Lieve Lowet
Initialement, ce qui a motivé la rédaction du Manuel de surveillance de l’EIOPA, ce sont les nombreuses questions soulevées par les autorités nationales de surveillance dans la perspective de Solvabilité II. La finalité du manuel est donc d’aider les autorités de surveillance dans leurs tâches quotidiennes. Il constitue un instrument important pour renforcer la convergence en matière de surveillance, mais ce n’est pas le seul instrument. Il favorise l’équité en matière de concurrence et de traitement de toutes les entités soumises à un contrôle national en matière d’assurance au sein de l’Union européenne. Sur le site web de l’EIOPA concernant le Manuel, actualisé le 17 novembre 2021, on peut lire: ‘EIOPA’s Supervisory Handbook is one important tool used under Article 29 to promote supervisory convergence but is not the only one. It promotes ‘a level playing field and the equal treatment of all supervised entities’. Il y est indiqué que son Manuel de surveillance contient des instructions confidentielles sur des thèmes sensibles, des recommandations, des bonnes pratiques, des études de cas, des questionnaires pour les autorités de contrôle et des exemples de la manière dont le contrôle doit être réalisé.
La table des matières qui a été dévoilée fait mention de quinze chapitres. Il y en a un sur la gestion des données, sur les provisions techniques, sur les exigences en matière de capitaux dans le cadre de Solvabilité II, sur les fonds propres, sur les AMSB (Administrative, Management or Supervisory Body), sur les fonctions clés au sein de l’entreprise… Pratiquement tous les chapitres renvoient via des hyperliens vers des informations non confidentielles comme des opinions, des recommandations et des déclarations de surveillance.
On peut supposer que les références aux documents publics ne reflètent pas la richesse du contenu des chapitres confidentiels. La table des matières qui a été dévoilée nous apprend qu’il n’y a qu’un seul Manuel de surveillance. L’introduction de mars 2018, qui a également été publiée, ne fait mention que de Solvabilité II. Mais d’après l’intitulé des chapitres, des sujets comme la surveillance des règles de conduit et la surveillance des institutions
de retraite professionnelle (IRP) y sont également abordés. Tout cela n’est pas très cohérent. On ne peut que se féliciter que l’EIOPA nous permette de suivre la rédaction du Manuel de surveillance. Mais on est en droit de se demander pourquoi le document n’est pas rendu totalement public.
Aux Etats-Unis, le Company Licensing Best Practices Handbook et le Financial Analysis Handbook de la NAIC sont accessibles à tout un chacun. Cela pourrait-il également être fait dans l’UE? L’EIOPA argue du fait que le Manuel de surveillance est basé sur la réglementation et les orientations qui sont à présent en vigueur, et que celles-ci constituent la seule base juridique pour les règles que les autorités nationales de surveillance peuvent imposer. L’accès aux documents peut être refusé dans le cas où la divulgation de ces derniers porterait atteinte aux activités d’inspection, d’enquête et d’audit. (règlement CE n° 1049/2001, article 4, 2e alinéa). Mais est-ce que l’EIOPA est une autorité de surveillance qui effectue des inspections, mène des enquêtes et organise des audits?
Nous pensons également que la surveillance financière dans l’UE pourrait être plus efficace si toutes les entités (grandes et petites) pouvaient consulter directement toutes les informations. Cela permettrait à chacun de se conformer aux règles de manière plus adéquate. Et d’ailleurs, les responsables compliance ne seraient-ils pas mieux à même de remplir leur mission si les attentes à leur encontre étaient plus transparentes? Ce faisant, l’EIOPA pourrait se poser en précurseur oeuvrant à promouvoir la transparence. L’article 29 du règlement EIOPA stipule en outre que, le cas échéant, l’EIOPA doit organiser des consultations publiques sur les outils de surveillance qu’elle entend mettre en place. Cela ne concerne-t-il pas aussi le Manuel de surveillance?
Sans préjuger de l’intérêt que pourrait avoir le débat sur les éventuels effets juridiques contraignants d’un ‘Union Supervisory Handbook’, on peut aussi se poser la question de savoir si ce manuel pourrait faire l’objet d’une procédure judiciaire. Dans un arrêt du 15 juillet 2021 (FBF contre ACPR, C-911/19), la Cour de Justice de l’Union européenne, se référant à un arrêt rendu dans l’affaire Balgarska Narodna Banka (la Banque nationale bulgare), a déclaré que la validité des orientations peut être contestée. Dans cet arrêt (daté du 25 mars 2021), la Cour a déjà pu reconnaître sa compétence pour se prononcer, à itre préjudiciel, sur la validité d’une recommandation de l’Autorité bancaire européenne dépourvue d’effets juridiques contraignants.
