Dans un texte récent, Jean Tirole, prix Nobel d’économie, suggérait que l’Etat planique devrait faire place à l’Etat arbitre. Ce propos est percutant. L’Etat planique, au sens de la mise en œuvre des plans quinquennaux d’après-guerre, fut la configuration étatique adoptée alors que tout était à reconstruire. Il fallait des impulsions régaliennes destinées à ordonnancer la reconstruction. C’est incidemment dans cet esprit que la sécurité sociale, et plus généralement l’Etat providence, fut fondé.
Cet Etat-providence constitue un précieux filet social, mais, dès la fin des trente glorieuses, c’est-à-dire des années septante, son financement fut assuré par l’emprunt, lui-même aggravé par un phénomène heureux, mais dispendieux, à savoir le vieillissement de la population. Aujourd’hui, les finances publiques sont grevées d’une dette suffocante que seule la baisse des taux d’intérêt autorise. L’Etat-providence s’est, en réalité, consumé dans la dette que les futures générations devront financer. La providence a donc été arbitrée au détriment de la jeunesse.
Faut-il, dès lors, abandonner une vision planique de l’économie pour adopter un Etat-arbitre qui imposerait d’autres partages sociaux. Oui, dans une certaine mesure. Mais les choses ont fort changé. Même les pays les plus libéraux, comme les Etats-Unis, ont resserré leur partenariat avec des entreprises mondiales au relent monopolistique, tandis que les inégalités s’aggravent. Dès lors, une économie planique garde, à mon intuition, un fondement.
Encore faut-il qu’elle ne tombe pas dans son pire travers, à savoir une économie administrée, c’est-à-dire une économie dont la charpente constitue l’administration et pas les gouvernements. Et c’est malheureusement l’obscure fatalité qui affecte nos pays européens, dont la Belgique. L’Europe y est pour beaucoup, car nos Etats sont désormais étouffés entre une opaque et dirigiste technocratie européenne et des corps administratifs pléthoriques. Ces deux forces antagonistes étouffent l’économie privée.
Bruno Colmant