Le coronavirus affecte encore le chiffre d’affaires des entreprises belges, mais l’attention se porte peu à peu sur des goulets d’étranglement au niveau de l’offre (chaîne d’approvisionnement, marché du travail). Le récent assouplissement des mesures de restriction a entraîné un redressement significatif du chiffre d’affaires dans certaines branches d’activité spécifiques telles que les professions de contact non médicales et le secteur des arts, spectacles et services récréatifs. Néanmoins, la perte totale de chiffre d’affaires encourue par l’économie belge en raison de la crise du coronavirus ne s’est guère atténuée. De même, les prévisions concernant le chiffre d’affaires font toujours état de (faibles) dommages persistants, tandis que d’autres indicateurs, comme la perception du risque de faillite, se sont nettement améliorés ce mois-ci. C’est ce qui ressort de la nouvelle enquête de l’ERMG, menée auprès des entreprises belges au début de la semaine dernière. L’attention se déplace progressivement vers les problèmes de capacité au niveau de l’offre. Deux tiers des entreprises éprouvent ainsi des difficultés à pourvoir à leurs postes vacants, au moins pour certains profils, mais aussi souvent de façon plus générale. En outre, la chaîne d’approvisionnement est largement perturbée dans de nombreuses branches d’activité, dont l’industrie, la construction et de larges pans du commerce. Ces entreprises ont vu le coût de leurs inputs augmenter considérablement.
Une nouvelle enquête de l’ERMG a été réalisée au début de la semaine dernière par plusieurs fédérations d’entreprises et d’indépendants (BECI, SNI, UCM, UNIZO, UWE et VOKA). L’initiative est coordonnée par la BNB et par la FEB. Il s’agissait de la vingt-et-unième d’une vague d’enquêtes menée depuis mars 2020, dont l’objectif est d’évaluer l’incidence de la crise du coronavirus et des mesures restrictives sur l’activité économique et sur la santé financière des entreprises. Le nombre d’entreprises participantes (2 274) était plus faible que d’habitude, ce qui s’explique probablement par la présence d’un jour férié pendant la semaine de l’enquête. Cela augmente quelque peu la marge d’erreur des résultats, qui doivent être interprétés avec encore plus de prudence qu’habituellement [1].
Le chiffre d’affaires des entreprises belges et leurs prévisions en la matière s’améliorent dans des secteurs spécifiques, mais il n’y a guère de changement au niveau macroéconomique à ce stade
Compte tenu de la taille des entreprises et de la valeur ajoutée sectorielle, les entreprises interrogées la semaine dernière ont fait part d’une diminution de leur chiffre d’affaires actuel de 10 % par rapport à la normale. Si la perte de chiffre d’affaires dans la plupart des branches d’activité est restée globalement constante par rapport à l’enquête d’avril, elle s’est atténuée dans les branches les plus touchées, grâce l’assouplissement des mesures restrictives (notamment pour les professions de contact non médicales, le commerce de détail et les terrasses extérieures des établissements de l’horeca) le 26 avril et le 8 mai. La perte de chiffre d’affaires s’est surtout contractée dans les professions de contact non médicales et dans le secteur des arts, spectacles et activités récréatives, revenant de plus de 80 % en avril à, respectivement, 35 et 53 % en mai. La réouverture des terrasses n’a toutefois pas entraîné de nette amélioration du chiffre d’affaires dans l’horeca, ce qui peut s’expliquer par les mauvaises conditions météorologiques en mai. Par conséquent, l’effet catalyseur espéré pour les magasins non alimentaires ne s’est pas non plus concrétisé : leur chiffre d’affaires ne s’est que légèrement redressé, s’établissant 21 % en dessous du niveau normal. Enfin, la perte de chiffre d’affaires des agences de voyages s’est aussi quelque peu affaiblie, retombant à 80 %.
L’absence d’amélioration du chiffre d’affaires par rapport à avril est toutefois due en partie à la composition différente de l’échantillon. Celle-ci peut être à l’origine de la baisse du chiffre d’affaires dans le secteur de la logistique et des transports ainsi que dans le secteur financier. Cette enquête a par exemple recueilli une plus forte participation du secteur du transport aérien de passagers, qui a été durement touché, alors qu’il était sous-représenté dans les enquêtes précédentes. Sans la détérioration observée dans ces deux branches d’activité, la perte de chiffre d’affaires globale aurait été 2 points de pourcentage inférieure par rapport à l’enquête d’avril. Cela reste toutefois limité.
