Christofer Govaerts
Poussés dans le dos par des marchés financiers en pleine dégringolade, les gouvernements et banques centrales du monde entier déversent des milliards et des milliards pour soutenir une économie mondiale paralysée par la pandémie du nouveau coronavirus et ce, heureusement, à un stade plus précoce que lors de la crise financière. A l’époque, en 2008-2009, les banques centrales et même les gouvernements ont été obligés d’innover en termes d’outils monétaires et fiscaux car la crise était de nature systémique. Aujourd’hui, les décideurs politiques sont mieux préparés, car la plupart de ces outils ont été testés, même si des mesures de soutien non conventionnelles sont nécessaires. D’une manière générale, il existe deux types d’aides économiques. Premièrement, les aides fiscales directes, telles que les indemnités de chômage partiel ou la prise en charge de cotisations de sécurité sociale pour les entreprises particulièrement touchées par la crise sanitaire. Deuxièmement, les gouvernements offrent des prêts et des garanties de prêts pour assurer l’approvisionnement en liquidités vers l’économie réelle.
Aux Etats-Unis, c’est l’ampleur du plan de sauvetage de l’économie, inédite, qui provoque autant de soulagement que de craintes. A titre de comparaison, avec une enveloppe globale de 2 200 milliards de USD, il s’agit plus du double du total des mesures budgétaires cumulées post-2008. Le plan prévoit notamment l’envoi d’un chèque de 1 200 dollars à de nombreux Américains, près de 400 milliards de dollars d’assistance aux petites entreprises, et 500 milliards d’aide aux grandes entreprises. Le montant est historique et les aides d’urgence sont une bouffée d’oxygène pour les Américains et les entreprises les plus vulnérables. C’est pourtant le minimum que les Etats-Unis pouvaient faire pour une économie dépourvue de filet de sécurité sociale. Et il faudra peut-être plus pour stimuler la première économie du monde décimée par la pandémie du coronavirus. Pourquoi pas. C’est la troisième fois en moins d’un mois que le Congrès américain adopte des mesures, dont le montant a crû de façon exponentielle, pour lutter contre la pandémie. Et un quatrième est à l’horizon, a laissé entendre la présidente de la Chambre des représentants des Etats-Unis.
Stop à la rigueur budgétaire sur le Vieux Continent
En Europe, si on peut regretter l’absence d’une réponse européenne coordonnée, les différentes mesures destinées à soutenir l’économie connaissent aussi une forte hausse. Les trains de mesures fiscales en passe d’être adoptées varient d’un pays à l’autre, mais sont partout d’envergure. Pour faciliter ces mesures, la Commission européenne suspend les règles budgétaires et, pour la première fois depuis 2013, l’Allemagne, chantre de l’orthodoxie budgétaire, prévoit un budget dans le rouge et de contracter des nouvelles dettes cette année. Pour autant, la réponse budgétaire est globalement différente de celle du pays de l’oncle Sam. En Europe, les mesures de relance fiscale stricto sensu tournent autour de 1,5% à 2,0% du PIB, là où les Etats-Unis sortent la grosse artillerie avec 6% d’effort budgétaire. En revanche, la partie financière constituée de prêts et surtout de garanties varie d’environ 20% du PIB en Allemagne et en Italie, à 12% en France et 8% en Espagne. Outre-Atlantique, seuls 4% sont prévus directement. Mais, si l’on inclut les aides de la banque centrale, ce pourcentage grimpe à 22%. Si le soutien européen est plus important qu’au moment de la crise financière grâce aux garanties bancaires et financières, c’est encore et toujours la première puissance mondiale qui fournit le plus d’efforts par rapport à la taille de son économie.
Le bazooka monétaire à nouveau rapidement déployé
Même si elle ne résoudra pas la crise de santé publique et économique déclenchée par la propagation du coronavirus, la politique monétaire pourrait accorder du temps aux gouvernements et un filet de protection nécessaire aux entreprises pour surmonter les moments les plus difficiles de cette tempête mondiale. Les banques centrales vont aujourd’hui bien au-delà des timides baisses de taux d’intérêt mises en œuvre au début de la crise sanitaire. Après les premiers ratés, les autorités monétaires ont rectifié et intensifié le tir afin d’assurer la liquidité nécessaire au système. En outre, elles ont assoupli les conditions auxquelles elles s’échangent des devises entre elles, afin de pouvoir garantir un approvisionnement suffisant des marchés en dollars. Enfin, elles ont aussi décidé d’assouplir les règles prudentielles et comptables appliquées au système bancaire afin de permettre, voire d’inciter celui-ci à accroître ses facilités de crédit.
