Inde: Une nation unie?

26 août 2016

Frank Vranken
Vingt-cinq ans après l’adoption d’une loi importante qui a libéralisé l’économie du pays, l’Inde reste un pays dans lequel il est notoirement difficile de faire des affaires. Classée nation la plus bureaucratique d’Asie, l’Inde occupe une consternante 130e place au dernier indice « Facilité de faire des affaires » de la Banque mondiale – juste derrière la Cisjordanie et Gaza.
L’Inde reste néanmoins extrêmement dynamique à l’échelle mondiale : ce pays qui, de toutes les grandes économies mondiales, affiche la croissance la plus rapide a connu une expansion de 7,9 % au premier trimestre, après avoir enregistré une croissance de 7,5 % sur l’ensemble de l’année 2015. Maintenant que le Sénat indien a approuvé l’introduction d’une taxe sur les produits et les services (TPS), il y a tout lieu de croire qu’il sera beaucoup plus facile de faire des affaires en Inde et que les perspectives de croissance à long terme sont encore plus brillantes. Même si la TPS nécessite encore l’approbation de la Chambre des Députés et le soutien d’au moins 15 organes législatifs à l’échelle des États, son adoption est largement attendue, ce qui représente une grande victoire pour le gouvernement du Premier ministre Narendra Modi.
Introduction d’un régime fiscal unifié et simplifié
En effet, l’importance de la TPS peut difficilement être surestimée. La loi remplacera le système actuel de fiscalité indirecte (une mosaïque insensée de redevances imposées par chacun des 29 États du pays) par un régime unifié concernant le négoce des biens et des services. Elle créera, en substance, un marché commun de 1,3 milliard de consommateurs. Son adoption rendra les échanges internes beaucoup plus fluides, mettant fin au spectacle habituel des interminables files d’attente de camions immobilisés aux frontières des différents États, dont les chauffeurs désabusés remplissent des liasses de papiers administratifs en mâchant leur paan.
Bien que sa mise en œuvre soit susceptible d’être perturbatrice à court terme et que les coûts associés soient élevés, la TPS devrait accroître le PIB annuel de 0,5 à 1,5 % à long terme. L’introduction d’un régime fiscal unifié et simplifié stimulera également l’emploi, notamment dans le secteur manufacturier, et dopera les investissements étrangers, contribuant ainsi à réduire un déficit courant du pays déjà en recul. Décrite par un observateur comme étant le « Brexit inverse de l’Inde », la TPS était attendue depuis longtemps. Initialement suggérée par le Bharatiya Janata Party (BJP) de Modi il y a 16 ans, la délégation de compétences régionales, quelles qu’elles soient, à l’État central a toujours été difficile à faire accepter dans ce pays où l’identité régionale est nettement plus forte que le sentiment d’appartenance à la nation.
E pluribus pluribus
L’Inde compte 22 langues officiellement reconnues, transcrites en 13 écritures distinctes, et plus de 720 dialectes. En réalité, au-delà du cricket et de Bollywood, peu de choses unissent cette nation diversifiée sur le plan ethnique et fragmentée sur le plan géographique. L’homme d’État indien Shashi Tharoor faisait remarquer qu’alors que les États-Unis proclament fièrement leur foi dans l’idéal « E pluribus unum », soit « De plusieurs, un seul », la devise de l’Inde pourrait être « E pluribus pluribus » ou « De plusieurs, plusieurs ».
Dans cette perspective, l’Inde ressemble beaucoup plus à l’Union européenne, deuxième plus important partenaire commercial du pays après le Conseil de coopération du Golfe, qu’aux États-Unis. C’est également pourquoi la comparaison entre la TPS et le vote sur le Brexit est aussi pertinente. Dans un contexte de progression des idées protectionnistes, où certains nativistes comme Donald Trump menacent d’introduire des tarifs de 45 % sur les importations chinoises et de construire un mur à la frontière mexicaine, l’Inde a franchi une étape importante dans le sens opposé. Reste à voir si le gouvernement Modi pourra respecter son échéance d’avril 2017 concernant l’entrée en vigueur de la TPS. Bien que peu probable, il est également possible que la nécessaire modification de la constitution soit rejetée. Mais pour l’heure, les perspectives de ce pays éternellement divisé et extraordinairement bureaucratique semblent plus brillantes que jamais.
L’auteur, Frank Vranken, est Chief Strategist chez Puilaetco Dewaay.

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