Bruno Colmant
De nos jours, la dette publique belge atteint plus d’une année de PIB, c’est-à-dire de création de richesse nationale annuelle. Une partie est – c’est vrai – refinancée auprès de la Banque centrale européenne (BCE) qui a, contre une partie de cette dette publique, fait tourner la planche à billets pour alléger le fardeau des États de la zone euro, dont la Belgique. À cette dette apparente de l’ordre de 440 milliards d’euros, il faut ajouter une dette de pensions qui, si elle était exprimée en euros de 2015 sur un horizon de 45 ans, atteindrait environ quatre fois le PIB. On peut se demander dans quelle mesure une dette publique est soutenable. Les adjectifs utilisés pour qualifier la dette belge sont divers et variés, oscillant entre « exorbitante et très dangereuse » et « moyenne et non pertinente ». Mais comme souvent, la vérité se trouve au milieu.
Le caractère soutenable de la dette publique dépend, en gros, de trois éléments : le pourcentage d’intérêt moyen payé sur la dette en cours, la croissance économique nominale et le solde budgétaire primaire (c’est-àdire le solde des finances publiques, sans les intérêts). Concrètement, cela signifie que dans le cas d’un équilibre budgétaire primaire (comme c’est plus ou moins le cas en Belgique actuellement), la dynamique dépend de la croissance économique (g) et des intérêts payés (i) sur la dette publique existante. Lorsque g > i, la dette diminue automatiquement. Selon les dernières prévisions, l’économie belge affichera dans les prochaines années un taux de croissance de 2,5 à 3,5 %. Ce pourcentage est plus élevé que la charge d’intérêt moyenne actuelle, qui se situe à un peu plus de 2 %. Même une nette hausse du taux ne permettra pas de changer cela immédiatement. Au moment d’écrire ces lignes, le taux sur les obligations d’État belges à 10 ans s’élève en effet à moins de 1 %. En l’absence d’une nouvelle récession, nous pouvons donc partir du principe que la dette belge diminuera progressivement dans les prochaines années. Bien entendu, le vieillissement croissant ne facilitera pas l’objectif visant à atteindre chaque année un équilibre primaire.
L’épargne intérieure
Mais ce n’est pas tout. La question reste de savoir comment financer la dette publique. Dans ce contexte, il est important d’établir une distinction entre les dettes intérieures et les dettes extérieures. En ce qui concerne les dettes intérieures, il faut tenir compte d’effets de répartition importants, par exemple entre les contribuables et ceux qui bénéficient des intérêts, ou entre les générations futures et la génération actuelle.
L’épargne intérieure constitue un précieux facteur de stabilisation dans le financement de la dette publique. Ce financement se fait directement lorsque des résidents achètent un bon d’État belge, par exemple, et indirectement via le mécanisme bancaire. Dans une forme plus extrême de réglementation financière, on peut même parler de « répression financière ». La Belgique reste un pays d’épargnants. Ainsi, les livrets d’épargne belges abritent plus de 250 milliards d’euros. Les bons d’État Leterme émis en décembre 2011 ont notamment remporté un grand succès.
Mais notre dette publique est bien sûr aussi financée par des créanciers extérieurs. Environ la moitié de la dette publique belge est actuellement aux mains de prêteurs étrangers. Ceux- ci doivent avoir confiance en notre capacité de remboursement, et donc en notre politique économique. En règle générale, les emprunts qui influencent favorablement le potentiel de croissance à long terme de notre économie (infrastructures, enseignement ou recherche et développement, par exemple) sont appréciés.
Créancier ou débiteur
En synthèse, nous pouvons affirmer que la dette belge est plutôt élevée par rapport à celle des autres pays, mais qu’il n’y a pas de raison de s’inquiéter pour le moment. Par ailleurs, les grands moyens d’épargne intérieurs jouent un rôle de stabilisation. Bien entendu, il ne faut pas que la dette publique grimpe trop rapidement. Dans le pire des cas, cela pourrait conduire à une perte de confiance dans la solvabilité de notre pays et dans notre système financier. C’est ce que l’on constata au début des années nonante.
Conclusion
Dans un saisissant recueil de textes des années 20 et 30 consacrés à la monnaie et à l’économie, Keynes abordait avec lucidité la dégradation du pouvoir d’achat de la monnaie. Pour l’économiste anglais, cette dernière n’est pas un accident de l’Histoire, car deux forces de traction induisent la perte de la valeur de la monnaie : la pauvreté des gouvernements et l’influence politique des débiteurs.
En d’autres termes, l’endettement excessif de l’État, combiné à la difficulté d’en imposer la charge sur ses citoyens, le conduit à déprécier sa monnaie afin d’alléger le remboursement de la dette. Keynes considérait que l’inflation était injuste et que la déflation était inopportune, tout en affirmant que la déflation était le pire des deux maux.
Bruno Colmant est Head of Macro Research chez Banque Degroof Petercam à Bruxelles.
La dette publique belge est-elle soutenable ?
24 avril 2018