Thierry Malleret, économiste, auteur et président du Global Risk Network au Forum économique mondial, l’affirme : on ne peut dissocier les risques géopolitiques mondiaux des autres risques globaux. Sous peine de ne pas saisir les grands bouleversements et les événements disruptifs avant qu’il ne soit trop tard.
Selon Thierry Malleret, l’étude des risques globaux visant à prévoir les prochaines crises est un véritable défi. Comme fondateur et président du Global Risk Network au Forum économique mondial, il sait de quoi il parle.
La crise des subprimes en 2008 n’avait été prévue que par quelques personnes, même au sein des centaines d’experts qui assistent chaque année au Forum économique mondial. Il en est de même, plus récemment, pour les problèmes au sein de la zone Euro ou, avant cela, pour l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. Lors de son discours au Chubb Multinational Risk Forum, Thierry Malleret a identifié deux obstacles qui empêchent toute prévision précise.
Le premier obstacle est l’incapacité à distinguer le risque de l’incertitude. « Comme nous le savons, les risques peuvent être mesurés. Nous pouvons leur attribuer un degré de probabilité et donc aussi déterminer leur coût. L’incertitude n’est par contre aucunement mesurable monétairement. Nous faisons face à des systèmes qui sont régis par des personnes et des émotions humaines, des systèmes complexes et non linéaires qui sont, par nature, imprévisibles », a-t-il ainsi expliqué.
Le second obstacle a trait au mode de pensée cloisonné qui est souvent celui des prévisionnistes. Ces spécialistes ignorent souvent le fait qu’on ne peut isoler les tendances géopolitiques des autres évolutions globales, y compris non géopolitiques. Selon Thierry Malleret, tous les risques majeurs – économiques, sociétaux, environnementaux et technologiques – sont interconnectés à un niveau plus ou moins important.
« Pour essayer de comprendre quelle sera l’évolution des risques géopolitiques dans les cinq prochaines années, nous devons examiner le contexte de carence de pouvoir dans lequel est aujourd’hui plongé le monde : nous vivons dans un monde dont plus personne n’est responsable », a indiqué Thierry Malleret. « Le déficit le plus patent auquel le monde doit faire face est la déconnexion entre l’exigence de coopération globale, qui n’a jamais été aussi forte, et son offre qui est en déclin. »
L’IA comme source d’instabilité
Il ne faut pas dissocier les risques géopolitiques des autres risques ‘macro’ nous dit Thierry Malleret qui met en avant certaines interconnexions : « Il est par exemple crucial de réfléchir à deux éléments qui mèneront probablement à un chômage structurel dans les prochaines années : l’automatisation et l’intelligence artificielle. »
Prenant l’exemple de la technologie des véhicules autonomes, Malleret a rappelé que trois millions de personnes sont employées directement par le secteur du transport routier aux Etats-Unis. Cinq millions le sont aussi indirectement : « Il y a de cela deux mois, une cargaison de Budweiser a été pour la première fois livrée dans le Nevada par trois camions qui ont parcouru les Etats-Unis sans chauffeur. Les camions avaient par ailleurs été chargés et déchargés par des robots », a-t-il indiqué. « L’intelligence artificielle et l’automatisation seront une énorme source d’instabilité sociale, et donc aussi géopolitique, dans les années à venir. Et tout évolue très rapidement. »
Populisme et conflit entre Etats
Pour Thierry Malleret, le populisme est aujourd’hui le risque géopolitique le plus grave auquel le monde est confronté. Caractérisé par un rejet des élites et une hostilité vis-à-vis des institutions et des politiciens traditionnels, le populisme rejette l’immigration, avec de forts relents nationalistes. « Le populisme peut aujourd’hui être considéré comme un phénomène global. C’est Trump aux Etats-Unis, Duterte aux Philippines, Erdogan en Turquie, Poutine en Russie, Modi en Inde, etc., etc. »
Les conflits entre Etats, liés au populisme, sont une menace émergente : « Les pays qui concentrent le plus de risques – économiques, géopolitiques, sociétaux ou environnementaux, se trouvent en Asie », a expliqué Thierry Malleret. « L’Asie est le seul continent du monde où chaque pays présente au moins un conflit frontalier avec l’un de ses voisins. C’est même vrai pour Singapour. »
Des risques exagérés ?
Thierry Malleret a conclu son propos en parlant des risques qui sont selon lui exagérés ou sous-estimés. Le protectionnisme ne constitue pas, selon lui, un risque majeur par définition. Il est en effet devenu virtuellement impossible de ‘déglobaliser’ le monde. « Il est trop tard. La globalisation ne peut être défaite, même en essayant de toutes nos forces ; nous ne pouvons pas déconstruire l’enchevêtrement des réseaux qui unissent désormais les pays et les chaînes d’approvisionnement mondiales. »
Thierry Malleret pense toutefois qu’une pratique du commerce qui serait néfaste à un pays voisin ne pourrait qu’avoir un effet négatif, particulièrement sur les pays d’Asie tournés vers l’exportation, et pourrait accroître les tensions existantes. « La Mer de Chine méridionale est la région du monde où la probabilité de survenance d’événements problématiques est la plus forte, à cause de l’histoire de la région et des tensions qui existent entre les différents pays qui l’entourent », a-t-il encore confirmé.
Existe-t-il un remède au choc du futur ?
14 juin 2017