Le Rapport Trimestriel BRI (Bank for International Settlements) accorde une large place à l’attention croissante portée par les investisseurs aux vulnérabilités apparues dans les économies de marché émergentes (EME) et à leurs conséquences pour les marchés mondiaux. Le rapport est consacré, par ailleurs, aux toutes dernières améliorations apportées aux séries statistiques compilées et publiées par la BRI.
En particulier :
* enrichissement des statistiques bancaires territoriales et consolidées BRI ; les divers ajouts devraient favoriser une analyse plus fine des activités de prêt et de financement des banques, et de leur rôle dans la transmission internationale des chocs.
* nouvelle base de données sur la dette publique, qui rassemble des données trimestrielles sur les principales composantes de la dette des administrations publiques dans 40 économies, avancées et émergentes.
* publication d’estimations du ratio du service de la dette – remboursements du principal et paiements des intérêts rapportés au revenu – du secteur privé dans 32 économies, avancées et émergentes.
Ces améliorations sont décrites en détail dans les études publiées ce trimestre. Par ailleurs, le Guide abrégé des statistiques BRI, établi par le Département monétaire et économique de la BRI, passe en revue les divers ensembles statistiques compilés par la BRI, en indiquant comment ils peuvent être exploités à des fins de suivi et d’analyse économiques et financiers. Le commentaire des récentes tendances observées sur les marchés financiers et dans les flux financiers mondiaux met principalement en évidence les points suivants :
Les investisseurs, de plus en plus sensibles aux vulnérabilités croissantes apparues dans les EME – et notamment, la Chine -, ont révisé leurs projections quant à la croissance mondiale. Le tournant pris récemment par la Chine, conjugué aux négociations sur la crise grecque en juin et début juillet, a entamé la confiance des investisseurs et pesé sur le prix des actifs partout dans le monde. Il s’en est suivi un cycle de fragilité rétroalimenté qui a d’abord touché les prix des matières premières, puis le marché boursier et le cours des monnaies des économies émergentes, causant des perturbations sur les marchés des économies avancées.
Plus tôt dans l’année, divers revirements de tendance, concernant l’activité bancaire, les marchés de titres et l’état de la liquidité mondiale, pouvaient laisser présager nombre de ces événements. Les conditions de liquidité mondiale, favorables en début d’année, surtout dans les économies avancées, ont montré des signes de fragilité dans les EME. Fin mars 2015, le financement en dollar des emprunteurs non bancaires hors des États-Unis totalisait $9 600 milliards, le financement en euro, du secteur non bancaire hors de la zone euro s’établissant à $2 800 milliards.
Les créances transfrontières libellées en euro et l’activité de prêt à destination de pays européens, zone euro comprise, se sont envolées au premier trimestre 2015 ; la Grèce faisait toutefois figure d’exception. Les émissions nettes de titres de dette par des emprunteurs d’économies avancées ont enregistré leur plus rapide progression depuis la crise financière mondiale, tandis qu’elles reculaient dans les EME.
Deux études économiques
Les taux courts et les taux longs aux États-Unis ont, tant d’un point de vue statistique qu’économique – et ce, même en prenant en considération les liens commerciaux et financiers – une incidence non négligeable sur leurs équivalents dans les EME et les petites économies avancées. Ce phénomène résulte, en partie, d’effets d’entraînement de la politique monétaire, autrement dit, témoigne de l’influence des taux directeurs des États-Unis sur les taux directeurs d’autres pays.
À mesure que les banques européennes se désengageaient de la région Asie-Pacifique, l’activité bancaire transfrontière dans cette région s’est renforcée durant la période d’après-crise. Les autorités de la région s’emploient à trouver un juste équilibre entre les gains d’efficacité découlant de cette intégration régionale accrue et la nécessité de relever les défis qui se posent sur le plan de la réglementation et de la stabilité financière, par exemple, la surveillance et l’atténuation des risques de liquidité et de financement dans le secteur bancaire.
