Dette publique et monnaie : le futur se rappelle à notre souvenir
Les chiffres de l’inflation de la zone euro sont exécrables. La théorie classique ne s’applique plus : l’inflation baisse malgré des injections monétaires titanesques et des taux d’intérêt négatifs. Pourquoi ? C’est difficile à dire. D’autres facteurs affectent la demande : vieillissement de la population, peur du futur et accumulation d’épargnes de précaution, pertes d’emplois liées à la révolution digitale, inégalité des revenus, incapacité mentale à sortir des schémas de pensée classique… Que sais-je ?
Devant cette situation inédite et anormale, la BCE va continuer à enfoncer les taux d’intérêt et à injecter de la monnaie, mais peut-être en vain. Et certainement dans un tumulte politique qui n’est plus larvé : le Ministre des Finances allemand vient de répéter tout le mal qu’il pense de la gestion monétaire contemporaine. Au reste, on le voit dans tous les domaines : l’Europe se délite. Peut-être dirons-nous dans quelques années que l’Europe de la solidarité aura vécu de 1945 à 2008, c’est-à-dire qu‘une crise économique, aussi violente que cette de 1929, aura eu raison de la sagesse et de l’humanisme.
Je deviens prudent : ces taux d’intérêt négatifs, qui constituent une aide indispensable au financement des Etats surendettés, vont éroder la rentabilité du secteur financier jusqu’à en faire l’auxiliaire des États. Je parle ici des banques commerciales traditionnelles et des compagnies d’assurances. Là aussi, je l’avais écrit dès 2008 : ces institutions seront sournoisement placées sous la tutelle des Etats au travers de leurs actifs.
Mais après tout cela, que se passera-t-il ? Si nous n’y prenons garde, c’est la survie de la monnaie qui sera engagée. Car aucune monnaie ne peut survivre à son rendement négatif prolongé, sauf à entrer dans une dimension inconnue de l’étalon monétaire. Et une chose apparait aujourd’hui, au-delà du déni politique de certains : c’est la dette publique, devenue garante de la monnaie et dont la supportabilité n’est acquise que par des taux d’intérêt négatifs, qui est à la base de cette inversion monétaire. Cela aussi, je l’avais écrit depuis des années, en supputant que la dernière bulle serait celle de la monnaie elle-même.
Nous avons vécu à crédit d’un bien-être futur espéré pendant des années.
Le futur se rappelle à notre souvenir.
Bruno Colmant