Ali Baddou et Carine Bécard
Merci d’être avec nous ce matin depuis votre bureau à la BCE à Francfort. L’Europe et le monde risquent de connaître la pire crise économique depuis la Seconde Guerre mondiale. La France est entrée en récession. Le PIB de la France devrait reculer de 6 % au 1er trimestre, du jamais vu depuis 75 ans. Deux semaines de confinement ont réussi à effacer cinq ans de croissance. Vous avez parlé de choc, Christine Lagarde, pour qualifier la crise que nous traversons. Le mot semble faible aujourd’hui, non ? C’est d’abord une tragédie humaine, Ali Baddou. C’est d’abord et avant tout une pandémie, une crise sanitaire terrible qui frappe l’ensemble des pays du monde successivement, et qui met nos systèmes de santé, et tous les personnels qui se consacrent à nos soins, sous tension, sous pression, dans un climat de risque terrible. Donc, je pense d’abord et avant tout à eux, et à ceux qui souffrent et à ceux qui sont inquiets.
Et à ceux qui sont malades…
Bien sûr.
Et la situation économique et sociale qui nous attend?
Cette crise sanitaire terrible va infliger évidemment des dommages très importants à toutes les économies du monde, aux économies de la zone euro et à la France. C’est une situation sans précédent dans l’histoire récente. Et c’est un peu – pour vous donner une analogie – comme un sportif qui, tout d’un coup, devrait s’arrêter de s’entraîner dans des conditions normales et qui, par conséquent, voit ses muscles graduellement s’atrophier. C’est un peu ça, les économies, quand on leur demande de suspendre une grande partie de leurs activités. J’ai bien en tête le fait que beaucoup d’entre nos compatriotes notamment sont au travail dans les hôpitaux, dans les supermarchés, dans les fonctions vitales pour permettre au pays de continuer. Mais il y a toute une partie de l’économie qui est comme ce sportif auquel on demande de rester chez lui. La mission aujourd’hui consiste à continuer à faire un peu d’entraînement, pour que le jour où on pourra recommencer, les muscles ne se soient pas atrophiés, qu’on ne soit pas trop affaiblis et qu’on puisse repartir de plus belle.
Alors vous allez nous expliquer comment vous agissez, Christine Lagarde, pour aider à la fois les entreprises, les ménages, les différents États. Mais pour filer votre métaphore du sportif ou du joggeur, on sait que l’économie aura beaucoup de mal à redémarrer. D’après vous, combien de temps durera cette pause pendant laquelle l’économie sera à l’arrêt ?
Cela dépendra entièrement des mesures de confinement qui seront décidées par les autorités politiques en liaison avec les comités scientifiques qui les conseillent. Ce que l’on sait, c’est assez évident, c’est que plus ce temps-là sera long, plus les semaines de confinement dureront, plus les dommages économiques qui en résulteront seront importants ; le redémarrage évidemment sera laborieux pour certains secteurs, rapide pour d’autres, mais on est assez incertains sur les conditions précises du redémarrage. Il y a eu une époque où l’on se disait que ça repartirait très vite, très fort. Je suis un peu dubitative, parce que je pense qu’il y a des secteurs de l’économie qui repartiront très vite, très fort, et d’autres secteurs qui seront beaucoup plus lents à repartir.
On va en reparler évidemment….
Pour vous donner une idée un peu simpliste, chaque mois de confinement coûte entre deux et trois points de PIB annuel. C’est-à-dire que l’économie française, les économies de la zone euro, pour chaque mois de confinement rétrécissent de 2 à 3 %. Donc plus ça dure, plus le rétrécissement de l’économie sera important.
Mais du coup, comment la qualifier alors cette crise ? Ce matin, Jean-Claude Juncker, l’ancien président de la Commission européenne, dit dans Libération donc que cette crise sera moins douloureuse et moins dangereuse que celle que vous avez bien connue en 2008. Vous êtes d’accord avec lui ou pas ?