Une tendance similaire se dessine en ce qui concerne les prévisions de chiffre d’affaires pour 2021 et 2022. Celles-ci se sont nettement améliorées dans les branches d’activité les plus touchées, en particulier dans le secteur des arts, spectacles et activités récréatives ainsi que dans l’horeca. Cela est dû à l’évolution favorable de la situation sanitaire et à l’annonce du « plan été », qui prévoit le retrait progressif des mesures restrictives. Au niveau macroéconomique, ces prévisions de chiffre d’affaires sont toutefois aussi restées relativement inchangées, à 8 et 3 % sous la normale, respectivement. Sans la détérioration enregistrée dans le secteur de la logistique et des transports ainsi que dans le secteur financier en raison de l’effet de composition mentionné ci-dessus, on noterait néanmoins un léger raffermissement de 1 point de pourcentage. Les entreprises belges continuent cependant de s’attendre à des dommages faibles mais persistants liés au coronavirus l’an prochain.
D’autres indicateurs, comme le risque de faillite, sont en nette amélioration
Les clarifications apportées concernant la réouverture totale de l’économie ont eu une incidence positive sur le risque de faillite déclaré. Le pourcentage d’entreprises interrogées qui s’attendent à faire faillite au cours des six prochains mois est en effet revenu de 4,8 % en avril à 4,0 % en mai. Cette évolution est principalement attribuable à l’horeca, où le risque de faillite a sensiblement diminué, de 17 % en avril à 5 % en mai.
Le niveau d’inquiétude concernant les conséquences de la situation actuelle sur les activités commerciales, mesuré sur une échelle allant de 1 (peu inquiet) à 10 (fort inquiet), a lui aussi reculé de 0,4 en mai et se situe désormais à son plus bas niveau depuis le début de la crise (5,6). Le degré de préoccupation a diminué dans presque toutes les branches d’activité, mais surtout dans celles qui ont été les plus touchées.
Enfin, les indicateurs du marché du travail se sont également améliorés en mai. Selon les entreprises interrogées, la part du chômage temporaire est revenue de 8 % en avril à 5 % en mai, soit son niveau le plus bas depuis le début de la crise du coronavirus. Ce pourcentage a très fortement baissé surtout au niveau des professions de contact non médicales (de 72 % en avril à 4 % à peine en mai) et a également diminué dans les agences de voyages (de 58 % à 52 %), l’horeca (de 59 % à 43 %), le secteur des arts, spectacles et services récréatifs (de 47 % à 20 %) et la vente au détail non alimentaire (de 16 % à 5 %), même s’il reste encore élevé dans ces branches d’activité. Les perspectives quant à l’emploi se sont également améliorées en mai et les répondants s’attendent maintenant à ce que l’emploi dans le secteur privé augmente de 22 000 unités en 2021. Même si les branches d’activité durement touchées s’attendent toujours à des pertes d’emplois importantes, de l’ordre de 10 %, celles-ci seront plus que compensées par la hausse nette attendue du nombre de travailleurs dans les autres branches d’activité. Néanmoins, l’impact final sur l’emploi dépendra aussi de la capacité des politiques liées au marché du travail de faciliter les transitions sectorielles.
L’année dernière, la rotation du personnel a été plus élevée que la normale et de nombreuses entreprises font état de difficultés accrues pour trouver du personnel adéquat
Depuis février, dans les enquêtes de l’ERMG, les problèmes d’approvisionnement et les pénuries de personnel sont de plus en plus citées comme étant une cause de la baisse du chiffre d’affaires. Dans la présente enquête, ces aspects font l’objet de questions plus détaillées.
Tout d’abord, au sein de l’enquête, il était demandé si plus ou moins de personnel que d’habitude avait quitté l’entreprise de sa propre initiative depuis mars 2020. Alors que 70 % des répondants ont déclaré que la rotation du personnel était normale et que 10 % des entreprises ont mentionné qu’elle était inférieure à la normale, près de 20 % des entreprises ont répondu qu’elle était supérieure à la normale. C’est en particulier le cas du secteur des arts, spectacles et services récréatifs, des agences de voyages et de l’horeca, où près de la moitié des entreprises ont signalé une rotation du personnel supérieure à la normale. Il peut s’agir globalement d’une bonne nouvelle : à savoir elle suggère que les travailleurs des secteurs les plus touchés ont déjà, dans une large mesure, trouvé un emploi dans un autre secteur. De telles transitions facilitent la reprise de l’économie et cette information semble également correspondre aux statistiques actuelles relativement favorables concernant le marché du travail. Par ailleurs, cette situation peut bien sûr entraîner des pénuries temporaires de personnel si la demande reprend dans les secteurs les plus durement affectés, comme l’horeca.
