En annonçant une nouvelle hausse de taux de 25 points de base (0,25%), la Réserve fédérale américaine (Fed) poursuit son cycle de hausse le plus explosif depuis un demi-siècle : en seulement 14 mois, elle a ainsi augmenté, par tirs ininterrompus, ses taux directeurs de 5%. Même son de cloche du côté de la Banque centrale européenne (BCE), qui vient de remonter ses taux de 0,25%, portant la hausse cumulée à +3,75% sur 10 mois, un mouvement inédit depuis sa naissance à Francfort il y 25 ans. Pourtant, dans les discours et les trajectoires des deux institutions, des divergences émergent.
Du côté de New York, l’hypothèse d’une pause est à présent officiellement sur la table. Pris en tenaille entre une inflation encore bien au-delà de sa cible de 2% et les conséquences de tours de vis monétaires qui prennent du temps à se matérialiser, le président Powell ne s’interdit pas de nouvelles hausses. Mais il écarte l’hypothèse d’une baisse dans les mois à venir. Des vents contraires empêchent le pilote de la Fed de naviguer comme il le désirerait. D’un côté, le marché de l’emploi reste tendu, faisant craindre une inflation portée par les salaires, après l’avoir été par les matières premières puis par les profits. De l’autre, les faillites bancaires qui se multiplient assèchent un peu plus le robinet du crédit. Une pause paraît donc salvatrice, en attendant d’y voir plus clair et de mesurer plus précisément les conséquences des hausses de taux passées et de la crise bancaire.
Du côté de Francfort en revanche, Christine Lagarde écarte l’hypothèse d’une pause dans le cycle de resserrement, comme elle l’a déclaré : « Nous avons plus de chemin à parcourir et nous ne nous arrêtons pas ». La présidente de la BCE va par ailleurs accélérer la réduction de son bilan dès juillet, en ne réinvestissant plus les coupons ni le principal des obligations arrivant à échéance, soit environ 27 milliards chaque mois d’ici la fin de l’année : le feu d’artifice va se prolonger. On comprend également que des divergences existent au sein du Conseil des gouverneurs, une minorité ayant plaidé pour une hausse de 0,50%.
Du côté des marchés, le scénario de la Fed n’est pas considéré comme crédible : le marché des taux anticipe au moins 3 baisses de taux d’ici la fin d’année, alors que les membres de la Fed écartent cette hypothèse. Bank of America souligne que si, depuis un demi-siècle, une fois le bouquet final tiré par la Fed, le marché actions américain monte une fois sur deux, il recule systématiquement dans le cas d’un cycle inflationniste, de -5% en moyenne sur un horizon de trois mois. En zone Euro, la BCE ne communiquant pas de projections de taux sur moyen ou long terme, il est impossible de mesurer la divergence des trajectoires de taux susceptible d’apparaître entre le marché et la banque centrale. Un seul constat peut être dressé à ce stade : le marché des taux anticipe une à deux hausses supplémentaires d’ici la fin d’année, ce qui ne paraît pas en décalage par rapport aux indications que distille la BCE.
Pétard mouillé ou bouquet final, la mèche est allumée. Mais si la Fed et la BCE ont nourri un feu d’artifice de hausses ces derniers mois, ont-elles signé une partition sans fausses notes, ou au contraire allumé la mèche d’un incendie dévastateur pour la croissance et les marchés ? L’avenir nous le dira.
Clément Inbona, Fund Manager, La Financière de l’Echiquier.