2022 restera dans les annales comme l’année d’un krach obligataire global comme il n’y en avait pas eu depuis une génération. Dans l’épisode de 1994, les taux d’intérêt avaient plafonné à un niveau supérieur à aujourd’hui, mais l’ampleur et la vitesse de la correction avaient été moindres. A titre d’illustration, le rendement des emprunts d’Etat à dix ans dans les pays du G7 (hors Japon) avait monté de 200pdb en 1994. Cette fois-ci, la hausse est déjà de 280pdb alors que l’année n’est pas encore terminée. Le krach obligataire de 2022 fait d’autant plus de dégâts qu’il intervient après une décennie de compression des taux (suite à la crise financière de 2008 puis à la pandémie de 2020), et dans certains cas après une période de taux négatifs. Les investisseurs avaient tout bonnement oublié que les taux pouvaient rebondir si vite. Est-on en passe de voir se dessiner la fin de cette correction ?
Pour répondre à cette question, il faut considérer les trois paramètres essentiels qui informent sur la direction des taux longs, à savoir l’orientation des politiques monétaires, les perspectives de croissance et d’inflation, la prime de risque associée aux choix budgétaires. Voyons ce qu’il en est actuellement.
Les plus récentes décisions des grandes banques centrales ont confirmé leur biais ultra-restrictif. La Fed, la Banque d’Angleterre et la BCE ont relevé leurs taux directeurs de 75pdb. Depuis le début du cycle de resserrement, elles ont déjà durci leur politique monétaire de 375, 290 et 200pdb respectivement. Partout, les banquiers centraux signalent que d’autres hausses vont suivre mais sont assez prudents pour ne pas dire où et quand le cycle va s’arrêter. Ils sont par contre sans ambiguïté pour récuser le moindre espoir d’assouplissement à court terme. Par suite, les marchés continuent de rehausser le niveau terminal des taux directeurs. Dernièrement, ils situaient ce point d’arrivée un peu au-dessus de 5% pour la Fed, de 4.5% pour la Banque d’Angleterre et de 3% pour la BCE (graphe).
A l’approche de ces niveaux, il est probable que le rythme des futures hausses de taux sera moins rapide dans les prochains mois. Au début du cycle de resserrement , les banques centrales agissaient dans la précipitation pour rattraper leur retard et corriger leur erreur de prévision de l’inflation. Ce n’est plus aussi nécessaire désormais. Même si elles n’ont pas encore vaincu l’inflation, on ne peut mettre en doute leur engagement à restaurer la stabilité des prix conformément à leur mandat.
Après tout, elles sont prêtes à « sacrifier » de la demande et de l’emploi pour réduire les tensions de prix et de salaires. En somme, l’orientation des politiques monétaires continue de pousser les taux longs vers le haut.
Outre les politiques monétaires, les taux d’intérêt sont censés refléter le régime de croissance économique nominale, combinant la progression des volumes d’activité et des prix. Concernant les perspectives d’activité, les révisions continuent de pointer vers le bas. Le consensus prévoit actuellement une croissance moyenne du PIB réel d’environ 0.5% en 2023 aux Etats-Unis (-2 points depuis janvier), de 0% en zone euro (-2.5 points), de 4.8% en Chine (-0.5 point). Dans tous ces cas, ce sont des rythmes de croissance bien inférieurs aux tendances potentielles.
Concernant les prix, la vue générale est que les rythmes d’inflation vont fortement diminuer en 2023, après avoir atteint des pic historiques cette année au voisinage de 10% dans la plupart des pays développés. Les facteurs de désinflation se font plus nombreux. Citons par exemple l’atténuation des perturbations logistiques globales, le freinage de la demande de biens manufacturés, la disparition des aides Covid, le repli des prix de nombreuses matières premières, et surtout le choc négatif sur les revenus réels. Ce qui manque encore au scénario de désinflation, en particulier aux Etats-Unis, est une modération des salaires. En 2022, les statistiques d’inflation ont toujours surpris à la hausse, alimentant l’idée qu’on vivait un changement de régime et qu’on risquait une inflation galopante comme dans les années 1970. Cela contribuait à la rapide remontée des taux longs. A l’opposé, on ne serait pas étonné que les surprises aillent dans l’autre sens en 2023, ce qui changerait le « narratif » du choc d’inflation.
Dernier élément à prendre en compte : les politiques budgétaires. Il y a quelques semaines, le Royaume-Uni a montré des marchés imposant une prime de risque exceptionnelle aux obligations d’Etat par crainte d’un creusement insoutenable des déficits budgétaires. Les dommages de cet épisode de stress ont été depuis effacés en bonne partie mais au prix d’un revirement complet des choix fiscaux. La remontée des taux renchérit le service de la dette publique au moment où les banques centrales cessent ou réduisent leurs programmes d’achats d’actifs. Dans ces conditions, les politiques budgétaires doivent éviter de susciter le moindre doute sur la soutenabilité des finances publiques au risque, sinon, de voir les taux s’envoler davantage. L’exemple britannique est à méditer pour tous les autres gouvernements, ceux qui ont une dette très élevée (Italie) comme ceux dont le processus budgétaire est parfois l’otage de divisions partisanes (Etats-Unis).
Bruno Cavalier, Chef économiste ODDO BHF