Mathilde Fox & Stephan Van Lerberghe
Alors que les accords de Bâle II envisageaient une approche plus sensible au risque pour définir les exigences en matière de capital, les récentes crises financières ont mis en évidence la nécessité de disposer de plus de capital et de meilleure qualité. En effet, les régulateurs financiers se concentrent maintenant sur la capacité des fonds propres et d’autres dettes subordonnées à absorber les pertes en cas de faillites bancaires. De cet environnement a émergé une obligation à consonance exotique: l’obligation dite « Coco ».
La première a été émise en Europe par Lloyds en 2009. Depuis lors, plusieurs banques ont rejoint le rang des émetteurs de Cocos (Contingent Convertible Bonds). En Belgique, KBC a été le pionnier en émettant 1 milliard de USD CoCos en janvier 2013. Selon les statistiques de la BRI, environ 70 milliards de USD de CoCos ont déjà été émis dans le monde, dont 80 % ont été réalisés par des banques européennes. Les acheteurs de CoCos proviennent principalement de banques privées et d’investisseurs de détail en Asie et en Europe (52 %); de sociétés de gestion d’actifs principalement des États-Unis (27 %); d’hedge funds 9 %; de banques 3 % et d’assureurs 3 %.
Une obligation convertible contingente (CoCo) constitue une dette subordonnée à long terme qui sera automatiquement convertie en une quantité prédéterminée d’actions (equity tier 1 ou 2) ou déprécié une fois qu’un déclencheur prédéfini est atteint (par exemple, common equity tier 1 chutant à 7 %). Les CoCos font partie de la structure du capital de la banque; quelque part entre les actions et les dettes subordonnées en fonction de la structure des CoCos (déclencheurs, événement de conversion et mécanisme, …) et son niveau d’absorption des pertes. C’est pourquoi, ils sont surnommés « hybrides ».
La principale caractéristique est de faire participer les créanciers subordonnés dans la phase d’absorption des pertes. Selon Flaherty, le Ministre canadien des Finances: « L’utilisation de capital contingent créerait une auto-assurance, préfinancée par les investisseurs, pour protéger la solvabilité de la banque et transférer le coût de la prise de risque excessive loin des contribuables vers les actionnaires et les détenteurs de dette subordonnée ».
Un CoCo est un outil qui aide à la recapitalisation des banques à un coût inférieur à celui d’une exigence exclusivement sur base de fonds propres (equity). Cela semble être une solution pour le « too big to fail », évitant l’injection supplémentaire de capital du secteur public, la distorsion de la discipline de marché et des avantages concurrentiels. Étant un pilier de l’économie réelle, les banques ont été sauvées par les gouvernements, conduisant à une augmentation des dettes publiques, alors que toute autre société commerciale aurait d’abord fait appel au portefeuille des actionnaires. Sauf si elle sont émises par les gouvernements (bail-Out CoCos), les CoCos aideront à rééquilibrer les risques entre d’une part les contribuables et d’autres part les actionnaires et les détenteurs de dettes subordonnées (bail-In CoCos).
Était-ce une chasse au rendement (émises entre 7 et 9 %) ?
Aujourd’hui, le risque semble éloigné puisque les banques ont été recapitalisées et sont plus étroitement réglementées. Les banques actuellement émettrices de CoCos sont probablement les moins à risque de conversion (le capital étant plus élevé qu’auparavant). Cela explique pourquoi ces émissions de CoCos récentes ont été sur-souscrites et placées si rapidement. Était-ce une chasse au rendement (émises entre 7 et 9 %) qui a conduit les investisseurs à acheter ces actifs plus risqués et innovants? Jusqu’à présent, il semble que la plupart des obligations CoCo n’ont pas été converties et avait une excellente performance!
La perspective de risque, les résultats de l’étude d’Anthony Philippe
Puisque ces titres hybrides sont censés réduire la probabilité d’une crise de confiance en rétablissant le coussin de capital en cas de conditions de marché défavorables, nous posons la question suivante: Les Cocos récemment émis ont-ils été considérés comme une réduction du risque de la banque émettrice?
