L’assurance contre les risques politiques est devenue une véritable priorité pour les multinationales. Mais comment le marché y répond-il ? Le produit ARP évolue-t-il pour répondre aux besoins des entreprises actives dans un monde en perpétuel changement ? Un débat animé entre les membres du panel à l’occasion du forum sur les risques des multinationales organisé par Chubb a révélé tout ce qui était mis en œuvre pour aider les entreprises à gérer leurs expositions aux risques politiques. Découverte aussi sur la manière dont les assureurs peuvent élever le niveau.
Mike Jones : Quels sont les aspects les plus compliqués dans la gestion du risque politique d’un point de vue des multinationales ?
Adam Stanley-Smith : Il était autrefois possible d’analyser la situation d’un pays tous les six mois, voire une fois par an, ce qui convenait parfaitement. Regardez le nord du Nigeria : avant, peu de choses changeaient en l’espace de cinq ou dix ans. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. De nos jours, si vous ne contrôlez pas la situation dans un pays toutes les semaines pour savoir ce qu’il s’y passe, vous risquez de passer à côté de quelque chose d’important. La Syrie est un autre exemple représentatif. En six mois, la Syrie est passée d’un pays très stable et très sûr à une zone en guerre. Du coup, le délai entre le moment où un problème est visible pour la première fois et où la situation se détériore s’est sensiblement raccourci. Mais pour de nombreuses entreprises, il est difficile de s’en préoccuper au quotidien en observant ces pays, en analysant les différents problèmes que subissent les habitants sur place et en réfléchissant à l’évolution potentielle de la situation dans une semaine, dans deux semaines, dans un an.
Mike Jones : Qu’en est-il en particulier de la question du kidnapping et des demandes de rançon ?
Adam Stanley-Smith : Il y a dix ans, 80 % des kidnappings dans le monde se produisaient en Amérique latine. Aujourd’hui, ce n’est plus que 50 %. Où se produisent-ils alors ? En Afrique, en Asie. Et cela change tous les jours. Toutes les heures, pratiquement.
Mike Jones : Nous avons connu des attaques terroristes vraiment effroyables en France, mais aussi ici, à Bruxelles, ces deux dernières années. Les pertes massives, la panique et la peur restent très clairement des objectifs essentiels pour ces organisations terroristes. Pourtant, le mode opératoire de ces groupes change constamment, n’est-ce pas ?
Piers Gregory : L’idéologie des groupes terroristes s’est décentralisée et diversifiée sur plusieurs territoires. Nous avons vu la menace émerger de différentes manières et en Allemagne, en France, les attaques par des loups solitaires sont de plus en plus fréquentes. Elles sont perpétrées par des individus seuls, ce qui est, dès lors, beaucoup plus difficile à contrôler et à arrêter. L’enjeu pour les entreprises est de comprendre comment ce type d’incident peut avoir un impact sur leurs revenus. Elles devraient s’intéresser principalement à l’interruption de leurs activités, parce que ce type d’attaque a tendance à être de moins grande envergure qu’une bombe à grande échelle, par exemple. C’est la chaîne d’approvisionnement qui est mise à l’avant-plan, et avec elle le concept d’interruption des activités sans pertes. Les acheteurs se concentrent dès lors sur les termes et la couverture, sur leur manière d’interagir et éventuellement sur les moyens de combler les lacunes.
Mike Jones : Les attaques à Paris et à Bruxelles ont-elles changé la perspective des gens sur les questions d’interruption des activités ?
Piers Gregory : Oui, ces événements ont mis une pression inouïe sur le marché des assurances en termes d’innovation et de prise en compte du risque d’interruption des activités. Davantage de produits d’assurance sont aujourd’hui proposés sur le marché couvrant ce type de menace qui fait « perdre de l’attraction » ou « empêche d’avoir accès » et les entreprises veulent savoir dans quelle mesure ils interviennent. La difficulté en tant qu’assureur est de définir la manière dont nous comprenons et contrôlons ce risque, étant donné que la portée de ce risque s’est largement étendue.
Mike Jones : Murray, pour laisser de côté le terrorisme et se concentrer sur le risque politique, beaucoup d’incertitude a émergé suite à la montée du populisme dans de nombreux pays. Quels sont les risques à venir ?
Murray Ross : Quand on parle de la montée du populisme, on parle inévitablement du protectionnisme. La Chine revendique des territoires et des terres. Cela a des répercutions, pas seulement sur les relations entre deux pays, mais aussi sur la manière dont les autres réagissent : vont-ils imposer des sanctions ? Vont-ils placer un embargo commercial ou autre ? Un autre exemple des problèmes engendrés par le populisme est la récente dispute entre les Pays-Bas et la Turquie. Les Pays-Bas ont refusé d’accueillir deux politiciens turcs dans leur pays pour un débat et la Turquie a réagi à cette histoire. Un investisseur néerlandais en Turquie pourrait être impacté par cette prise de bec qui semble être apparue de nulle part et je pense qu’il risque d’y avoir de plus en plus d’accrochages de ce genre.