J’aimerais bien le croire, mais je ne suis pas convaincue. Je pense que c’est une crise qui est très brutale, qui est temporaire, mais qui va infliger des dommages à nos économies qui seront probablement profonds dans certains secteurs et dont on mettra du temps à se remettre. On a mis du temps à se remettre de la crise financière de 2008, soyons clairs. Surtout qu’elle a été ensuite prolongée par une crise des dettes souveraines européennes. Dans cette crise-ci, la rapidité de rebond va dépendre de deux facteurs : le temps durant lequel l’économie est à l’arrêt, ou en demi-arrêt, et les mesures que l’on prend pour maintenir le sportif en état de reprendre ses courses, après. Ce sont toutes les mesures que l’on prend actuellement : à la fois au niveau monétaire – ça c’est le métier de la Banque centrale européenne et des 19 banques centrales nationales qui composent le réseau- puis ce sont les armes fiscales, c’est-à-dire budgétaires, qui sont prises par les gouvernements. Et il faut que les deux marchent la main dans la main pour arriver à soutenir les emplois, par le biais du chômage partiel dans la plupart des pays de la zone euro, et par le biais des liquidités que nous déversons sur l’économie pour que les banques continuent à prêter, à soutenir les entreprises pour qu’elles restent en état de fonctionnement, et qu’elles ne mettent pas la clé sous la porte. Plus ces mesures-là seront efficaces, plus le sportif sera en état de repartir et de continuer sa course quand il pourra ressortir.
Mais c’est tenable combien de temps Christine Lagarde ? Quand on parlait justement du chômage et du chômage partiel financé par l’État, du report de charges sociales et fiscales, de primes prévues pour les travailleurs indépendants. En France par exemple, pour notre pays, une situation pareille est tenable combien de temps quand on voit ce que ça coûte par mois ?
Il faudra que ça dure autant que ce sera nécessaire. Je crois qu’il ne faut pas se poser la question « Est-ce qu’on va y arriver ? Est-ce qu’on va tenir ? ». Il faut tenir autant que ce sera nécessaire. S’il faut rester confiné pendant deux mois, il faudra que le chômage partiel puisse soutenir les salariés pendant deux mois, il faudra que les entreprises puissent continuer à bénéficier de financements pendant deux mois. Je compare un peu l’action qu’on a au niveau de la BCE et des 19 banques centrales à l’action d’un bouclier. Il faut qu’on protège impérativement cette économie qui est partiellement sous cloche. Si on ne le fait pas, les conséquences après seront désastreuses. Donc il faut absolument qu’on arrive à maintenir cette économie sous cloche en état de fonctionner rapidement le jour où cela repartira. Et puis, il va y avoir un après, soyons clairs, on ne va pas être en permanence confinés. On va avoir des vaccins, on va avoir des déconfinements graduels probables et séquentiels parce que tous les pays ne sont pas tous touchés au même moment. Il faudra être très coordonnés pour faire ça, parce qu’il faut éviter la deuxième, la troisième vague, bien entendu. Mais il ne faut pas imaginer que l’état actuel va être permanent.
Est-ce qu’il ne faut aider que les entreprises qui ont une chance de survivre à la crise, Christine Lagarde ? Est-ce qu’il faut davantage mettre le paquet pour ceux qui pourront redémarrer ou est-ce qu’il faut aider absolument toutes les entreprises, petites ou grandes ?
Il faut d’abord se pencher sur la situation de celles qui sont les plus fragiles et les plus vulnérables. Non pas parce qu’elles étaient mal gérées, au bord de la liquidation de biens ou de la faillite. Mais parce que ce sont celles qui ont souvent un accès plus compliqué aux crédits. Et là je pense en particulier aux petites et moyennes entreprises, aux auto-entrepreneurs. C’est pour cela d’ailleurs que la BCE, a décidé très récemment – on l’a annoncé il y a 3 jours – avec l’ensemble des 19 banques de la zone euro, d’accepter du collatéral, c’est-à-dire de prendre et de refinancer des prêts, sans plancher. Autrefois on prenait des prêts au-delà d’un certain seuil. Là nous disons : tous les prêts, ménages, autoentrepreneurs, SME, enfin petites et moyennes entreprises, entreprises moyennes, grandes entreprises, tout est acceptable au refinancement de la BCE. Donc on se concentre sur les petites et moyennes entreprises. L’essentiel du refinancement qui a déjà démarré -mais qui va prendre toute son ampleur à partir de début juin – représente à peu près 3 000 milliards d’euros. Ce financement-là il sera aussi ciblé particulièrement sur les petites et moyennes entreprises.