Globalement, les universitaires sont répartis entre deux groupes. D’une part, ceux qui pensent que les Cocos ajoutent simplement de la complexité et du risque d’innovation, sont également ceux qui sont convaincus que les Cocos rendront l’ensemble de la structure des marchés plus complexe et fragile (Koziol & Lawrenz, 2012). Certains d’entre eux affirment, par exemple, que les investisseurs peuvent générer des risques et de la volatilité en vendant à découvert les actions bancaires en agissant comme une couverture contre les déclencheurs de CoCo’s (Maes & Schoutens, 2012). D’autre part, d’autres chercheurs pensent que les CoCos peuvent réduire le coût en capital des émetteurs en améliorant la gouvernance d’entreprise et décourageant la prise de risques excessive (Flannery & Perotti, 2011). Les arguments pour et contre expliquent la complexité de l’étude des CoCos.
On pourrait réfléchir au problème de l’aléa moral en faisant valoir que la prise de risque des activités d’une banque peut changer après avoir émis un CoCo. En fait, les CoCos peuvent augmenter la probabilité de situation financière délicate en créant, de manière perverse, des incitations qui encouragent un comportement menant à ces difficultés financières.
Inversément, d’autres protagonistes soutiennent que l’émission de CoCo réduira la probabilité de défaut de la banque, ce qui diminue par conséquent le risque systémique. A condition que les banques ne détiennent pas des CoCos d’autres institutions financières en portefeuille…
De nombreuses études mettent l’accent sur la complexité de la tarification et des conflits d’intérêts entre les parties prenantes: régulateurs, actionnaires existants (problème de dilution) et investisseurs. Certaines études se focalisent sur l’importance de développer un modèle de tarification qui est sensible aux déclencheurs de conversion. Par exemple, la prime pourrait être réglable en fonction de l’évolution du risque ce qui fournira à la banque émettrice une incitation à agir prudemment.
De même, des banques comme UBS et Barclays utilisent les CoCos comme des primes financières pour les cadres supérieurs. Ces obligations, étant amortissables en cas de situation financière délicate, peuvent décourager les employés de haut niveau à prendre trop de risques et à rester en ligne avec la stratégie à long terme des banques
Dans notre recherche actuelle, nous nous concentrons sur la perception du risque associée aux CoCos. Pour cele nous avons étudié l’impact de l’émission de CoCo sur la perception du risque du marché par le biais de la méthodologie « étude de cas ». Bien que les investisseurs semblent très demandeurs, le nombre d’émissions est encore faible ; probablement en raison de l’incertitude juridique, de la complexité de la tarification et de l’absence de marché normalisé. Néanmoins, nous avons recensé des émissions européennes non bail-Out jusqu’en mai 2013 et réalisé une première étude de cas pour avoir une idée sur la perception du risque par les marchés après qu’une institution financière ait émis une obligation CoCo.
Pour mesurer ces impacts, voici deux approximations différentes utilisées pour la perception du risque du marché: les cinq années de spreads CDS sur les dettes subordonnées (iTraxx Europe Subordinated Financials 5-Years Total return Index) et les cinq années de spreads CDS sur les dettes senior (iTraxx Europe Senior Financials 5-Years Total Return Index ). La forme de 5 ans a été choisie parce qu’elle correspond à la maturité du CDS le plus liquide.
Dans l’hypothèse de marché efficient, les marchés devraient réagir instantanément à une nouvelle source d’informations. Dans notre cas, nous supposons que le marché des CDS est un marché efficient semi-fort. Afin de vérifier comment une émission de CoCos réduira la perception du risque, nous devrions observer une réduction du spread du CDS lorsqu’une émission est annoncée. Sachant que l’annonce d’émission est généralement faite 7 jours avant la date de l’émission, une fenêtre d’événement de 21 jours a été choisie pour procéder à nos études d’événements et analyser les variations de CDS spread anormales autour de l’émission de Cocos (15 jours avant et 5 jours après).