Les vulnérabilités des EME au cœur des préoccupations
Ces derniers mois, les investisseurs ont porté une attention croissante aux vulnérabilités dans les EME, notamment la Chine, et ont réévalué leurs projections de croissance mondiale. En Chine, les marchés boursiers ont chuté en juin-juillet 2015, après une période d’expansion qui avait porté la valorisation de nombreux titres à des niveaux extrêmes. Avec les négociations sur la crise grecque en juin et début juillet, cette baisse brutale a contribué à entamer la confiance des investisseurs et pesé sur le prix des actifs un peu partout dans le monde.
Les prix des produits de base, pétrole en tête, ont retrouvé leur tendance baissière, amorcée en 2014 et brièvement interrompue au deuxième trimestre 2015. Le sentiment que la demande reculait en raison du fléchissement de l’activité économique dans plusieurs EME a très certainement joué un rôle déterminant. De même, la chute des prix des produits de base a pesé sur les perspectives de croissance des économies émergentes productrices de matières premières. En conséquence, de nombreux pays producteurs de produits de base ont vu le cours de change de leur monnaie se déprécier à nouveau, une tendance encore exacerbée par une nouvelle appréciation du dollar explicable par les perspectives d’orientation de la politique monétaire américaine.
Sur les marchés des obligations d’État, après une vive progression en avril et en mai (tout particulièrement sur le marché des obligations de l’État allemand), les rendements ont reculé en juin. Dans ce chapitre du Trimestriel, un encadré s’intéresse aux variations des conditions de liquidité de marché durant la période et à leurs conséquences.
Principaux aspects des financements internationaux
Les conditions de liquidité mondiale étaient favorables début 2015, en particulier aux emprunteurs des économies avancées. Le financement international s’est fortement accru dans ces économies et s’est caractérisé par une croissance particulièrement forte du financement bancaire et du financement de marché en euro. Dans le même temps, le financement international a manifesté des signes de ralentissement dans les EME, en particulier en Chine et en Russie.
Fin mars 2015, le financement en dollar d’emprunteurs non financiers hors des États-Unis totalisait $9 600 milliards, le financement en euro du secteur non bancaire hors de la zone euro s’établissant à $2 800 milliards. Les créances transfrontières des banques déclarantes BRI ont poursuivi leur essor début 2015 et les émissions de titres de dette internationaux sont restées élevées.
Toutefois, si l’activité bancaire et les émissions de titres dans les économies avancées sont restées fortes, le financement international des EME s’est ralenti. Les prêts bancaires transfrontières aux EME se sont contractés de $52 milliards, sur une base corrigée des effets de change, au premier trimestre 2015. Les émissions nettes de titres de dette par des emprunteurs des économies avancées ont totalisé $247 milliards au premier semestre 2015, enregistrant ainsi leur plus rapide progression depuis la période qui a immédiatement précédé la crise financière mondiale. Dans le même temps, les emprunteurs des EME ont émis pour $137 milliards de titres de dette, montant net de remboursements, une baisse sensible par rapport aux trois années précédentes. Les indicateurs précoces signalent la persistance de vulnérabilités liées au surendettement de grandes EME.
Des statistiques BRI
La BRI a apporté plusieurs modifications à ses statistiques afin d’en élargir la couverture : publication de nouvelles catégories de données, réorganisation de leur publication et renforcement de l’orientation stratégique. Cet abrégé, élaboré par le Département monétaire et économique, fournit une brève description de chaque série de statistiques BRI et explique comment les exploiter au mieux à des fins d’analyse.
Statistiques bancaires internationales BRI – incorporation de nouvelles données*
Les statistiques bancaires internationales BRI ont évolué au fil du temps pour répondre aux mutations du système financier international. Elles viennent de faire l’objet de deux améliorations : l’ajout d’informations, d’une part, sur l’activité locale des banques et, d’autre part, sur les contreparties des établissements bancaires. Comme le montrent les auteurs de cette étude, Stefan Avdjiev, Patrick McGuire et Philip Wooldridge (tous trois de la BRI), ces modifications devraient permettre une analyse plus fine des activités de prêt et de financement des banques, et de leur rôle dans la propagation des chocs d’un pays à un autre.