Alors justement pour relancer cette machine économique, on a bien compris que les dettes de chaque pays vont exploser. De combien de temps vont disposer les États pour s’en remettre, pour rembourser leurs dettes ?
Vous avez raison de poser cette question parce que le temps sera déterminant. Si, dès la crise passée, la croissance revenue, on se met à resserrer tout de suite les politiques budgétaires et si on freine la croissance, on va retomber dans un écueil absolument à éviter. Il faudra progressivement, dans le temps, procéder au remboursement des dettes et se remettre sur une pente qui soit plus stable et plus propice au bon équilibre des finances publiques. Il ne faudra pas le faire de manière brutale.
Mais ça veut dire quoi ? Deux ans, trois ans, cinq ans ?
Non, non…cela prendra beaucoup plus de temps que ça ! C’est évident.
Dix ans ?
Non, beaucoup plus de temps … parce que certains pays de la zone euro vont voir leur taux d’endettement augmenter de manière significative. Compte tenu des financements nécessaires aujourd’hui, si vous regardez ce que vont engager les pays de la zone euro, on parle aujourd’hui à peu près de 19 % du PIB. Donc cet amortissement de la dette s’effectuera forcément dans une durée longue. C’est habituel, c’est comme cela que ça se passe.
Est-ce qu’il est totalement impensable, totalement inimaginable, d’avoir une mesure globale d’annulation des dettes ?
Cela me paraît totalement impensable… D’abord, ce n’est pas le moment de se poser la question de l’annulation. Pour l’instant, on est en train de se concentrer sur le maintien de l’économie en état de fonctionnement le jour où cela ira mieux. On se posera ensuite la question de savoir comment on peut reconstruire, remuscler le sportif et l’aider à courir le mieux possible. Ce sera le temps de la reconstruction. Ensuite, on se posera la question de l’amortissement de la dette et de la façon dont on gère les finances publiques de la manière la plus efficace possible.
Oui, parce que ce sont les populations qui vont en payer le prix de toute façon. Quand on se pose la question de qui paiera à la fin des fins, ce sont les populations, les citoyens européens, ça qui implique, comme on l’a vu dans les années passées, des impôts, des politiques d’austérité. Et ça pour le moment, c’est une question qui est posée mais qui n’est pas tranchée entre les pays de l’Eurogroupe et c’est une vraie question politique. Christine Lagarde, que les pays riches de l’Europe du Nord aident les pays les plus pauvres du sud, ça c’est un choix qui aura des conséquences profondes sur l’avenir de l’Union. Qui va décider en bout de ligne ?
Aujourd’hui, ce qui est important c’est l’effort de coordination pour gérer le temps présent, la crise phénoménale qu’on se prend tous, en pleine figure. Ce que je constate aujourd’hui -notamment au sein de l’Eurogroupe- c’est que si certains points sont laborieux, si les débats sont longs, si les ministres des Finances y passent des nuits, ce n’est pas surprenant et il y a des progrès qui sont engrangés petit à petit, au fil de ces débats. La France joue un rôle très déterminant dans ce domaine-là et je crois que cette coordination, cet effort-là, qui est à la fois temporaire et très ciblé, il faudra évidemment qu’il s’applique aussi au moment de la sortie de crise. Parce que si l’on sort chacun pour soi, ça ne va pas fonctionner de manière optimale, c’est clair.
