Massimo Balducci
L’Italie a la réputation d’être un pays caractérisé par un taux élevé d’évasion fiscale. Comprendre le cas italien des rapports entre activités fiscales et contribuable peut nous aider à mieux focaliser le thème de la compliance, tel qu’il devrait être compris, de manière correcte, dans une économie avancée qui fonctionne dans le cadre d’un État de droit. Récemment la presse italienne a reporté une déclaration du responsable de l’Agence des Recettes de l’État suivant laquelle 19 millions d’italiens seraient des évaseurs fiscaux[1]. Il faut se demander si cette affirmation n’est pas due, non pas à un mauvaise habitude italienne, mais bien plutôt à une approche déformée de l’Agence des Recettes de l’ État italien. Partons de l’instrument de la compliance utilisé par l’Agence des recettes. La compliance est cet instrument par lequel je vérifie si les comportements effectifs correspondent à des standards prédéfinis (cfr. https://www.riskcompliance.it/news/ma-cosa-e-questa-compliance/ ). Il s’agit, en quelque sorte, du même principe que celui à la base de l’ État de droit, c’est-à-dire la rule of law, par opposition au gouvernement de l’homme par l’homme.
L’Agence italienne des Recettes a, par contre, une conception complètement différente de la compliance. La compliance n’est pas l’instrument qui permet de garantir le respect de la norme, instrument qui, partant, oblige l’opérateur mais aussi le contrôleur. Pour l’Agence des Recettes la compliance se réalise quand un contribuable accepte une interprétation de la norme donnée par l’Agence sans s’y opposer. Dans cette hypothèse le contribuable bénéficie même d’une sanction réduite pour l’hypothétique infraction qu’il aurait commise! Si le contribuable italien se plie face au pouvoir du fonctionnaire, tout va bien: le contribuable est “primé” par une réduction de la sanction (https://www.agenziaentrate.gov.it/portale/schede/agevolazioni/regime-di-adempimento-collaborativo/infogen-reg-adempimento-collaborativo). Mais gare à lui s’il ose faire valoir ses bonnes raisons!
À ceci il faut ajouter que les données souvent serinées sur l’évasion fiscale des italiens se basent sur une comptabilité publique qui présente de nombreux aspects douteux. Dans tous les pays avancés du monde le cycle du budget public commence par une “prévision des recettes” (à laquelle succède l’allocation des ressources perçues au différents secteurs d’activité des pouvoirs publics etc.). Bizarrement cette phase de “prévision/estimation des recettes” dans la terminologie de la comptabilité publique italienne se dénomme “accertamento”, c’est-à-dire détermination/la certification du droit à percevoir, alors qu’il devrait être clair pour tous que dans une prévision il n’y a justement rien de certain.
D’où dérive cette particularité étrange de terminologie? Pourquoi ce concept étrange et quelle en est la conséquence? Le fait d’appeler certification une opération de prévision découle d’une conception brutalement autoritaire de l’ État qui ne prend même pas en considération la possibilité de pouvoir se tromper. La conséquence en devient ridicule, sinon tragique. Les recettes “certifiées” peuvent être dépensées même si elles ne sont pas perçues! C’est là que se trouve l’une des principales causes de la dette publique de l’Italie. La Commission UE a imposé des conditions à l’Italie afin qu’elle puisse utiliser les fonds de la Next Generation EU: la réforme de son administration publique et de la justice. Parmi les tentatives plus ou moins malavisés du gouvernement italien de réformer son administration publique ce thème est complètement ignoré.
