Grèce : les règles de l’engagement démocratique
Au-delà des rides de l’actualité, la véritable question posée par le nouveau gouvernement grec est celui de l’opposition entre une expression démocratique domestique et la souveraineté monétaire supranationale. Si la démocratie s’arrête aux frontières, la monnaie unique fut conçue comme l’outil d’une zone de libre-échange d’envergure continentale.
Le problème, c’est que l’Europe ne s’est dotée d’aucune structure financière et fiscale destinée à assurer la cohésion de la gestion monétaire.
Nous assistons donc à une confrontation entre les Etats-Nations, hérités du 19ème siècle, avec une monnaie dont la création a coïncidé à la pénétration dans le 21ème siècle.La question est de savoir comment concilier des expressions populaires de tendances contraires (à la majorité des pays de la zone euro) avec l’ordre monétaire de la BCE ?
Dans le cas grec, on argumentera bien sûr que ce pays est sous assistance financière depuis 4 ans et que ses créanciers sont indirectement l’ensemble des contribuables européens. Mais la question est plus large : un vote populaire national peut-il s’opposer aux contraintes du Pacte de Stabilité et Budgétaire, destiné à réduire l’endettement public et les déficits budgétaires, sachant que ce Pacte est consubstantiel à la pérennité de l’euro ? Si la réponse à cette question est négative, alors l’ordre monétaire aura temporairement dominé l’ordre social. J’écris bien temporairement car les réalités socio-politiques finissent toujours par écarter les symboles qui leur sont contraires, dont la monnaie.
Voilà ce que Philippe Séguin, farouche opposant à l’euro, expliquait, de manière prémonitoire, à l’Assemblée Nationale française, il y a 22 ans : « Quand, du fait de l’application des accords de Maastricht, notamment en ce qui concerne la monnaie unique, le piège sera refermé et, demain, aucune majorité parlementaire, quelles que soient les circonstances, ne pourra raisonnablement revenir sur ce qui aura été fait. (…) Il est temps de dire que bâtir l’Europe des Douze sur la peur obsessionnelle de la puissance de l’Allemagne est tout de même une bien étrange démarche, proche de la paranoïa. D’autant qu’à force de vouloir faire cette intégration à tout prix, on va finir par faire l’Europe allemande plutôt que de ne pas faire l’Europe du tout, ce qui serait un comble. »
Philippe Séguin martelait que la souveraineté nationale est « imprescriptible et inaliénable », ce qui s’illustre parfaitement dans la crise grecque contemporaine.
Nonobstant cette réalité, l’avenir de l’euro passera donc par la formulation d’une véritable union budgétaire et fiscale et la mutualisation d’une partie de l’endettement public. Il faudra un changement de gouvernance sans lequel la monnaie sera l’objet permanent de tractations nationales qui en dénaturent le caractère fédéral.
Bruno Colmant