Echanges avec les auditeurs de France Inter
D’un côté la BCE qui fait des efforts importants ; les milliards de liquidités dont vous parliez, les titres financiers achetés. De l’autre, il y a la mutualisation des coûts entraînés par les mesures sanitaires, les « coronabonds » qui clivent les pays européens entre eux, entre le nord et le sud…Vous appelez vous-même à mettre fin au chacun pour soi : peut-on espérer un effort de l’Europe en tant que communauté ou est-ce que cette crise accentue le chacun pour soi?
Christine Lagarde : « J’espère -parce que j’ai un tempérament optimiste- que cette coordination, ce sens du collectif qu’on est en train de voir émerger, même au niveau de l’Eurogroupe et entre ministres des Finances, va pouvoir se poursuivre après. Je pense que la sortie va être un moment déterminant ; la reconstruction va être un moment déterminant. Et pour avoir participé aux réunions des ministres des Finances deux jours et une nuit, ce que je peux vous dire c’est qu’il y a des progrès incroyables qui sont déjà enregistrés. L’idée qu’on puisse avoir un fonds collectif de reconstruction qui soit financé collectivement, c’est-à-dire où toutes les signatures, les meilleures et les moins bonnes, se mettent ensemble, ça serait formidable. Je ne suis pas sûre qu’on y soit encore tout à fait, mais on avance dans cette direction-là. »
Vous employez le conditionnel, vous connaissez très bien ces réunions interminables de l’Eurogroupe et des ministres de Finances, vous l’avez souvent vécu. Mais en l’occurrence, pour le moment, c’est la division et non la solidarité qui s’impose. Que répondez-vous à Jacques Delors qui disait que le manque de solidarité était un « danger mortel » pour l’Europe. Est-ce que ce qu’on voit aujourd’hui du fonctionnement de l’Europe dit qu’elle est en danger de mort, Christine Lagarde ?
Christine Lagarde : « Le danger de mort c’est d’abord celui qui résulte de ce virus, Covid-19. »
Bien sûr, mais c’est vraiment l’image de l’ancien président de la Commission…
Christine Lagarde : « Oui, je sais bien. Il est évident que le devoir de solidarité doit s’exercer, doit se démontrer par des actes. Quand je vois, par exemple, l’Allemagne offrir des lits d’hôpitaux, prendre des malades de la région Grand Est de la France, ce n’est pas le grand geste de solidarité budgétaire attendu, mais c’est une démonstration de solidarité. Il faut engranger tous ces signes-là, et il faut aller dans la direction du soutien qu’on peut donner aux pays les plus menacés, les plus frappés aujourd’hui, qui sont l’Italie, l’Espagne, au sein de la zone euro, bien évidemment. Je pense qu’on est en train d’avancer. Je crois que son cri d’alerte était tout à fait opportun, je crois qu’il est entendu. Vous savez, l’Europe c’est cette espèce de mosaïque, de tempérament, de culture, d’histoire, de tabous différents. D’égoïsmes nationaux aussi… On est tous dans une situation où tout le monde doit être sur le pont. Que ce soient les gens qui restent sagement confinés chez eux, ou que ce soient ceux qui se démènent dans les hôpitaux, ou que ce soient ceux qui essayent d’inventer de nouvelles politiques, on doit tous être au front. Et chacun contribue à cette situation-là. Il faut que tous les outils soient mobilisés. Pour certains, la prise de conscience est laborieuse. Avec cette maladie qui se répand, touche tout le monde, chacun est appelé à se poser cette question. Est-ce qu’on est bien tous ensemble ? La réponse ça doit être évidemment oui, parce que le virus, lui, il ne se pose pas la question. »
Est-ce qu’il y a des États qui risquent la faillite ? Notamment je pense à la Grèce, dont on ne parle pas beaucoup. On parle beaucoup plus de l’Italie en ce moment. Mais est-ce que la Grèce, qui a mis du temps à remonter la pente, ne pourrait pas tout simplement dégringoler beaucoup plus bas et beaucoup plus fort ?