Mike Jones : Rosalie, quelles sont les plus grandes difficultés que vous rencontrez en tant que gestionnaire de risques en termes de risques pour les multinationales ?
Rosalie André : La plus grande difficulté est la diversité des risques sur l’éventail des risques politiques. Il est très important de tenter de définir ce que vous allez tenter de gérer, et de ne pas essayer de tout faire. Pour préparer notre débat d’aujourd’hui, j’ai discuté avec quelques collègues chez Philips Lighting. Mon collègue responsable du risque financier m’a fourni toute une liste de risques politiques complètement différents de ceux que j’avais en tête. En ce qui concerne l’assurance, nous avons souvent du mal à trouver des produits d’assurance qui correspondent à notre exposition. Dès lors, une grande partie de mon travail consiste à communiquer de manière efficace ce qui est protégé et ce qui ne l’est pas d’un point de vue de l’assurance.
Murray Ross : Nous ne sommes pas en mesure de couvrir tous les risques politiques que l’on nous demande de couvrir. Et parfois, on nous demande de couvrir des risques assez tard. Par exemple, quand des sanctions ont commencé à être mises en place contre la Russie après son intervention en Ukraine, nous avons soudainement reçu tout un tas de demandes russes de la part de nos courtiers. Ce n’était clairement pas le bon moment pour prendre ce genre de risques. Cela dit, le marché est peu porteur, il n’y a donc jamais eu autant de capacité et d’acteurs sur le marché. Par conséquent, les assureurs n’hésitent pas à repousser les limites un peu plus loin et à rédiger des produits plus étendus. En conclusion, l’assurance contre les risques politiques est devenue de plus en plus flexible, il y a un plus grand potentiel de négociation et c’est une couverture de plus en plus personnalisée.
Mike Jones : Piers, la couverture d’assurance contre le terrorisme/la violence politique (TVP) évolue-t-elle, elle aussi ?
Piers Gregory : Le TVP est un produit couvrant essentiellement les dommages et les pertes d’exploitation, mais je pense que le marché est désormais plus clair. Des améliorations dans les termes permettent d’apporter plus de clarté, afin que le client puisse savoir avec plus de certitude comment sa police va pouvoir intervenir en cas d’incident. Nous avons des polices traditionnelles contre les dommages et les pertes d’exploitation, avec une extension spéciale TVP en option. Cela donne aux acheteurs une certaine tranquillité d’esprit concernant le paiement des indemnisations, car tous ces risques sont couverts par un seul acteur. C’est très utile pour nos clients. Nous travaillons sans relâche avec nos clients pour mieux comprendre ces risques. Nous sommes en train d’élaborer un outil qui nous permettra de proposer des capacités de conception des risques liés aux expositions TVP et de cartographier leur risque.
Rosalie André : Envisagez-vous également d’intégrer le cyber-BI dans le TVP ?
Piers Gregory : Pas tout de suite. Mais la question de la cybercriminalité est bien entendu très actuelle. Nous avons des produits contre la cybercriminalité et nous avons une unité commerciale interne qui analyse tous les aspects liés aux cyber-risques. C’est différent des structures physiques, ce qui rend les choses plus difficiles.
Mike Jones : Stéphane, comment restez-vous à niveau suite à certains changements dans le contexte des accidents et de la santé ?
Stéphane Baj : Premièrement, nous étendons de plus en plus notre couverture du risque purement médical pour y intégrer la sécurité et la criminalité. Nous couvrons davantage les conséquences des événements liés à la sécurité, que ce soit du terrorisme, de la violence politique ou des changements gouvernementaux plus sporadiques. Et nous prenons également en charge les conséquences d’un acte criminel. Deuxièmement, nous passons progressivement d’une indemnisation et d’une réponse pure et simple à des services de prévention et de conseils préventifs. Par exemple, nous avons investi dans de nouveaux services à valeur ajoutée qui aident les entreprises à préparer leurs voyageurs d’affaires et leurs expatriés. En d’autres termes, nous les formons sur les risques liés au bien-être, au voyage, aux aspects médicaux et à la sécurité. Nous tentons également d’améliorer la capacité des entreprises à déterminer où se trouvent leurs voyageurs et leurs expatriés, grâce à des applications mobiles qui nous permettent de les géolocaliser. Et nous aidons nos clients à élaborer leurs plans d’urgence internes et à organiser leurs polices et leurs procédures pour mieux intégrer les rôles du fournisseur d’assistance et de l’assureur.