Deux questions nous viennent à l’esprit au vu de la ‘déclaration relative aux versements de dividendes et aux rémunérations variables dans le contexte de la Covid-19’ reprise à la table des matières comme étant le seul document non confidentiel sous le chapitre ‘Own funds’. Primo, il nous semble pour le moins curieux que cette déclaration, émise comme un simple ‘statement’ et non pas en qualité de ‘supervisory statement’ basée sur l’article 29, soit reprise ici. En effet, une déclaration (’statement’) n’est pas un outil prudentiel (‘supervisory statement’). Donc, a-t-elle bien sa place ici?
Secundo, l’EIOPA affirme qu’elle reprend dans le manuel tous les outils que l’article 29 met à sa disposition, comme des orientations, des avis, des opinions et des déclarations de surveillance sur des thèmes qui ne sont pas sensibles et parce que la convergence en matière de surveillance requérait ces actions. Si l’on fait abstraction de la convergence en matière de surveillance, la déclaration relative aux versements de dividendes a suscité un certain émoi. Donc, dans quelle mesure ne s’agissait-il pas d’un thème sensible?
Si cette déclaration n’y a été incluse que par souci d’exhaustivité, alors on peut se demander ce que contient la partie confidentielle sur les capitaux propres. Nous nous souvenons aussi de discussions menées au sein du conseil d’administration de l’EIOPA à propos d’une note interne concernant les critères de versement des dividendes. Il avait été décidé de revoir cette note et de la diffuser immédiatement, mais de ne pas la publier. A la lumière de cette expérience, il est permis de mettre en doute l’affirmation de l’EIOPA selon laquelle le Manuel de surveillance ne contiendra aucune interprétation de la législation.
Une dernière considération pour terminer. Le 27 octobre 2021, le Médiateur européen a publié spécialement à l’attention des administrations de l’UE un guide reprenant les politiques susceptibles de rendre les documents plus facilement accessibles au public. Et, partant, d’alléger la tâche du Médiateur. En effet, si les documents étaient rédigés plus clairement et accessibles plus facilement, le nombre de dossiers que traite le Médiateur serait réduit d’un quart. Selon ce guide, tous les organes de l’UE doivent mettre en place une procédure claire pour la publication de leurs documents.
Une semaine plus tôt, le 20 octobre 2021, l’EIOPA avait actualisé sa politique en y ajoutant une disposition concernant l’accessibilité des documents de l’EIOPA pour le grand public. Il y est question d’une annexe 2 ‘Document register categories’ et d’une annexe 3 ‘Documents directly accessible to the public’.
Le Manuel de surveillance pourrait relever de l’annexe 2: ‘Autres décisions’ du conseil des autorités de surveillance (point 1) à côté des procès-verbaux, du budget et du programme de travail; ‘Meilleures pratiques’ liées aux évaluations par les pairs (point 8); ‘Toutes […] les publications de l’EIOPA’ (point 12) et ‘Autres documents pour publication et documents en préparation pour publication’ (point 17). Le directeur de l’EIOPA peut compléter cette liste lui-même. Malheureusement, il n’y a pas encore d’annexe 3.
Manuel de Surveillance
En octobre 2021, la European Insurance and Occupational Pensions Authority a publié une première partie du Manuel de surveillance 2018. L’idée d’un tel manuel remonte à près de dix ans. C’est en 2013 que l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles s’est réellement attelée à la rédaction de ce manuel en définissant les meilleures pratiques en matière de surveillance. Elle a expliqué ses objectifs pour la première fois en 2016: ‘répertorier les pratiques de contrôle qui renforcent la convergence et optimiser les résultats de la surveillance prudentielle tout en tenant compte des spécificités des différents marchés.’ Bien que l’objectif d’une culture commune de la surveillance figurait déjà dans le règlement EIOPA original de 2010, l’obligation de rédiger un Manuel de surveillance date de 2020 et se fonde sur la révision du règlement EIOPA de 2019. Ce manuel doit aussi être tenu à jour. Quelques extraits de ce manuel ont été publiés, ce qui constitue une première. Peut-on en attendre davantage?
Source : Le Monde de l ‘Assurance, Wolters Kluwer Belgium.