Christine Lagarde : « D’abord, la Grèce, grâce aux plans qui ont été mis en œuvre depuis 2010, est dans une situation aujourd’hui sur le plan de ses besoins de financement, qui est tout à fait solide. Ensuite, la Banque centrale européenne, je vous l’ai dit tout à l’heure, agit comme un bouclier. Ma mission, avec les 19 autres gouverneurs des banques centrales de la zone euro, c’est s’assurer une stabilité des prix, c’est la mission principale, mais surtout que la politique monétaire elle est transmise aux quatre coins de la zone euro. Donc, dès qu’on verra un risque, dès qu’on verra une tension, on sera actifs ; nous agirons en prévention de ce risque-là, parce que c’est notre mission. »
On a souvent fustigé la France sur le plan des prélèvements obligatoires au-delà de 48 %. Aujourd’hui, on s’aperçoit que la France est en capacité avec sa protection sociale d’amortir sur le plan sanitaire, sur le plan social, la crise. (…) J’aimerais connaître votre point de vue, Madame Lagarde sur la pertinence du système français au niveau de sa protection. Et je voudrais, au passage, adresser mes félicitations à l’ensemble des CAF qui ont réussi à payer dans un contexte invraisemblable à 13 millions de familles….
Christine Lagarde : « On a raison de célébrer tous ces héros, qui chacun à leur place et chacun dans leur rôle, font tout ce qu’ils peuvent pour aider. Sur la question de la protection sociale, je crois qu’on va, en sortie de crise, effectivement s’interroger sur la pertinence, la légitimité, l’efficacité des systèmes qui sont assez voisins dans l’ensemble des pays de la zone euro. Et je crois que la comparaison véritable, elle va se faire avec un régime de protection sociale tel qu’il existe aux États-Unis et où clairement la situation sanitaire sera beaucoup plus inquiétante et où la situation des sans-emploi sera aussi beaucoup plus inquiétante. On va probablement au-devant de révisions salutaires sur les valeurs, sur le système dans lequel on fonctionne, sur la meilleure manière de le gérer. Et de ce point de vue-là, je pense que la zone euro elle joue un rôle très important. Je vais prendre un exemple, celui du chômage partiel. Je crois qu’on a beaucoup appris du Kurzarbeit, qui est l’équivalent du chômage partiel allemand, mais qui a permis en crise de 2008-2009, de maintenir les salariés sur leur lieu de travail, en état de travail, avec des salaires très légèrement réduits. On a beaucoup appris. Le chômage partiel, tel qu’il existe en France aussi sert de repère à un certain nombre d’autres pays. Donc le régime actuel de protection sociale en zone euro, clairement est en train de remplir son rôle de filet de sauvetage pour bon nombre de familles et de salariés. »
Vous êtes rassurante et puisque vous parlez de changer de modèle, que vous pensez à l’après, alors même que nous sommes en pleine crise, est-ce que l’Europe doit profiter de ce que nous vivons pour accélérer par exemple la transition énergétique ? Est-ce qu’il faudrait conditionner les aides aux entreprises à la transition écologique ?
Christine Lagarde : « Je pense qu’il faut aider les entreprises, aider les familles, aider les salariés. »
Les entreprises quelles qu’elles soient ?
Christine Lagarde : « Je reviens à mon histoire de tout à l’heure, il faut s’assurer que l’économie est sous cloche, qu’elle est protégée et qu’elle sera capable de redémarrer pour que l’entraînement recommence dans des conditions normales. Ça c’est l’impératif numéro un. L’impératif absolu – c’est ce qui a d’ailleurs été décidé par les Européens ensemble et ce qui est prôné par la Commission européenne sous l’autorité de madame von der Leyen- c’est de s’orienter vers une croissance dite « verte », qui soit respectueuse de notre environnement. Je crois qu’aujourd’hui, ce qu’on constate, c’est que la manière dont on n’a pas suffisamment respecté la biodiversité, la manière dont on n’a pas suffisamment respecté notre environnement, est en train de nous revenir en boomerang dans la figure. Ce n’est pas tout à fait étonnant que l’origine de cette maladie soit animale et soit liée à la transmission de ce virus de l’animal à l’humain. »
Reconstruire différemment ça veut dire prendre du temps, prendre son temps. Donc est-ce qu’on en a du temps pour faire tout ça ?