Nouvelle base de données sur la dette du secteur public*
Les auteurs de l’étude, Christian Dembiermont, Michela Scatigna, Robert Szemere et Bruno Tissot (tous quatre de la BRI), présentent une nouvelle base de données sur la dette des administrations publiques dans 26 économies avancées et 14 EME. Utilisée en association avec la base de données BRI sur le crédit au secteur privé non financier, elle permet d’appréhender l’endettement total du secteur non financier. Certaines des séries qui la composent sont exprimées à la fois en valeur nominale (montants effectifs des paiements) et en valeur de marché. Dans toute la mesure du possible, des principes uniformes ont été appliqués à la consolidation des données, à la sélection des instruments pris en considération et à la définition des sous-secteurs couverts, notamment. En raison du choix délibéré de se concentrer sur les instruments de dette les plus importants, les séries résultantes devraient particulièrement convenir aux analyses comparatives de l’endettement des administrations publiques dans différents pays.
Part du revenu consacrée au remboursement ? Nouvelle base de données BRI sur le ratio du service de la dette*
Le ratio du service de la dette (DSR, debt service ratio), en d’autres termes le rapport entre remboursements, en intérêts et principal, et revenu, est un bon indicateur des interactions entre niveau d’endettement et économie réelle. La BRI a donc créé une base de données intégrant des séries commençant en 1999, afin de produire et de publier une estimation du DSR agrégé du secteur non financier privé dans 32 économies, avancées et émergentes. Les auteurs de l’étude, Mathias Drehmann, Annamaria Illes et Marjorie Santos (tous trois de la BRI) ainsi que Mikael Juselius (Banque de Finlande), expliquent la méthodologie et les concepts fondamentaux mis en œuvre pour produire cet indicateur. Pour la majorité des pays couverts, un indicateur distinct est produit pour la dette des ménages et celle des entreprises hors secteur financier. Les auteurs montrent que, même établie à partir de données agrégées relativement peu fournies, cette estimation du DSR donne une bonne idée des tendances de la charge de la dette. Comme le confirme un bref examen de son évolution au cours de ces dernières années, cet indicateur est plus précis que le ratio dette/revenu ou que de simples mesures de paiements d’intérêts rapportés au revenu, car il prend en considération à la fois le remboursement du principal et le paiement des intérêts.
Contagion monétaire internationale*
Bien que tous les pays ne soient pas nécessairement en même temps au même stade du cycle économique, les taux d’intérêt ont évolué de conserve ces dernières années. Boris Hofmann et Előd Takáts (tous deux de la BRI) tentent de déterminer si ces comouvements s’expliquent par des effets de contagion monétaire internationale, autrement dit si les taux d’intérêt dans les grandes économies avancées ont une influence prépondérante sur les taux d’intérêt d’autres pays. S’appuyant sur l’analyse de 30 EME et petites économies avancées ouvertes depuis 2000, ils constatent que : i) les taux courts et longs aux États-Unis ont une incidence non négligeable sur les taux équivalents d’autres économies ; ii) ce phénomène résulte, en partie, d’effets d’entraînement de la politique monétaire. Autrement dit, les taux directeurs américains ont une influence sur les taux directeurs d’autres pays plus grande qu’on ne l’attendrait d’effets de contagion normaux des conditions macroéconomiques.
L’essor de l’activité bancaire régionale en Asie-Pacifique*
Avant la Grande crise financière de 2007-2009, une bonne part de l’activité bancaire transfrontière en Asie-Pacifique était constituée d’opérations de crédit en dollar réalisées par des banques, surtout européennes. Les auteurs de l’étude, Ilhyock Shim et Eli Remolona (tous deux de la BRI), notent que, au lendemain de la crise, ce marché a perdu presque tous ses acteurs européens. Les banques de la région dominent désormais l’activité transfrontière. Elles ont de plus pris une part croissante de l’activité de prêt en devises à court terme. Les autorités financières de la région s’emploient à trouver des dispositions, tel le cadre d’intégration bancaire de l’ASEAN (Association des Nations de l’Asie du Sud-Est) pour instaurer un juste équilibre entre les gains d’efficacité découlant de l’intégration régionale et la nécessité de suivre et de surveiller les risques d’instabilité financière.
* Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de la BRI.
Les vulnérabilités des économies de marché émergentes au cœur des préoccupations
15 septembre 2015