Nadia Gharbi
De nombreux facteurs expliquent l’essoufflement de la zone euro au premier semestre 2018, et le commerce n’est que l’un d’eux. Mais les inquiétudes continuent de peser lourdement sur l’avenir. Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer l’atonie prolongée de la croissance européenne cette année, telles que l’épidémie de grippe en Allemagne ou encore les différents mouvements de grève. Plus précisément, les rapports d’Eurostat concernant le PIB ont révélé que la balance commerciale représentait cette année un frein à la croissance. On pourrait simplement évoquer un retour à des niveaux conformes au cycle suite à la croissance exceptionnelle des exportations en zone euro l’an dernier, et à l’appréciation de l’euro, en particulier en fin d’année. Mais nul ne peut nier que les tensions commerciales mondiales ont partiellement contribué à cet essoufflement.
L’incidence directe des droits de douane américains sur les exportations européennes et les représailles de l’Europe restent jusqu’à présent limitées. Les Etats-Unis ont surtaxé l’acier et l’aluminium importés de respectivement 25% et 10%, avec 6,4 milliards d’euros de marchandises concernées au sein de l’Union européenne (UE). L’UE a répliqué en imposant des droits de douane semblables sur une grande variété d’importations américaines, y compris le bourbon, le beurre de cacahuète, les motos et les produits agricoles. L’économie européenne serait bien plus à la peine si le gouvernement américain décidait d’imposer des droits de douane sur les automobiles qu’elle exporte: les Etats-Unis représentent le principal importateur, avec une part de 29% (soit 38 milliards d’euros).
Mais les Etats-Unis appliquent une politique commerciale moins antagoniste vis-à-vis de l’Europe qu’à l’égard de pays comme la Chine. Dans une certaine mesure, les tensions semblent s’être apaisées depuis que le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker s’est rendu à Washington fin juillet. Le président Trump s’est notamment accordé avec ce dernier pour ne pas surtaxer les importations de voitures européennes, alors que Bruxelles et Washington étudient un nouvel accord commercial.
Cela étant, les relations commerciales internationales peuvent nuire à la croissance de différentes façons. Même en l’absence de surtaxes directes sur les biens et services européens, les tensions commerciales internationales, notamment entre les Etats-Unis et la Chine, pourraient avoir une incidence sur la demande extérieure. Celles-ci risquent également d’entamer la confiance des entreprises, les incitant à prendre des décisions plus mesurées en matière d’investissement et de recrutement. Les principaux indicateurs de la zone euro se sont globalement stabilisés durant l’été, s’établissant à des niveaux conformes à notre estimation de 2% concernant la croissance du PIB en 2018. Mais les indicateurs de confiance liés au commerce n’ont pas progressé en août. A titre d’exemple, alors que les derniers indices des directeurs d’achat (PMI) et IFO d’août sont apparus prometteurs dans les secteurs allemands des services et de la construction, le moral des entreprises dans les domaines associés au commerce (secteur manufacturier) est resté en berne. Par ailleurs, les commandes étrangères, notamment hors zone euro, à l’industrie allemande ont continué de régresser en juillet.
Pour l’heure, la plupart des pays de la zone euro peuvent encore compter sur une forte demande intérieure. Celle-ci devrait compenser, au moins en partie, tout nouveau recul des exportations. Fait encourageant, la croissance de l’emploi demeure robuste et devrait soutenir la consommation des ménages. En outre, l’investissement des entreprises devrait continuer à bénéficier de conditions de financement favorables. Néanmoins, les tensions commerciales internationales sont l’un des principaux risques baissiers qui menacent les perspectives de la zone euro, l’Allemagne et l’Italie étant les plus exposées des quatre économies majeures de la région. Le degré d’incertitude devrait demeurer élevé. Si les coûts directs de la guerre commerciale restent jusqu’à présent modérés, une surtaxe étendue des voitures importées par les Etats-Unis et la perte de confiance due aux tensions commerciales mettent en péril les anticipations de croissance de la zone euro.
Nadia Gharbi est Economiste Europe Pictet Wealth Management
La guerre commerciale est-elle à l’origine du ralentissement en zone euro?
11 octobre 2018