Christine Lagarde : « Il faudra aller aussi vite qu’on peut, mais il faudra bien sûr gérer tout cela dans la durée. Il y a des objectifs qui ont été fixés pour 2030, il va falloir s’efforcer de les atteindre et prendre les moyens nécessaires. Mais je pense qu’on va être collectivement et de manière sociétale -au niveau en tout cas de l’Union européenne- en mode de réexamen de toute une série de principes, sur l’autonomie européenne, sur les chaînes d’approvisionnement, sur les valeurs, sur la détermination des prix, etc. »
Vous avez dit que la solidarité doit se traduire par des actes et moi je remarque autour de moi des gens qui se retrouvent sans aucun revenu du tout. Et je voulais, suite à la décision de l’Espagne de mettre en place un revenu universel, je voulais vous demander s’il était possible d’envisager au niveau européen une démarche de ce genre pour sortir du confinement avec beaucoup plus de facilité et de moyens ?
Christine Lagarde : « Ce qui est à l’ordre du jour et ce qui va être débattu d’ailleurs encore cet après-midi -et cette nuit sans doute- avec les ministres des Finances au sein de l’Eurogroupe, c’est un mécanisme de prise en charge du chômage à l’échelon européen. Alors pour certains pays cela sera simplement un rehaussement ; pour d’autres ce sera un mécanisme indispensable qui n’existe peut-être pas aujourd’hui. En termes de socle social universel à l’échelon de l’Union européenne, c’est un signe précurseur d’autres développements qui suivront. C’est d’ailleurs une façon pour les Européens d’emprunter en commun… »
Est-ce la fin de la mondialisation telle qu’on la connaît, telle qu’elle s’est construite au cours des dernières décennies ?
Christine Lagarde : « Je pense que la mondialisation qu’on a connue au cours des 30 dernières années commençait déjà à être remise en cause et qu’elle le sera encore plus, avec probablement des redéfinitions de priorités, avec des objectifs, et plus d’autonomie de l’Europe… »
Et de relocalisation ?
Christine Lagarde : « Sinon de relocalisation, en tout cas plus contrôle de nos chaînes d’approvisionnement ; peut-être de relocalisation pour un certain nombre des produits considérés comme déterminants et prioritaires ; des choix différents en matière alimentaire notamment. A nos sociétés, ensemble, de définir ce que seront nos choix communs et notre avenir. »
Est-ce que l’euro pourrait perdre de sa valeur ? Est-ce que l’inflation qui est attendue pourrait faire monter un petit peu les prix ? Est-ce qu’il faut être inquiet pour ses petites économies ?Est-ce que l’euro peut perdre de sa valeur ?
Christine Lagarde : « Il est stable ; nous sommes en régime de taux de change flottant et quand je regarde cet indicateur-là, ça va bien. La deuxième question portait sur l’inflation. On aimerait bien en avoir un petit peu plus… »
Beaucoup de consommateurs n’ont pas envie de voir les prix augmenter, Christine Lagarde..
Christine Lagarde : « Je sais, je sais…mais en tout cas ce n’est pas un risque majeur à l’horizon, même si, moi, j’aimerais bien en voir un petit peu plus. Les petites économies ? Il faut savoir que de toute façon il y a un régime de protection qui est à 100 000 euros pour tous les comptes bancaires dans la zone euro. Et franchement les banques aujourd’hui sont bien plus solides qu’elles ne l’étaient en 2008 et de ce point de vue-là, si c’est une question d’économie et d’épargne déposée dans les réseaux bancaires traditionnels, non…. »
Donc il ne faut pas s’inquiéter pour ses économies, celles qu’on a placées en banque.
Christine Lagarde : « Non, non, non. »
Merci pour la précision. Merci Christine Lagarde d’avoir répondu à nos questions. Bonne journée.
Christine Lagarde : « Merci beaucoup.
Source: Banque centrale européenne
Entretien avec France Inter. Entretien de Christine Lagarde, Présidente de la BCE, accordé à Ali Baddou et Carine Bécard, le 9 avril 2020