Adam Stanley-Smith : Les clients ont tendance à se concentrer sur un seul problème, comme le kidnapping, et oublient tous les autres problèmes auxquels ils peuvent être confrontés. Par exemple, ils envoient des employés à Lagos au Nigeria, qui est une grande zone à risque pour le kidnapping, mais vous avez bien plus de chance de mourir dans un accident de voiture que d’être kidnappé. Mais les clients l’oublient parce que personne ne le leur rappelle. Par ailleurs, les clients ont tendance à se concentrer sur une ou deux zones dangereuses. Vous savez, ils pensent que l’Europe est sûre et que l’Afrique est dangereuse. Ce n’est pas forcément le cas. Il y a différents problèmes dans différents pays. Même un pays comme la Belgique a connu des attaques terroristes. Il faut donc prendre en compte la totalité de l’éventail de risque, depuis les incidents de voyage jusqu’au kidnapping, et déterminer comment faire face à ces risques et les diminuer.
Rosalie André : En menant des activités à l’internationale, différents enjeux entrent en ligne de compte dans un environnement en rapide évolution. Ce serait très utile si les assureurs pouvaient partager leur expertise avec nous pour que nous puissions en faire part à nos collègues au sein de notre entreprise. Et ensuite, essayons de revoir un peu les règles. Pourquoi avoir besoin d’autant de produits d’assurance différents ? Je sais que cela profite aux compagnies d’assurance, mais cela nous complique la vie.
Piers Gregory : Je suis bien d’accord avec vous, Rosalie, sur la question du partage des données, et je pense que c’est ce qu’il faut retenir de notre entretien. Ce que j’aimerais souligner, c’est la planification des scénarios d’indemnisation. Il très important pour les principaux comptes de rencontrer, sur une base trimestrielle ou annuelle, son assureur et son courtier pour identifier les lacunes dans la couverture et les transferts d’argent entre les « admis » et les « non admis » et pour véritablement comprendre ce qui se passe dans les différents scénarios afin de savoir ce qui est couvert et ce qui ne l’est pas. Je pense que c’est quelque chose que nous pourrions faire davantage dans la communauté des assurances.
Mike Jones : Comment Chubb travaille-t-il avec ses clients pour l’évaluation des risques ?
Piers Gregory : Dans l’univers des assurances contre les dommages et les pertes d’exploitation, nous disposons d’un produit d’ingénierie des risques solide et conséquent. Nos ingénieurs de risque effectuent des visites sur site, mènent des enquêtes et font des recommandations d’un point de vue des dommages et des pertes d’exploitation. Pour le terrorisme et la violence politique, nous analysons la sécurité sur site ou les barrières d’accès, par exemple. Je pense que cela aide le gestionnaire de risque à évaluer ce risque. Et à mes yeux, cela donne l’assurance au client que le risque est bien géré. L’autre partie consiste à partager les outils de cartographie et d’analyse globale que nous utilisons ; nous pourrions partager les informations à notre disposition en tant que signataire et qui influencent nos décisions de souscription en termes de déploiement de capacité d’assurance et de prix. Nous pourrions être plus transparents et vous aider à comprendre quels seraient les points chauds dans un délai de 12 ou 18 mois.
Stéphane Baj : Pour nous, le meilleur moyen de vérifier qu’il y a bien une prévention des pertes mise en place est de pouvoir participer aux réunions où le client et les principaux intervenants au sein des entreprises clientes, comme le gestionnaire de la sécurité ou des déplacements, par exemple, sont présents avec les fournisseurs d’assistance.
Rosalie André : Nous avons évoqué précédemment la générosité du marché en termes de capacité en ce moment. Nous remarquons également en tant que clients que les prix sont assez compétitifs. La qualité de la prévention des pertes et la sécurité ont-elles une influence pour déterminer le taux des primes ? Ou sommes-nous arrivés à un point sur le marché où cela n’a plus vraiment d’importance et ce n’est plus qu’une question de capacité ?
Murray Ross : Les plans de poursuite des activités que, en tant que souscripteur, nous pouvons recueillir chez vous en tant que clients et la manière dont vous pouvez limiter votre perte d’exploitation sont des facteurs essentiels dans notre souscription. Avec une grande banque ou une importante institution financière, par exemple, leur capacité à limiter la perte d’exploitation en mettant en place un plan d’urgence sophistiqué, que ce soit dans des locaux hors site ou à distance, est un facteur résolument important dans leur décision de souscrire une assurance
Panel
Rosalie André, responsable des assurances et de la gestion des risques chez Philips Lighting
Adam Stanley-Smith, directeur régional chez The Ackerman Group
Piers Gregory, responsable du terrorisme et de la violence politique chez Chubb
Murray Ross, responsable du commerce de gros, du risque politique et du crédit chez Chubb
Stéphane Baj, directeur régional des accidents et de la santé chez Chubb