Les difficultés à trouver du personnel adéquat ont également été étudiées. Parmi les entreprises qui souhaiteraient recruter (quatre répondants sur cinq, lorsque les indépendants ne sont pas pris en compte), seule une sur trois a déclaré ne pas rencontrer plus de difficultés que d’habitude à pourvoir les postes vacants. Un tiers des répondants disent qu’il est plus difficile de recruter certains profils spécifiques et le dernier tiers déclare que trouver du personnel adéquat est plus difficile pour toutes les catégories de personnel. Bien qu’il ne soit pas possible d’exclure en principe que le processus de recrutement lui-même soit encore compliqué par les conditions spécifiques liées au coronavirus, ces chiffres semblent indiquer plus généralement qu’il y a déjà des tensions importantes au niveau du marché du travail, même dans cette phase précoce de la reprise et malgré les transitions entre les secteurs mentionnées ci-dessus.
Les problèmes d’approvisionnement se multiplient et la forte hausse du coût des inputs sera répercutée au niveau des prix de vente
Un autre constat préoccupant au niveau de l’offre est qu’un grand nombre d’entreprises sont confrontées à des problèmes d’approvisionnement. La moitié des entreprises qui dépendent d’approvisionnements (deux tiers des entreprises interrogées) déclarent que leurs approvisionnements sont modérément ou fortement perturbés. Les problèmes d’approvisionnement sont surtout répandus dans le commerce de gros (64 % des répondants rencontre des perturbations modérées ou fortes de leur approvisionnement), la construction (58 %), l’industrie (57 % et même plus pour certains sous-secteurs), la vente au détail non alimentaire (46 %) et l’agriculture (44 %). En revanche, la plupart des entreprises du secteur des services sont beaucoup moins touchées car elles ne dépendent généralement pas d’approvisionnements. En outre, ce sont surtout les moyennes entreprises qui sont touchées, les petites entreprises étant moins dépendantes des approvisionnements et les grandes entreprises signalant moins de problèmes de ce type.
La principale raison perçue des difficultés d’approvisionnement est la pénurie chez le fournisseur. Ce facteur est cité par près de 90 % des entreprises confrontées à des problèmes d’approvisionnement (plusieurs raisons pouvant être citées pour cette question). Le transport est également une cause non négligeable des problèmes d’approvisionnement : il est cité par une entreprise sur trois rencontrant des problèmes d’approvisionnement et par une entreprise sur deux dans le secteur du commerce de gros.
En outre, le coût des inputs (coûts des inputs intermédiaires, des matières premières, du transport, de l’emballage, etc.) est ce mois-ci plus élevé que d’habitude pour de nombreuses entreprises. La hausse la plus forte s’observe dans l’industrie et dans la construction (14 % chacune), ainsi que dans le commerce de gros (+11 %) [2]. Les entreprises indiquent également qu’en moyenne, la moitié de l’augmentation des coûts des inputs sera répercutée sur les prix de vente au cours des prochains mois. Cet alourdissement du coût des inputs est en grande partie lié à des problèmes de d’approvisionnement. En effet, l’augmentation du coût des inputs est beaucoup plus importante pour les entreprises dont les approvisionnements sont modérément ou fortement perturbés (11 % et 19 % respectivement) que pour celles dont les approvisionnements n’ont pas été perturbés (3 %).
Les problèmes d’offre, en termes tant de personnel que d’approvisionnement, commencent clairement à peser sur l’activité. Plus d’une entreprise sur quatre déclare que ces problèmes ont entraîné ce mois-ci une perte temporaire de chiffre d’affaires et plus d’une sur dix a déclaré avoir perdu des clients de ce fait. Enfin, quelque 15 % des entreprises disent avoir dû puiser dans leurs stocks, qui ont été réduits, et 5 % des entreprises déclarent avoir déjà des demandes d’indemnisation de clients en raison de retards de livraison.
[1] L’enquête de l’ERMG est basée sur l’évaluation des entreprises qui participent à l’enquête. La comparaison dans le temps des résultats doit être interprétée avec une certaine prudence car les entreprises interrogées peuvent différer d’une enquête à l’autre. D’une part, il est toujours possible que les fédérations qui mènent les enquêtes auprès de leurs membres ne soient pas les mêmes. D’autre part, les entreprises ne participent pas systématiquement à chaque enquête. Bien que toute surreprésentation dans l’échantillon des entreprises de certains secteurs d’activité soit corrigée, il est possible que les entreprises interrogées diffèrent dans le temps au niveau d’autres caractéristiques. Enfin, il convient de noter que les services d’administration publique et de défense, les services de l’enseignement et les services de santé humaine ne sont pas pris en compte dans les résultats de l’enquête.
[2] Toutes les fédérations participantes n’ont pas repris cette question sur les coûts des inputs. Par conséquent, les résultats mentionnés dans ce paragraphe ne peuvent refléter qu’une image partielle, qui est notamment trop axée sur les plus petites entreprises.