil déjà suffisamment diversifié. Et près d’une personne interrogée sur six (16 %) pense que la diversité au sein du conseil n’a présenté aucun avantage pour l’organisation. Nous pensons au contraire que ces données alarmantes soulignent la nécessité de maintenir la question de la diversité au premier plan des priorités des conseils.
Aujourd’hui, nous constatons que lorsqu’il s’agit de nommer de nouveaux membres de conseils d’administration, ils sont souvent désignés parmi d’anciens administrateur, PDG ou directeurs financiers — ce qui tend à limiter l’accès à ces postes aux femmes et aux étrangers. Ainsi, PDG et directeurs financiers confondus ont représenté près de 66 % des nominations d’administrateurs en 2016 (2), et, pour la première fois en sept ans, le pourcentage de femmes nommées aux conseils d’administration du Fortune 500 a reculé (27,8 % de nouvelles nominations d’administratrices ; 117 sièges ouverts). De fait, les projections indiquent désormais que la parité chez la nouvelle génération d’administrateurs ne sera pas atteinte avant 2032. Avec 421 sièges vacants ou nouvellement créés pourvus au sein des sociétés du Fortune 500 en 2016, les entreprises ont raté l’occasion de prendre à bras le corps la problématique de la diversité.
Et il n’y a pas que dans les boards que la question fâche. De même, les femmes PDG se font toujours rares à l’échelle mondiale. Aux États-Unis, en France, au Royaume-Uni et en Allemagne, les femmes continuent d’être sous représentées à des postes de direction. Aux Etats-Unis en 2016, les femmes représentaient 8 % du nombre total de PDG des 100 premières entreprises du Fortune 500. Au Royaume-Uni, elle a certes d’un point en 2016 pour passer à 6%, mais la part totale reste mince. Sans parler de la France et de l’Allemagne, où la part de femmes PDG est respectivement de 2 et 1 %.(3) Cela n’empêche pas un léger frémissement. Nous sentons que les lignes commencent à bouger. Malgré des pourcentages faibles, les États-Unis comptent en 2017 un nombre record de 32 femmes PDG au sein du Fortune 500. Parmi celles-ci Geisha Williams, latino-américaine à la tête de PG&E, et Indra Nooyi, indo-américaine, PDG de PepsiCo.
Une belle transition vers la problématique des minorités ethniques, également largement sous-représentées au niveau du top-management. Une véritable erreur étant donné leur poids croissant au sein de la population active. Aux Etats-Unis, au sein du Fortune 500, 73 % des cadres dirigeants, hommes et femmes confondus, sont caucasiens. 21 % sont asiatiques, 3 % latino-américains, 2 % noirs… (Fortune, juin 2017)
La diversité va bien au-delà du bon sens social : il en va de la survie des entreprises !
On l’a vu, la diversité n’est pas acquise au sein des entreprises mondiales. Loin s’en faut. Mais il ne faut pas se contenter de ce constat. Il faut au contraire réveiller les mentalités et vite. Car la diversité, ce n’est pas qu’une question de bon sens et de responsabilité. C’est l’un des fondamentaux de la performance et de la survie des organisations dans un monde en pleine mutation.
Selon une étude d’Ernst & Young, les entreprises comprenant au moins 30 % de dirigeantes ont vu leurs bénéfices nets progresser de 6 points par rapport aux entreprises n’ayant recruté aucune femme à des postes de direction (Fortune, février 2016). Dans la même lignée, un rapport de Crédit Suisse a mis en évidence une corrélation entre diversité hommes-femmes, rendements boursiers et rentabilité de l’entreprise. Les investisseurs ayant ciblé les entreprises où la diversité est une dimension stratégique connaissent des rendements excédentaires avec une croissance annuelle de 3,5 %. Par ailleurs, les entreprises où les femmes représentent plus de 15 % des cadres dirigeants ont été 50 % plus rentables que celles où les femmes en représentent moins de 10 %(4). Selon des données transmises par Catalyst, les entreprises qui maintiennent une forte proportion de femmes au sein de leur conseil d’administration – cette proportion étant définie comme au moins trois femmes siégeant au conseil durant au moins quatre ans sur cinq – affichent des résultats largement supérieurs aux autres : 84 % en termes de bénéfices sur les ventes, 60 % en rendements du capital investissement et 46 % en rentabilité fonds propres.
Ainsi, la diversité, sur tous les plans, est un gage essentiel de performance des organisations. Il est temps que les Dirigeants aillent chercher, pour constituer leurs conseils d’administration par exemple, des profils en dehors des fonctions de direction : cadres supérieurs, universitaires, entrepreneurs… nul besoin d’être PDG ou directeur financier pour apporter de la valeur à un conseil ! De même, les conseils d’administration principalement composés d’hommes ont tout particulièrement intérêt à développer et à entretenir dès à présent un réseau actif de candidates, et à élargir leur vivier.
En France, la Loi Copé-Zimmermann oblige, depuis le 1er janvier 2017, les conseils d’administration à recruter 40 % de femmes. Ce coup de pouce réglementaire, au-delà d’une recherche d’égalité, montre par ailleurs que la consanguinité des équipes qui décident de la stratégie de l’entreprise ne favorisera jamais l’amélioration des performances.
Beaucoup reste encore à faire pour améliorer la diversité auprès des cadres dirigeants. Les entreprises tournées vers l’avenir doivent veiller à inclure dans leurs plans de succession des femmes comme des hommes, en s’assurant tout particulièrement que ceux-ci acquièrent l’expérience déterminante et nécessaire à la fonction de PDG. A l’heure où le harcèlement moral et sexuel, notamment des femmes, est au cœur des débats sociétaux à l’échelle mondiale, la considération du statut des femmes, au sein des entreprises, que ce soit dans l’accès aux postes de direction ou dans l’égalité salariale, est en passe d’évoluer.
(1)PwC, 2017 Annual Corporate Directors Survey
(2)Board Monitor 2017, Heidrick & Struggles
(3)Route to the Top 2017, Heidrick & Struggles
(4)Credit Suisse, The CS Gender 3000: The Reward for Change, septembre 2016
Source : Heidrick & Struggles