Euro et dettes publiques font mauvais ménage…
La question n’est donc plus de savoir si les Etats de la zone euro sont en défaut : la plupart le sont sociétalement dans la mesure où le poids des dettes publiques n’est plus transposable dans le futur. Car ce n’est pas la dette, en tant que telle, qui importe, mais sa cohérence avec la prospérité et les revenus futurs. Or la dette publique ne bénéficie plus en rien aux générations futures, alors que le remboursement est mis à leur charge. Cette dette ne finance d’ailleurs plus des investissements mais des transferts. Au surplus, comment expliquer qu’une crise de l’endettement se règle à coups de rigueur budgétaire et de chômage, c’est-à-dire au détriment de ceux qui devront la rembourser ?
Cette dette publique s’est indubitablement enflammée à cause de la crise économique et des sauvetages bancaires. Mais elle est aussi alourdie par l’absence de croissance économique. Plus fondamentalement, c’est le modèle d’Etat-providence par endettement qui est la racine de cette situation. Ce modèle a pu être perpétué par la monnaie unique, qui a fourni à tous les Etats européens des conditions d’emprunt allemandes, c’est-à-dire anormalement basses.
L’euro, qui est pourtant un choix d’économie libérale, a été conçu par des responsables politiques qui n’ont pas voulu aller au bout de la monnaie unique, c’est-à-dire une diminution sage du rôle des Etats dans l’économie. Au contraire, dès avant 2008, de nombreux Etats-membres ont profité de la dilution de leur monnaie domestique au travers d’un gigantesque effet d’aubaine alimenté par la force de l’économie allemande. L’endettement public a donc crû à bon compte, comme s’il était indolore. Il n’a pas été discipliné par des taux d’intérêt qui auraient dû augmenter pour signaler l’excès d’endettement public. On peut même se demander comment la BCE a toléré, pendant les années précédant la crise, une croissance des dettes publiques à un taux supérieur à sa cible d’inflation, c’est-à-dire 2 %, sachant que les dettes publiques doivent, au mieux ; être dissoutes dans cette même inflation.
Evidemment, on peut argumenter qu’une dette publique est, comme le suggérait Karl Marx supra, un capital fictif. Elle n’est jamais remboursée et se dilue au gré des années dans un refinancement permanent. Sous cet angle, on peut imaginer que la dette soit naturelle, en ce qu’elle reflète un transfert continu des créanciers de l’Etat vers les secteurs publics, à l’instar d’une gigantesque sécurité sociale. Elle serait même « la » représentation par excellence de l’Etat puisque son refinancement conditionne les mécanismes fiscaux et de redistribution.
La plus grande menace pour la stabilité de l’euro, c’est la dette publique. Au Sud de l’Europe, il est hasardeux d’imaginer que la monnaie, les dépôts bancaires et les réserves d’assurance garderont un pouvoir d’achat stabilisé alors que leur contrepartie se trouve dans des dettes publiques impayables.
Bruno Colmant