Christophe Donay
Les avancées technologiques sont susceptibles de bouleverser l’économie, la politique et les retours sur investissement.
En économie, on observe des cycles longs, ou supercycles, résultant de poussées d’innovation technologique. L’actuel supercycle technologique se déroule selon nous en trois vagues. La première phase de ce cycle d’innovation radicale a pris naissance au début des années 1990 avec l’arrivée des nouvelles technologies de l’information, qui ont débouché sur la bulle Internet. La deuxième, celle que nous connaissons aujourd’hui, a débuté autour de 2005, lorsque toute la force disruptive de l’innovation radicale a commencé à se faire sentir. Cette phase a été marquée par des percées dans des domaines tels que l’informatique quantique, la génomique, les nanotechnologies et la robotique avancée. Elle a également été celle de l’émergence et de la consolidation de la puissance de grands disrupteurs technologiques comme Google, Amazon, Facebook et Apple (les GAFA).
Si l’on accepte que les supercycles technologiques durent généralement de 45 à 60 ans, la troisième vague devrait donc déferler sur nos rivages vers 2025. Cette phase devrait voir la convergence de différentes sources d’innovation dans les domaines de la nanotechnologie, la biotechnologie, l’informatique et la science cognitive (regroupés sous l’acronyme de NBIC), générant une période exceptionnellement puissante de croissance économique. Et pendant cette phase, nous pourrions assister à la «disruption des disrupteurs». Les consommateurs pourraient ne plus avoir besoin d’Amazon, par exemple. Pour ceux qui ont accès à la «blockchain» (technique de stockage et de transmission d’informations sans organe de contrôle), les intermédiaires traditionnels intervenant dans l’exécution et la validation des transactions financières pourraient bien perdre leur raison d’être. La convergence du « big data » et d’énormes réductions des coûts marginaux pourraient déboucher sur une personnalisation accrue des offres de produits et de services, même dans la sphère de la banque privée. Et nous pourrions assister à des convergences accrues entre intelligence artificielle et intelligence émotionnelle humaine.
Quelles conséquences pour les investisseurs? La véritable nature de l’innovation radicale peut être dérangeante, comme nous sommes en train de le découvrir. La mondialisation et l’arrivée d’une Chine technologiquement avancée ont contribué à la désinflation et même à des périodes de déflation au cours de la dernière décennie. Autre conséquence de l’actuelle vague d’innovations: la menace qui pèse sur la domination traditionnelle des Etats souverains dans des domaines tels que la santé, la protection privée, l’éducation et même la création de monnaie (il suffit d’observer le développement des crypto-monnaies). Cette sorte de disruption a contribué aux contrecoups populistes dont on pourrait concevoir qu’ils débouchent sur la réapparition d’« hommes forts » tels que nous les avons connus en Europe dans les années 1920 et 1930.
Innovations technologiques et investisseurs
Mais l’histoire récente fournit un exemple des retombées de l’innovation disruptive pour les investisseurs. La bulle Internet a débuté dans les années 1990, avec l’apparition de la technologie numérique de masse. Les acquisitions sans discernement ont conduit à l’émergence de la bulle Internet en 1995, avant son inéluctable éclatement en 2001. L’actuel enthousiasme des investisseurs pour l’innovation disruptive pourrait bien connaître le même sort.
Mais il est impossible de prévoir précisément le retournement des cycles économiques et des marchés. Assez prosaïquement, la seule chose à faire est d’investir activement et de diversifier les sources d’innovation afin de réduire la volatilité d’un portefeuille axé sur l’innovation. Notre propre recherche dans neuf domaines d’innovation, des véhicules électriques à la robotique, montre qu’il est possible de réduire de moitié la volatilité en répartissant les investissements entre cinq de ces domaines, et donc de minimiser l’effet de « bosse de chameau », phénomène qui surgit quand l’euphorie du marché laisse place à des ventes indifférenciées, comme lors de l’éclatement de la bulle Internet.
Mais il convient de faire passer un message encore plus important. La bulle Internet a fini par éclater, mais les avancées technologiques et leurs conséquences économiques ont continué à se propager. Et bien que nos attentes de rendements nominaux totaux pour un portefeuille traditionnel 60/40 (60% d’actions, 40% d’obligations) diminuent (d’environ 9% à environ 4% par an), notre analyse montre que l’investissement dans l’innovation disruptive a généré des rendements supérieurs ces dernières années. Même si la performance passée ne saurait être garante de la performance future, miser sur l’innovation dans le cadre d’une allocation stratégique d’actifs devrait donner un coup de fouet à la performance d’un portefeuille dans un contexte général de faibles rendements.
Christophe Donay est Responsable de l’allocation d’actifs et de la recherche macroéconomique, chef stratégiste chez Pictet Wealth Management