Il y a 80 ans, la déflation de Laval

29 décembre 2015

Bruno Colmant
Il y a quatre-vingts ans (1935-36), le gouvernement de Pierre Laval s’échouait sur une déflation. Fusillé pour haute trahison en 1945 et qualifié d’ «infâme », il aura été, avec Pétain, l’artisan d’une honteuse collaboration et de l’extermination des juifs. Pourtant, une décennie plus tôt, il est un héros. Il est même désigné homme de l’année 1931 par le prestigieux Magazine Time. Et ceux qui remontent à pied Broadway auront remarqué que son nom est scellé sur le trottoir, tout près de Wall Street, dans le « Canyon of Heroes ». Le 22 octobre 1931, Pierre Laval fut le héros d’une parade New Yorkaise. Quelques jours plus tard, ce sera au tour de Pétain.

Si Laval fut l’architecte de l’ignominie, il a contribué à l’un des plus grands égarements économiques de l’entre-deux guerres. Les économistes contemporains le qualifieront de « déflation » de Laval.
C’est en 1935 que Laval prend les rênes du pouvoir. L’Europe s’essouffle sous la Grande Dépression. Pourtant, la France ne s’en sort pas si mal. Son économe agricole et artisanale l’immunise des chocs conjoncturels, et l’industrie est moins vulnérable qu’en Allemagne, fragilisée par l’inflation des années vingt, les dommages de guerre et les dépenses de réarmement. Le revenu national français ne baisse que de 10% en francs constants entre 1930 et 1934, alors que l’effondrement atteint 20 à 25% en Grande-Bretagne et aux États-Unis, et 30% en Allemagne.
C’est alors qu’inspiré par la désastreuse doctrine Hoover, Laval prend de mauvaises décisions dans des temps difficiles. Il décide de l’austérité et d’une politique monétaire restrictive, c’est-à-dire déflationniste. En fait, Laval postule les vertus rédemptrices et morales de l’exigence budgétaire. Il prend des mesures apparemment disciplinantes, mais erronées : diminution de 10% des traitements des fonctionnaires, hausse des impôts, baisse négociée ou réglementée des prix de certains produits… Le résultat est catastrophique. Très rapidement les taux d’intérêt français augmentent, alors qu’ils baissent partout ailleurs. Les prix baissent, la consommation s’écroule et l’investissement chute.
La surévaluation du franc – de l’ordre de 20 à 30% selon les devises– évince les entreprises du marché mondial. Les exportations reculent de 45 %, encourageant les revendications protectionnistes et le repli sur l’empire colonial qui commence à absorber une part excessive des exportations. La crise financière alimente une crise monétaire chronique. Les réserves de la Banque de France s’évaporent et les capitaux fuient en masse.
Dès 1933, la Conférence de Londres avait pourtant essayé de négocier une sortie concertée de la crise, mais la France s’y était opposée. Pendant qu’elle s’obstinait à une discipline monétaire contreproductive, les autres pays développés s’engageaient dans des dévaluations compétitives.
L’échec de Pierre Laval sera lourd de conséquence. Ses exigences budgétaires empêcheront le réarmement face à l’Allemagne. Quelques mois plus tard, le Front Populaire prendra le pouvoir et son leader, Léon Blum sera forcé d’ancrer la France dans le pacifisme. Blum finira par dévaluer le franc pour mettre fin à la déflation de Pierre Laval, mais c’est trop tard.
Quelques années plus tard, Pierre Laval pourra s’accommoder des conséquences de sa politique de complaisance par rapport à l’Allemagne, victorieuse parce que réarmée. Il en deviendra un fidèle allié.
Alors, quelles leçons doit-on tirer de la déflation de Laval ? Les temps sont différents mais les enseignements sont nombreux. Le principal est que la déflation n’est pas le bon choix car elle déclenche des crises sociales. Ceci explique la volonté des autorités monétaires de garder les taux d’intérêt bas et d’inonder les économies grippées d’une abondance de liquidité. Ce sera donc probablement par l’inflation que nos économies sortiront de la crise.

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