Nos premiers résultats révèlent des variations anormales le 7e et le 6e jour avant la date de l’émission. Il y a donc une confirmation que le marché incorpore les informations de deux façons. Tout d’abord, les spreads de crédit semblent se réduire lorsqu’une une émission de CoCos est annoncée, c’est-à-dire une réduction du risque. Ensuite, les prix d’achat d’actions de la banque ont affiché des rendements positifs anormaux entre le 8e et le 4e jour avant la date d’émission des CoCos. Cela met en évidence l’impact positif sur l’appétit des investisseurs.
En conclusion… Autres sujets fréquemment abordés en matière de CoCos
Etant conscients des limites et des mises en garde de ces résultats, nous procéderons à d’autres enquêtes tant que le marché des Cocos se développe et grandit. En effet, à côté de la perception du risque, de nombreuses questions et des points d’incertitude subsistent sur les Cocos qui justifierait de riches débats académiques et de recherche sur le sujet. Un grand nombre de questions sur l’existence d’un marché Cocos subsiste. L’absence de marché normalisé et les évaluations vont à l’encontre du développement des Cocos étant donné que les investisseurs institutionnels (du moins européens) ont peu la possibilité d’investir dans d’autres titres que des titres notés.
Un travail intéressant d’universitaires (Pennacchi, Vermaelen, & Wolff, 2011) tend à prouver que le transfert de déclencheurs « comptables » vers des déclencheurs du marché pourrait aider à résoudre ces questions. En raison du manque de liquidités, les investisseurs semblent incertains en ce qui concerne les CoCos et peuvent se sentir troublés face à leurs différentes structures (en termes de déclencheurs, de taux de conversion, …), ce qui les rend trop difficile à comparer dans une perspective risque-return.
Enfin, le point le plus délicat provient des incertitudes en matière de réglementation. Bien que l’UE et le Comité de Bâle soient toujours en train d’émettre des avis sur la qualification des CoCos pour répondre aux exigences de fonds propres réglementaires, le texte CRD IV affirme déjà que la responsabilité des banques est de pouvoir absorber ses pertes. Notre étude confirme que le marché considère les CoCos comme un instrument de réduction des risques. En outre, comme les CoCos sont moins chères que les capitaux propres, elles pourraient être une alternative valable pour répondre au besoin de 1,5 % supplémentaire de Tier 1 Capital exigé par Bâle III. Les experts quantifient le montant du futur marché à environ 240 milliards d’euros entre 2014 et 2019 avec une émission moyenne de 45 milliards d’euros par an.
Cet article est basé sur la thèse (Grande distinction) d’Anthony Philippe, étudiant à l’ICHEC Brussels Management School.
À propos des auteurs: Mathilde Fox, est professeur et responsable de recherche et de formation en finance à Brussels Management School, ICHEC Bruxelles. Stephan Van Lerberghe, est Owner at Finance and Risk Advisory.
Références :
Flannery, M. (2010). Stabilizing large financial institutions with contingent capital certificates. CAREFIN Research Paper, (04). Retrieved from http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1798611
Flannery, M., & Perotti, E. (2011). CoCo design as a risk preventive tool. Retrieved from http://dare.uva.nl/document/461910
Koziol, C., & Lawrenz, J. (2012). Contingent convertibles. Solving or seeding the next banking crisis? Journal of Banking & Finance, 36(1), 90–104.
Maes, S., & Schoutens, W. (2012). Contingent Capital: An In-Depth Discussion*. Economic Notes, 41(1-2), 59–79.
Pennacchi, G., Vermaelen, T., & Wolff, C. (2011). Contingent capital: the case for COERCs. Retrieved from http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1656994
Les récentes émissions Cocos réduisent-elles vraiment la perception des marchés concernant le profil de risque des institutions financières?
18 février 2015
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