Alain Deladrière
Avec Maître Jean-Pierre Buyle, Partner Buyle Legal et ancien Bâtonnier du Barreau de Bruxelles, à travers plusieurs articles, nous revenons en détail sur les changements importants qu’a apportés la Réforme de la Loi bancaire en Belgique et sur ce qu’il faut en penser. Cette loi prévoit entre autres l’établissement d’un mémorandum de gouvernance que doivent établir les établissements de crédit en se référant au Manuel de gouvernance de la BNB. Cela inclut notamment une refonte du Conseil d’administration développée dans ce premier volet.
Les établissements de crédit et des entreprises d’investissement belges ont fait l’objet d’une approche importante du législateur à la suite de la crise que nous avons connue en 2007-2008 et qui a montré certains dysfonctionnements.
Jean-Pierre Buyle: « Tout le secteur bancaire est basé sur la confiance. La crise financière a porté atteinte à cette confiance et elle n’est pas encore tout à fait rétablie à l’égard du public mais également des autorités. Et les autorités législatives, exécutives et judiciaires ont fait comprendre au secteur bancaire qu’il y avait des comportements répréhensibles qui étaient inacceptables.
L’objectif de la Réforme de la Loi bancaire en matière d’organisation interne était en réalité d’avoir un dispositif, une organisation interne solide d’une part et adéquate, d’autre part, pour garantir une gestion plus efficace et plus prudente de la banque. Ce qui est au coeur de la réforme est vraiment aujourd’hui plus un problème de responsabilité, un problème de risque. ‘Prévenir les risques’ est le mot d’ordre que l’on va retrouver en filigrane de toute cette réforme.
Chaque banque doit établir un mémorandum de gouvernance qui va décrire les mesures organisationnelles. On se rappelle qu’il y a un certain temps, les banques étaient organisées de manière moins professionnelles. Un protocole avait été conclu avec les autorités de contrôle et les banques : le protocole de l’autonomie bancaire. Tout cela était un peu bon enfant si je peux dire, pas très professionnel. »
Risk&Compliance Platform Europe: Que prévoie ce mémorandum de gouvernance?
Jean-Pierre Buyle: « Il prévoit différentes choses comme une structure de gestion adéquate, les fonctions qui vont être reprises dans l’organigramme, les pouvoirs, les responsabilités. Ce mémorandum prévoit aussi des procédures de contrôle interne et de gestion des risques. Il faut organiser des fonctions indépendantes pour trois acteurs clés qui sont l’audit, les risques et le compliance. Il faut avoir des politiques d’intégrité et de rémunération. Et enfin, prévoir des systèmes d’alerte interne en cas d’infractions comme le whistleblowing qui pose la question de l’indépendance, de l’autonomie, de la responsabilité de ces déclencheurs d’alerte. Comment faire en sorte qu’ils soient préservés pour qu’ils fonctionnent bien ?
Dans les nouveautés pour aider les banques dans ce travail de rédaction et de mise à jour du mémorandum de gouvernance, la Banque Nationale de Belgique (BNB), depuis Twin Peaks l’autorité de contrôle N°1 des établissements de crédit, vient d’édicter un Manuel de gouvernance consultable en ligne. C’est une circulaire du 7 décembre 2015. Ce site est intéressant parce qu’il comprend toutes les règles applicables en matière de gouvernance des établissements de crédit. C’est un document en constante évolution puisque régulièrement mis à jour. D’autre part, la structure de ce site ou de ce manuel suit exactement la structure de la Loi bancaire. La Loi bancaire et ce Manuel de gouvernance se lisent en parallèle. Chaque banque peut assez aisément rédiger et adapter son mémorandum de gouvernance. »
Risk&Compliance Platform Europe : Quels sont les organes principaux prévus par cette gouvernance ?
Jean-Pierre Buyle : « Les organes principaux sont le Conseil d’administration, le Comité de direction et quatre Comités consultatifs. »
Le Conseil d’administration
« La Loi bancaire a rendu au Conseil d’administration ses lettres de noblesse si je peux dire. On redonne du pouvoir au Conseil d’administration, alors qu’il avait glissé un peu vers le Comité de direction. On a vu lors des crises que nous avons connues, pas uniquement en Belgique mais en Europe et certainement dans les pays anglo-saxons, des abus de pouvoir de certains Comités de direction qui agissaient sans beaucoup de transparence parfois et sans beaucoup de contre-pouvoir.
Le rôle et les responsabilités du Conseil d’administration sont accrus par la réforme bancaire. Le Conseil d’administration assure la responsabilité globale dans la banque.
Et dans les banques qui sont cotées en bourse, il est intéressant de rappeler le droit commun qui stipule qu’un tiers des administrateurs doivent être des femmes. C’est intéressant parce que la parité est en marché. On se plaint souvent de ce que les femmes n’assument pas des fonctions de direction dans les lieux de pouvoir c’est-à-dire la politique et le pouvoir financier. Citez moi un exemple d’une banque qui est dirigée en Belgique par une femme? Il n’y en a aucune. Citez moi une banque où des femmes sont membres du Conseil d’administration ou du Comité de direction? Elles sont très rares. En l’occurrence, il est intéressant d’avoir une volonté d’une parité, certes limitée à un tiers mais c’est déjà cela, prévue par la loi lorsqu’on est coté en bourse.
