Remarques du vice-président exécutif Timmermans et du commissaire Breton lors de la conférence de presse sur le Net-Zero Industry Act et la Banque européenne de l’hydrogène.
Commissioner Thierry Breton:
Tout d’abord, mes remerciements à Frans bien sûr mais aussi bien sûr à Kadri et à son équipe pour la très bonne collaboration sur ce dossier.
Nous connaissons tous nos besoins d’investissements pour atteindre nos objectifs du Green Deal et nous découpler de l’énergie russe. Plus de 450 milliards d’euros par an.
Ce qui est moins connu, ce sont nos besoins d’investissement pour produire ce que nous devons déployer. Nous avons déjà parlé de nos besoins d’investissements en matières premières. Plus de 20 milliards d’euros d’ici 2030 rien que pour alimenter la filière batteries. Mais au-delà, ce sont des investissements massifs qui sont nécessaires dans toutes les technologies clean tech.
Autour de 90 milliards d’euros rien que pour le solaire, l’éolien ou les batteries. Et beaucoup plus si l’on rajoute les carburants alternatifs ou les technologies d’efficacité énergétique. Environ 600 milliards d’euros d’investissements nécessaires d’ici 2030 au niveau mondial, soit plus de trois fois les niveaux actuels.
D’où l’importance de notre initiative aujourd’hui.
Elle s’inscrit dans la réponse européenne à l’IRA bien sûr, mais elle vient surtout renforcer la base industrielle de l’Europe avec à la clé la création d’emplois stables et de qualité sur notre continent. Car nous ne sommes pas dans la réaction, ni dans le court terme. Nous sommes ancrés dans la nouvelle réalité, et prenons notre destin industriel en main.
Avec le Chips Act, avec le Critical Raw Materials Act, et avec le Net Zero Industry Act.
Nos partenaires et alliés (par exemple les États-Unis avec l’IRA) et nos rivaux systémiques (la Chine) tentent d’attirer notre capacité industrielle, risquant de créer nos dépendances de demain. Ou, pour le dire de manière encore plus franche, ils sont engagés dans une course aux subventions. Pas nous, eux. Au moment où notre industrie est déjà confrontée à des prix de l’énergie plus élevés que dans le reste du monde.
Ce n’est pas alarmiste de le dire, c’est la réalité. Et ce n’est pas temporaire. Dans le domaine des voitures électriques, par exemple, nous voyons un risque réel de devenir des importateurs nets. L’année dernière, la Chine a dépassé l’Allemagne pour devenir le deuxième exportateur mondial de voitures.
Alors, que proposons nous ?
1. D’abord une ambition, comme nous l’avons fait dans d’autres actes législatifs : nous voulons qu’à l’horizon 2030, notre capacité industrielle couvre au moins 40% de notre demande européenne de technologies énergétiques propres.
Il se décline bien entendu de manière différenciée selon les technologies. Aujourd’hui les capacités européennes de production sur l’éolien sont de 12 GW. Nous prévoyons 36 GW à l’horizon 2030. Ce qui nous assurera une part de marché bien supérieure à 40%. Mais pour d’autres technologies, comme le solaire, nous partons de beaucoup plus loin. Notre capacité n’est que d’1 GW aujourd’hui, mais grâce au travail de notre alliance industrielle pour le solaire, que j’ai lancé en fin d’année dernière, et à notre proposition, nous pourrons augmenter drastiquement ces capacités. Jusqu’à 24 GW en 2030.
Au final, l’important est de se donner des ambitions communes, comme nous l’avons fait sur les semi-conducteurs.
2. Ensuite, nous proposons de couvrir les technologies essentielles pour la transition, aussi larges que nécessaires, aussi limitées que possible néanmoins pour ne pas se disperser.
Pour résumer en deux mots « l’édifice » que nous avons bâti :
- D’abord, un premier étage, avec des bénéfices immédiats pour toutes les technologies contribuant à nos objectifs 2030 : énergie renouvelable, carburants alternatifs, batteries, bénéficieront d’une réduction de la charge administrative, notamment en facilitant l’octroi de permis, en mettant en place des «bacs à sable » (sandboxes ) réglementaires et en facilitant la formation et le développement des compétences de la filière.
- Ensuite, sur un nombre plus limité de technologies, les États-Membres pourront identifier des projets stratégiques qui bénéficieront de procédures encore plus simplifiées et de coordination de financement.
Et oui, nous avons pu converger sur le besoin de couvrir le nucléaire dans cette proposition. Car il est temps de dépasser les idéologies / idées préconçues et voir la réalité en face. Les données sont là. Sans nucléaire, pas d’autonomie stratégique et de contribution aux efforts climatiques. C’est aussi, reconnaissons-le, une technologie pour laquelle le risque de perte de savoir-faire est réel. C’est donc maintenant qu’il faut réinvestir dans cette filière, et notamment dans la formation. C’est enfin une technologie que nos partenaires américains ont couverte avec l’IRA. Nous devons relancer la filière nucléaire, et nous assurer que les 500 milliards d’investissement prévus d’ici 2050 dans cette filière soient orientés vers des technologies plus innovantes, mais aussi répondant plus à des besoins industriels précis, au travers des petits réacteurs modulables notamment.
3. Nous proposons aussi, comme annoncé dans notre communication du 1er février dernier sur le Green Deal Industrial Plan, des mesures ciblées pour favoriser l’accès au marché de ces technologies.
Vu les sommes colossales qu’il va falloir investir dans la transition verte, les 450 milliards d’investissement annuels dont je parlais tout à l’heure, il est normal de réfléchir aux impacts des interventions publiques sur la demande et sur les produits consommés.
C’est toute la logique de notre approche sur les marchés publics, les mises aux enchères et les systèmes d’aide aux consommateurs : nous invitons les États membres à mieux prendre en compte, dans la définition de ces interventions, les critères de soutenabilité et de résilience. Et quand je dis résilience, c’est tout sauf synonyme de protectionnisme : c’est la recherche de la diversification. Exactement ce que nous voulons promouvoir dans toutes nos initiatives, comme nous venons de le voir dans les matières premières critiques. En un mot, nous voulons acheter « diversifié ».
Et ce, en plein respect de nos obligations internationales bien sûr.
4. Enfin, et c’est très important, nous proposons un cadre ambitieux pour renforcer les compétences et les qualifications.
Si nous voulons un secteur des technologies propres dynamique, nous devons – comme dans tant d’autres domaines – investir dans la formation et les qualifications professionnelles. Les académies sur les technologies Net-Zero que nous allons lancer, sur la base de ce que nous avons fait au sein de l’Alliance batteries, seront un formidable outil pour une main d’œuvre européenne tournée vers les technologies de demain.
Enfin, un dernier mot sur le financement. Nous le savons, face à la concurrence exacerbée des pays tiers, il nous fallait une réponse ambitieuse. Certaines réponses ont été apportées la semaine dernière, grâce à la réforme du cadre temporaire et de transition pour les aides d’état. D’autres proviendront d’une utilisation plus pragmatique et flexible des fonds européens. Mais nous avons appris une chose dans cette histoire. C’est que si l’Europe est excellente pour aider au déploiement, ou à la R&D, en ce qui concerne la capacité productive, beaucoup moins de fonds européens sont disponibles (moins de 8 milliards). C’est bien sûr une leçon dont nous tiendrons compte dans les discussions futures sur la réforme du cadre financier pluri-annuel.