Alain Deladrière
« Des entreprises chinoises ont récemment lancé trois tentatives d’acquisitions dans le secteur énergétique Européen et ce, à quelques semaines d’intervalle seulement », relève William De Riemaecker, Buyle Legal, avocat spécialisé dans les matières énergétiques. « Quelle est la stratégie sous-jacente et les éventuels risques que cela constitue pour l’Union Européenne ? »
Le Troisième Paquet Energie ou le premier rempart à toute acquisition étrangère
Le 8 juillet 2018, la société China Three Gorges Corporation, qui détenait déjà 21.35% d’EDP, lançait une tentative d’OPA visant à acquérir une participation majoritaire dans la société. A noter qu’EDP et une autre société chinoise, State Grid International Development Limited, détiennent respectivement 5% et 25% du réseau de transmission d’électricité Portugais, REN Rede Elétrica Nacional S.A. Ces deux sociétés ont en commun d’avoir la même société mère, à savoir the Assets Supervision and Administration Commission of the State Council (‘SASAC’).
Pour bien comprendre les implications réglementaires de cette tentative d’acquisition, il convient de revenir aux fondamentaux et plus particulièrement, aux règles Européennes régissant les réseaux de transmission d’électricité.
Avant la promulgation en 2009 du Troisième Paquet Energie – qui forme la base du régime juridique européen en la matière, « le système énergétique européen fonctionnait en vase clos. Chaque Etat disposait de son propre réseau de transmission et d’installations de production permettant de couvrir les besoins nationaux, les échanges transnationaux étant à cet époque limités. D’un point de vue opérationnel, le réseau et les outils de production étaient généralement aux mains d’une société nationale verticalement intégrée qui avaient une fâcheuse tendance à abuser de leur position dominante, en sous investissant dans le réseau ou en refusant l’accès au réseau à de potentiel concurrents, agissant de la sorte à l’encontre des intérêts des consommateurs européens ».
L’UE est donc intervenue en 2009 à travers le ‘Troisième paquet énergie’ en vue de réformer en profondeur le fonctionnement du marché énergétique européen.
« L’objectif majeur du Troisième Paquet Energie était de créer un marché européen de l’énergie permettant à chaque consommateur de choisir le fournisseur de son choix. Une des mesures phares était la dissociation – « unbundling » en anglais – qui visait à décortiquer les sociétés verticalement intégrées dans le but d’ouvrir le réseau de transmission à la concurrence, au travers notamment d’un accès réglementé et non plus négocié. L’idée était d’éliminer tout conflit d’intérêts entre producteurs, fournisseurs et gestionnaires de réseau de transport, et faire du réseau de transmission un secteur à part, leur objet social se limitant dorénavant à investir dans le réseau afin d’accueillir tous ceux qui en demande l’accès. De la sorte, les sociétés de réseaux doivent être désignées et agréées en tant que gestionnaire de réseau pour autant qu’elles démontrent être légalement, financièrement et fonctionnellement indépendantes de la production et de la fourniture d’électricité ».
Lorsque la certification est demandée par une société de réseau, un contrôle supplémentaire lui est appliqué. En effet, sa désignation lui sera refusé s’il n’a pas été démontré
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que l’entité concernée se conforme aux exigences des règles de dissociation ; et
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que l’octroi de la certification ne mettra pas en péril la sécurité d’approvisionnement énergétique de l’État membre et de l’Union européenne.
Afin de contenter les différents Etats membres, trois modèles de dissociation furent introduits par le Troisième Paquet Energie : la dissociation pure, le statut de gestion de réseau indépendant et le statut de gestion de réseau de transport indépendant.
Alors que les deux derniers modèles sont considérés comme des exceptions en ce qu’ils permettent d’une part, de déléguer la gestion de réseau à une entreprise tierce et d’autres part, permet de préserver sous certaines conditions le réseau au sein d’une société verticalement intégrée, la dissociation pure est le modèle de prédilection et d’application au Portugal.
En vertu de ce système, chaque entreprise qui possède un réseau de transport doit agir en qualité de gestionnaire de réseau de transport.
En outre, la ou les mêmes personnes ne sont pas autorisées respectivement ni à exercer de contrôle direct ou indirect ou un quelconque pouvoir sur une entreprise assurant des fonctions production ou fourniture, et à exercer de contrôle direct ou indirect ou un quelconque pouvoir sur un gestionnaire de réseau de transport ou un réseau de transport. Parallèlement, la ou les mêmes personnes ne sont pas autorisées à désigner les membres du conseil de surveillance, du conseil d’administration ou des organes représentant légalement l’entreprise d’un gestionnaire de réseau de transport ou d’un réseau de transport, et à exercer un contrôle direct ou indirect ou un quelconque pouvoir sur une entreprise assurant des fonctions production ou fourniture.
« En règle générale, la ou les mêmes personnes seront soit la société dont l’activité est la fourniture ou l’exploitation du réseau, soit une société mère, telle qu’une société holding, ayant des filiales agissantes en tant que fournisseurs ou les opérateurs de réseaux. La notion de « contrôle » englobe, quant à elle, à la fois les contrôles de jure et de facto qui confère la possibilité d’exercer une influence décisive sur une personne. L’influence déterminante peut notamment découler :
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de la propriété ou le droit d’utiliser tout ou partie des actifs d’une entreprise; ou
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des droits ou des contrats conférant une influence déterminante sur la composition, le vote ou les décisions des organes d’une entreprise.
Enfin, la notion de «pouvoir» se comprend comme :
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le pouvoir d’exercer les droits de vote;
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le pouvoir de nommer des membres du conseil de surveillance, du conseil d’administration ou des organes représentant légalement l’entreprise; ou
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la détention d’une part majoritaire.
En application du régime de dissociation pure, les différents Etats membres ont fait progressivement sortir du capital des sociétés de réseau les producteurs et fournisseurs, Gazprom et ENI sont des parfaits exemples ».
(Fin du volet 2)