Thomas Planell
Seul animal conscient de sa mort, l’homme selon Blaise Pascal est condamné à passer sa vie à tenter de l’oublier en se divertissant. « Faber » puis « Sapiens », l’homo est aussi « Ludens », selon Johan Huizinga théoricien de la fonction sociale du jeu. Forçant l’isolement sanitaire, l’hécatombe pandémique a coupé le « jeu social » et a exhumé une conscience du risque de mort collective, oubliée depuis que la chute de l’URSS a dissipé le risque de guerre nucléaire totale. Contraints par l’isolement sanitaire, nous avons à défaut d’interactions physiques, embrassé la possibilité de nous connecter et nous divertir les uns avec les autres dans une seconde vie digitale.
Les réseaux (fibre optique, 5G) et les capacités de calcul graphique permettent aujourd’hui de donner la consistance logicielle qui faisait défaut à la première tentative d’un monde digital parallèle en 2003 : « Second life ». Produit de l’union des réseaux sociaux et des jeux vidéo (dont les ventes ont littéralement explosé durant les confinements), ce nouvel espace immatériel bénéfice également des nouveaux modes de paiement et de la blockchain pour se doter d’un système économique et financier performant.
Les marques et les groupes de la « Big Tech » embrassent ce nouveau marché à l’abri des confinements, appelé métaverse. Nike vient d’installer son premier magasin digital dans l’univers parallèle de Roblox (67 milliards de dollars de capitalisation boursière) auquel se connectent 43 millions d’utilisateurs par jour tant joueurs que créateurs de contenus. En se renommant Meta Platforms, Facebook entend devenir le système neural au centre de nos vies jumelles. Nvidia, avec son omniverse, a montré comment la puissance de calcul de ses cartes graphiques peut faire confondre le virtuel et le réel, à son échelle, le Français Atari lance son alphaverse.
Pour autant, il faut une vision de très long terme pour s’attaquer à ce monde évanescent encore balbutiant. C’est probablement la raison pour laquelle Nvidia et Facebook, rares « méga caps » de la « Big Tech » encore dirigées par leurs fondateurs ( cette année, Tim Cook a annoncé refuser un nouveau mandat chez Apple, Jeff Bezos a cédé les rênes d’Amazon, Dorsey abandonne Twitter pour Block!) se veulent les pionniers de cette aventure d’éther. Mais les investisseurs commencent à manquer de temps. Leur horizon est troublé par une force plus percutante encore qu’Omicron. En filigrane, la hausse des taux et la fin des conditions financières (trop) avantageuses se profilent. Valorisée sur la base de projections de croissance très lointaines, et donc incertaines, la « Big Tech », réputée « Covid Proof » ne résiste pas à l’aversion au risque. Meta Platforms, qui se négocie 20% sous son prix de septembre, rentre officiellement en « bear market ».
Historiquement, la fin d’année emporte avec elle la volatilité, accouchant du traditionnel « rallye ». Mais tandis que les illuminations festives succèdent aux soldes décevants du Black Friday (premier repli du volume d’affaires du Cyber Monday) la volatilité du Bund crève de nouveaux records annuels. Indécis les marchés obligataires hésitent et malgré l’inflation et le « tapering » de la FED, les taux réels allemands enfoncent les -6%, la courbe des taux s’aplatît. Connectés, les marchés actions sont contaminés par le doute : les indicateurs de dispersion Vix et Vstoxx, qui s’installent fermement au-dessus de 30, augurent d’un mois de décembre qui s’annonce agité pour les investisseurs, quelle que soit la classe d’actifs.
En 1997, la pépite française Quantic Dreams, éditeur du blockbuster vidéoludique « Detroit, become Human », entame le développement de l’un des tous premiers mondes ouverts en trois dimensions de l’histoire du jeu vidéo. Pour la première fois, le quatrième mur est volontairement rompu, le joueur étant appelé à incarner son propre rôle. Au fur et à mesure de ses pérégrinations, il rencontre une singularité, nom donné à une entité mi-humaine mi-digitale, produit de la fusion de l’homme avec la machine incarnée par David Bowie qui prête ses traits, sa voix et ses talents musicaux au petit studio français… Le but du jeu ? Sauver deux mondes qui se connectent au moment où le CD est inséré : le nôtre et celui ,numérique, qui vit de l’autre côté de l’écran. Son nom ? Omikron…
Thomas Planell, Gérant-analyste chez DNCA