Alain Deladrière
« Des entreprises chinoises ont récemment lancé trois tentatives d’acquisitions dans le secteur énergétique Européen et ce, à quelques semaines d’intervalle seulement », relève William De Riemaecker, Buyle Legal, avocat spécialisé dans les matières énergétiques. « Quelle est la stratégie sous-jacente et les éventuels risques que cela constitue pour l’Union Européenne ? »
Pour revenir au Portugal…
Lorsque le réseau de transmission d’électricité portugais, Rede Elétrica Nacional (« REN SA »), a été certifié en 2014, « les autorités nationales et la Commission Européenne ont indiqué que les participations chinoises dans le secteur énergétique portugais via la SASAC ne posaient aucun problème en particulier au titre des dispositions relatives au principe de la dissociation ».
Pour rappel, la SASAC détient une participation de 21.35% dans EDP via la société China Three Gorges Corporation et une participation de 25% dans la société mère du réseau de transmission portugais, Redes Energéticas Nacionais (« REN SGPS »), via la société State Grid International Development Limited. Soulignons également qu’EDP a une participation de 5% dans Redes Energéticas Nacionais.
« Selon les autorités, il avait été clairement démontré lors du processus de certification de REN SA que la SASAC, du fait de sa participation à EDP et REN SGPS, n’avait pas d’influence décisive sur le processus décisionnel de REN SA et ne pouvait dès lors favoriser sa production ou son intérêt propre au détriment des autres utilisateurs du réseau ».
Il avait en effet été établi que :
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toutes les activités de production ou de fourniture d’électricité réalisées par la State Grid Corporation of China se situaient dans des zones sans lien géographique direct ou indirect (Chine, Philippines, Brésil et Australie) avec le réseau portugais et, en tant que telles, ne créaient pas de risque de conflit d’intérêt ou d’influence dans les décisions de REN SA;
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la participation de China Three Gorges Corporation dans EDP (21,35%) ne crée aucun risque de conflit d’intérêts ou d’influence dans les décisions de REN SGPS, étant donné que ni State Grid Corporation of China ni China Three Gorges Corporation ne contrôlaient REN SGPS et EDP.
« Toutefois, le succès de l’acquisition d’EDP par China Three Gorges Corporation changerait la donne dès l’instant où SASAC contrôlera EDP tout en exerçant une influence déterminante sur REN SA, ce qui va à l’encontre des dispositions relatives au principe de la dissociation. Cela aura pour conséquence d’ouvrir une nouvelle procédure de certification».
« C’est tout particulièrement cette réouverture de la procédure de certification qui retarde la tentative d’OPA d’EDP par China Three Gorges Corporation. Je pense, en effet, que la SASAC n’avait pas perçu cette menace et se trouve maintenant fort embêtée puisqu’elle devra pour acquérir EDP soit se retirer du capital de REN SA soit se conformer aux exigences développées par l’Union Européenne. Ainsi, l’OPA d’EDP pourra se réaliser sous réserve de réorganiser la participation de State Grid International Development dans REN SGPS en vue de respecter un certain nombre de conditions cumulatives élaborées par la Commission Européenne : »
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la participation State Grid International Development ne devra pas être majoritaire ;
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State Grid International Development ne pourra exercer, directement ou indirectement aucun droit de vote dans REN SGPS ;
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State Grid International Development ne pourra exercer, directement ou indirectement, le pouvoir de nommer des membres d’organes représentant légalement de REN SGPS, tels que le conseil de surveillance ou le conseil d’administration, et
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State Grid International Development ne pourra exercer, directement ou indirectement, toute forme de contrôle sur REN SGPS.
Concrètement, cela implique que la participation de State Grid International Development dans REN SGPS sera silencieuse, donnant juste droit aux dividendes.
Quid à l’avenir
Les dispositions Européennes relatives à la dissociation sont les premiers remparts à toute tentative d’acquisition d’infrastructure stratégique en Europe et il y a fort à parier que ces dernières risquent d’être de plus en plus utilisées à l’avenir, plus particulièrement en Italie et en Grèce où la SACAV a pris des participations dans les réseaux énergétiques en 2013 et 2017 respectivement.
Cette mise en œuvre croissante des dispositions relatives à la dissociation résulte d’une évolution dans la stratégie d’investissement chinoise qui tend progressivement à investir davantage dans les réseaux que dans les outils de production.
« Ce retournement de stratégie s’explique à la fois par le fait que les infrastructures énergétiques sont considérées comme stratégiques, offrant un important pouvoir de négociation dans les discussions internationales, mais sont également très rentables. Il n’y a en réalité pas plus sûr comme investissement. Mais la Commission Européenne doute que les Chinois se contentent d’un simple investissement ! »
(Fin du volet 3)