Mécanisme de la certification
Pourquoi devrait-on “certifier” des recettes difficilement réalisables? Tout d’abord parce que les titulaires du pouvoir disposent ainsi d’une agilité de manœuvre bien plus élevée que celle que permettrait une saine gestion. Les retards de paiement des administrations publiques italiennes à l’égard de leurs fournisseurs privés y trouvent leur origine. Le mécanisme de la certification non supporté par des données réelles permet aux administrations de prendre des engagements de dépenses en l’absence de couverture par les encaissements, mais là aussi il s’agit de couverture formelle: de compétence (de droits théoriquement à percevoir) et non de véritable trésorerie (encaissements réels). Les réviseurs des comptes des collectivités territoriales devraient mettre un frein à ces pratiques délétères mais ils rencontrent beaucoup de difficultés dues au manque de données statistiques fiables sur lesquelles fonder leur analyse[2]. Un frein ultérieur est représenté par le Décret législatif n° 118/2011 (pris en exécution de la loi n°42 de 2009) qui impose aux collectivités territoriales d’analyser leurs dépenses et de les temporiser en fonction de leurs recettes. Pour d’autres administrations publiques que les collectivités territoriales, il n’y a même pas le rempart du collège des réviseurs des comptes et l’obligation de temporiser leurs dépenses en fonction des recettes (prévu par de décret 91/2018) est complètement ignoré.
D’où l’attitude polémique de l’Agence des Recettes italienne. Mais pourquoi les fonctionnaires de l’Agence des Recettes devraient-ils se prêter à ce jeu féodal? L’agence des Recettes italienne se plaint du fait qu’elle réussit seulement à récupérer 7% de l’évasion “certifiée” (qui, par ailleurs, peut tranquillement être dépensée). Le fait est que les fonctionnaires de l’Agence des Recettes bénéficient de mécanismes de motivation à la productivité prévus par le Décret législatif 150/2009[3]. Les objectifs de la productivité ne sont pas définis sur la base des ressources récupérées mis sur la base des évasions “certifiées”. Avec le mécanisme de la compliance que nous avons décrit plus haut, le fonctionnaire de l’Agence des Recettes non est motivé à approfondir les cas particuliers ni à analyser si le contribuable a quelque bon motif en faveur de son interprétation de la norme fiscale. En “certifiant” il sait qu’il contribue à l’accomplissement de ses objectifs de productivité (essentiellement quantitatifs) et aux primes financières qui y sont liés.
Normes européennes
La situation devient souvent dramatique pour les citoyens communautaires qui opèrent en Italie. En ce cas surgit un autre problème: l’ignorance des normes européennes et du fait que ces normes prévalent sur les normes italiennes. Le fonctionnaire devrait écarter la norme italienne et appliquer la norme européenne. Mais le fonctionnaire italien ne le sait pas et, surtout, applique la circulaire, sans même se préoccuper de vérifier si la circulaire est conforme à la loi italienne et avant tout à la loi européenne. La hiérarchie des normes est complètement ignorée. La possibilité de s’adresser à SOLVIT , le mécanisme UE prévu pour les cas de contrastes des normes nationales de divers États membres avec les principes de l’ acquis communautaire est vanifiée parce que ce mécanisme est géré par les administrations italiennes elles-mêmes. Combien sont les citoyens communautaires qui résident pour des motifs de travail ou de famille en Italie et se sont vu notifier des “rectifications” fiscales car considérés évaseurs?
Ceci n’est pas pour dire qu’il n’y a pas d’évaseurs fiscaux en Italie. Simplement que le phénomène est bien moins étendu qu’on ne le croie et qu’il est en grande partie dû aux comportements féodaux de l’État italien. Et surtout, avec ce genre de comportements on ne recherche pas l’évasion là où elle se niche!
Ici je ne peux manquer de me demander où donc se trouve l’UE qui se cabre face à la Pologne et à la Hongrie qui ne respectent pas l’État de droit mais qui ignore complètement ces graves anomalies italiennes.
Massimo Balducci
[1]https://pagellapolitica.it/articoli/19-milioni-evasori-fiscali
[2]G. Fera, “I revisori dei conti degli enti locali”, in W. ANELLO, M. BALDUCCI (a cura di), La performance nella pubblica amministrazione locale, Cosa possiamo imparare dagli altri, Milano, 2021, Franco Asngeli open access, ce volume est télédéchargeable gratuitement au lien suivant: https://www.torrossa.com/en/resources/an/5137760
[3]M. BALDUCCI, “La performance come adempimento”, in W. ANELLO, M. BALDUCCI (a cura di), ibidem