Autre nouveauté. Les membres du Conseil d’administration sont responsabilisés. Cela veut dire que seules des personnes physiques peuvent être administrateurs. Adieu les sociétés de management. Il faut que chaque administrateur soit une personne physique. C’est nouveau, c’est dérogatoire au droit commun des sociétés.
Le Conseil d’administration, c’est aussi nouveau, doit être composé majoritairement d’administrateurs non exécutifs c’est-à-dire de membres qui ne siègent pas au Comité de direction. Là aussi c’est un contre-pouvoir, là aussi c’est une manière de rendre les choses plus équilibrées avec des contrepoids. Le Président du Conseil d’administration ne peut en principe pas être le Président du Comité de direction. Quand je dis en principe c’est qu’évidemment plusieurs règles dont je parle ici font l’objet d’exceptions. Le plus souvent ces exceptions sont liées à la taille de la banque. Plus la banque est grande, plus on va se montrer rigoureux dans les règles fixées par le législateur. Plus elle est petite, moins on va trouver du personnel, je dirais, pour mettre dans chacun des tiroirs du Conseil d’administration, du Comité de direction et des Comités. Parfois, il faudra donc bien qu’il y ait des doubles casquettes. Mais sinon, ce n’est pas l’esprit du législateur. »
Les qualités personnelles exigées des administrateurs
Jean-Pierre Buyle : « La loi met l’accent sur plusieurs qualités que l’on attend des administrateurs. D’abord sur les compétences, sur l’expertise. Fini les administrateurs qui sont là de père en fils ou par délégation servile de représentants d’intérêts. Il y a vraiment une exigence de compétence. Fini de déléguer des membres de partis politiques dans les banques nationalisées sans avoir au préalable montré patte blanche, présenté des diplômes, prouvé l’expérience…
Le ‘fit and proper’, une notion anglo-saxonne, est aussi renforcé. On va demander une absence de condamnation pénale ou de sanctions administratives par la BNB ou la FSMA. Ce caractère du ‘fit and proper’ va être vérifié tout au long de la carrière de l’administrateur avec des questions extrêmement délicates qui vont se poser. Prenons le cas d’un administrateur qui est inculpé dans une affaire financière, par exemple, de manipulation de cours de bourse, de délit d’initié ou d’infraction au code de droit des sociétés; évidemment s’il est condamné, il doit démissionner mais que se passe-t-il s’il est simplement inculpé? Lorsqu’on est inculpé, on reste présumé innocent et il faut que les droits de la défense puissent s’organiser. Mais est-ce qu’une autorité de contrôle va exiger d’un administrateur qui est inculpé, de démissionner uniquement parce qu’il fait l’objet d’une inculpation ? Va-t-on attendre que la Chambre du conseil se prononce sur le renvoi de la personne concernée devant les juridictions de fond ? Ou va-t-on attendre une condamnation? Il y a là une réelle exigence éthique qui est renforcée par la Loi bancaire.
Deuxième accent qui est également nouveau: la disponibilité des administrateurs. Le nombre de mandats est limité. Il y a des règles strictes en matière de cumul. On veut vraiment que l’administrateur qui porte sa candidature dans le cadre d’une banque consacre ses meilleures énergies et son meilleur temps à la gestion de la banque et de ne pas courir parfois de chaise vide en chaise vide, d’une réunion à une autre sans être à la disponibilité de la banque concernée.
Des règles strictes ont aussi été édictées en matière d’interdiction d’octroi de crédit, de prêts ou de sûretés aux administrateurs. Ces règles étaient tellement strictes dans la loi de 2014 qu’elles viennent d’être un peu assouplies par une loi de réparation. Mais pour ces règles strictes, si elles s’étendent aux sociétés du groupe de la banque, leur non respect est sanctionné pénalement. Par conséquent, le régime de faveur intrabancaire avec des avantages en nature qui avaient parfois été non maîtrisés est un régime en principe terminé.
La Loi bancaire va aussi confier certaines fonctions au Conseil d’administration dont la gestion des risques et la responsabilité finale de ce que l’on appelle la conformité des activités de la banque aux lois et règlements. En première ligne, nous avons évidemment le compliance et les responsables de cette conformité qui ont pris aujourd’hui le pouvoir dans les banques. C’est une évolution des choses : ces responsables sont là pour vérifier la conformité, pour faire en sorte que la réputation de la banque ne soit pas atteinte par des comportements qui ne seraient pas adéquats au regard des règles en vigueur. Le responsable de la conformité – j’en reparlerai ultérieurement – rapporte directement au Conseil d’administration, ce qui montre l’indépendance que l’on a voulue à l’égard de ces acteurs apparus il y a quelques années. »
(A suivre)
Réforme de la Loi bancaire et gouvernance des établissements de crédit et des entreprises d'investissement (1)
08 février 2016