La Fed en première ligne et en ordre de marche
Comme c’est le cas pour l’ampleur de la relance budgétaire, les mesures de politique monétaire ont été plus énergiques que celles de la crise financière. Dans cette crise, la Réserve fédérale américaine a abaissé l’objectif des fonds fédéraux de 1,50–1,75% à 0,00–0,25% en seulement douze jours, alors qu’en 2008, cela a pris deux mois. De même, davantage de programmes ont été adoptés en une semaine environ par rapport à ce qui a été adopté qu’à l’époque. En effet, au cours des dernières semaines, la Fed a convoqué de multiples réunions d’urgence, abaissé son taux directeur de référence à zéro, annoncé un assouplissement quantitatif et mis en œuvre des mesures visant à améliorer la liquidité des marchés monétaires. Cela n’a pas suffi : elle a convoqué une troisième réunion d’urgence, annonçant en substance qu’elle achèterait tous les titres nécessaires pour assurer la liquidité des marchés financiers, élargissant le champ de ses achats d’actifs pour inclure tout ce qui va des obligations d’entreprises aux fonds obligataires négociés en Bourse (ETF).
Dans sa communication, la Fed a déclaré qu’elle supprimait les objectifs antérieurs d’achats de titres, qu’elle achèterait plutôt « tout ce qui serait nécessaire » et que « ses minutions n’allaient pas s’épuiser ». Ces mesures ont impliqué l’achat d’actifs pour un montant de 600 milliards de dollars, propulsant le bilan de l’institut bancaire à un nouveau record de 5 300 milliards de dollars (+13% en une semaine seulement), et prévoient également des systèmes qui permettront de reconduire pratiquement tous les prêts de l’économie.
Pour absorber une partie des pertes potentielles que la Fed pourrait subir en tant que prêteur de dernier recours, le Trésor américain va prendre une partie du risque à sa charge en augmentant considérablement, d’un montant de 450 milliards de dollars, l’enveloppe prévue à cet effet, ce qui permettrait à la Fed de fournir environ 4 000 milliards de prêts (selon les estimations du secrétaire au Trésor). Fort bien mais certains estiment déjà que cela risque d’être insuffisant et qu’il faudrait accroître fortement la garantie des pouvoirs publics car l’encours de la dette des entreprises américaines tourne autour de 9 500 milliards de dollars et les taux de défaut pourraient être plus importants que ceux estimés par les officiels américains. Les responsables de la Fed ont, pour leur part, indiqué qu’ils n’excluaient rien dans leurs efforts.
La BCE en embuscade
Côté européen, après la lourde déception qu’a constitué la réunion officielle de la mi-mars, la BCE a dare-dare effectué un virage complet à 180° et a surmonté en grande partie la retenue formaliste et l’orthodoxie intellectuelle qui la paralysaient. Alors que toutes les vannes monétaires s’ouvrent de par le monde, la BCE a enfin relancé un nouveau programme d’achats de titres 750 milliards d’euros d’ici la fin de l’année (voire au-delà), ouvrant la voie à une augmentation totale de son bilan de 1 100 milliards d’euros (+16% sur la période considérée), qui viendront s’ajouter aux 2 600 milliards d’actifs précédemment constitués. Autres détails importants : la BCE étendra à la Grèce ses achats de dette et augmentera ceux de la dette italienne, au-delà des règles actuelles de répartition. Ce programme soutiendra l’activité et absorbera largement le surplus d’émissions lié aux mesures budgétaires et autres garanties publiques des gouvernements de la zone euro. En revanche, la demande formulée par certains pays de recourir à une forme de mutualisation des dettes via la création de « corona bonds » est restée lettre morte. Subsiste encore l’activation du Mécanisme européen de stabilité qui dispose d’une puissance de feu de 400 milliards d’euros, lequel permettrait de renforcer les efforts budgétaires nationaux et aider les pays lourdement endettés à réagir avec force à la crise.
Quand la maison brûle, on ne compte pas les litres d’eau pour éteindre l’incendie !
« En un temps fait d’incertitudes, il vaut mieux en faire plus plutôt que de ne pas en faire assez », a déclaré la directrice générale du Fonds monétaire international. La question de savoir si ces plans seront suffisants dépend en grande partie de la durée du blocage. Quoi qu’il en soit, si les données économiques des prochaines semaines sont bien pires que les prévisions actuelles, ce paquet pourrait finir par ne plus suffire et il faudra revenir à la charge. A cet égard, les Etats-Unis semblent plus enclins que d’autres à le faire alors que, paradoxalement, leurs mesures sanitaires ne semblent pas assez fortes. Le défi des plans de relance consistera donc à suivre le rythme de la pandémie. En outre, en temps de crise absolue, les banques centrales doivent certainement veiller à ce que le mécanisme de transmission de la politique monétaire vers les acteurs économiques soit maximal. En Europe, où l’on mise toujours sur la BCE pour nous sortir d’affaire, il s’agira peut-être de sortir les « hélicoptères monétaires » des hangars où ils ont été confinés jusqu’à aujourd’hui pour aller arroser de liquidités les gouvernements, les entreprises et les ménages. A un moment, les circonstances pourraient le justifier…
Christofer Govaerts, Chief Strategist Banque Nagelmackers.