Alain Deladrière
L’Union bancaire européenne est sans doute la plus grande réforme que l’Europe ait connue depuis l’introduction de l’euro. Réforme attendue et annoncée depuis longtemps, elle s’est conrétisée en 2013 et en 2014. Un projet ambitieux qui est une petite révolution comme l’explique Maître Jean-Pierre Buyle. Il faut reconnaître qu’il s’agit là d’un pas important vers plus de fédéralisme européen et moins de souveraineté nationale. Cela va un peu à l’encontre de certains mouvements étatiques qui veulent moins d’Europe et plus d’Etat fédéral national. Je pense que si l’on veut construire véritablement l’Europe, c’est de la sorte qu’il faut procéder en transférant des compétences nationales vers des compétences fédérales.
L’objectif de cette réforme est double. Le premier est d’assurer surtout dans la zone euro – puisque ce sont d’abord les 18 Etats membres d’Euroland qui sont concernés par l’Union bancaire européenne même si certaines règles sont étendues à toute l’Europe – une stabilité sur le plan financier, une stabilité du système bancaire et sa capacité à résister aux vents mauvais. Le deuxième objectif de cette réforme est qu’en cas de défaillance, de faillite d’une banque, on brise le lien entre ce que l’on a appelé les dettes souveraines, c’est-à-dire les surengagements des Etats, par rapport aux crises bancaires, aux engagements des banques, ces dernières ne sachant plus couvrir, parce que ne possédant pas assez de fonds propres, entre autres.
Un point de départ réglementaire
Le point de départ a consisté en une directive et un règlement qui ont été adoptés en 2013, ce que l’on appelle la réglementation CRD IV/CRR. Un jargon un peu curieux qui est néanmoins la base de la réglementation actuelle.
Je rappellerai que le secteur banquier était réglementé il y a 25 ans par la première et la deuxième directives qui ont fait leur chemin mais qui avaient leurs limites sans doute parce que les règles n’étaient pas assez uniformisées au niveau européen et parce qu’elles étaient interprétées par les autorités de contrôle nationales souvent dans une conception assez protectionniste. Ensuite, parce qu’il n’y avait pas d’autorité de contrôle uniforme centralisée sur le plan européen.
Avant de parler de contrôle des autorités, on s’est donc dit qu’il fallait se mettre d’accord sur les règles du jeu et de disposer de règles du jeu communes, en l’occurrence le paquet législatif CRD IV/CRR.
Il s’agit de critères d’exigence qui sont demandés à toutes les banques et toutes les entreprises d’investissement dans l’Union européenne tel que cela résulte des règles de Bâle 3, avec tout ce que l’on connaît de règles super-techniques de comptabilité, d’exigences en ratio, de solvabilité, de liquidités, de composition des fonds propres en tier 1 (fonds propres en capital), en tier 2 (capacité à résister à un endettement imprévu). Ce corpus réglementaire se traduit à présent par une directive et par un règlement.
L’objectif est donc bien de déterminer des normes communes pour toutes les banques et de renforcer leur capacité à résister aux chocs et à améliorer leur gestion des risques. Cela constitue véritablement le centre de la réforme européenne mais aussi de la réforme en Belgique avec la notion de « risque » qui est au coeur de toutes les réglementations et de la gouvernance. (En matière de gouvernance, de nombreuses règles ont été modifiées sur lesquelles nous reviendrons dans un autre article).
Ce cadre juridique de CRD IV/CRR va régir l’accès aux activités bancaires, le cadre de la surveillance et les règles prudentielles. Ce paquet législatif devait être entré en vigueur le premier janvier 2014. En Belgique, le législateur a intégré ce paquet législatif dans la loi bancaire du 25 avril 2014. La loi va beaucoup plus loin puisque la réforme belge intègre ou devance d’autres directives et réglementations européennes qui ne sont même pas encore en vigueur. Par exemple, la proposition Barnier de structuration des activités bancaires avec l’interdiction de négocier sur ses fonds propres. Voilà une proposition qui n’est pas finalisée sur le plan européen mais qui a été devancée en Belgique comme on l’a fait en Allemagne, en France, en Angleterre et aux Etats-Unis.
Une Union bancaire fondée sur trois piliers
Cette Union bancaire repose sur trois piliers : la surveillance unique, la résolution des défaillances et la protection des dépôts (inaccomplie aujourd’hui).
Le premier pilier, le mécanisme de surveillance unique (MSU) résulte de deux règlements adoptés en octobre 2013. Le premier règlement confie à la Banque centrale européenne de Francfort des missions qui sont spécifiques en matière de surveillance prudentielle des banques. Par exemple, toute la matière des agréments. Dorénavant, toutes les banques et pas seulement les banques systémiques doivent obtenir l’agrément auprès de la BCE. Un deuxième exemple est le mécanisme des prises de participation fondamentales.C’est le règlement MSU à proprement parler.
L’autre règlement va modifier celui qui a créé l’ABE, l’Autorité bancaire européenne, en changeant certaines interventions et certaines compétences.
La crise financière nous a montré dans l’examen de ce premier pilier qu’une simple coordination entre les autorités nationales de surveillance était insuffisante. Il y avait autant d’interprétations de règles qu’il y avait de réglementations. Cela m’a frappé de voir en Angleterre, qu’un des meilleurs spécialistes de la matière financière à l’été 2013 avait oeuvré avec une équipe de spécialistes – des économistes – et avait récolté tous les rapports annuels de toutes les banques des 28 Etats membres. Ils se sont rendus compte que la présentation des comptes annuels des bilans de toutes les banques était différente non seulement d’Etat à Etat mais également qu’au sein d’un même état, chaque banque avait sa manière de présenter des fonds propres ou d’imputer un contrat de location d’une agence bancaire dans son bilan par exemple. Il est apparu qu’à l’intérieur d’un même pays, les banques ne révélaient pas les même détails et qu’il était impossible de tirer des conclusions adéquates comparables.
Le but de ce mécanisme de supervision est par conséquent d’arriver non seulement à des règles uniformes comme on l’a vu dans le single rule mais également une interprétation commune par une autorité de contrôle qui est unique, la Banque centrale européenne.
Le MSU ne vise que les 18 Etats de la zone euro mais peut être étendu aux Etats membres qui ne sont pas dans la zone euro et qui souhaitent rejoindre l’Euroland. Actuellement, certains pays négocient avec l’Europe comme le Danemark qui sera le premier pays à rejoindre ce MSU.
Une deuxième limitation du champ d’application est que seuls sont visés les établissements de crédit importants ou significatifs au regard de différents critères que nous n’approfondirons pas ici (liés au chiffre d’affaires, au personnel employé…). Cela concerne 130 groupes bancaires qui représentent plus de 80 % des actifs de la zone euro. Cela signifie que les autres banques restent surveillées par les autorités de contrôle nationales – pour la Belgique, la Banque nationale.
Les missions prudentielles octroyées à la BCE sont très nombreuses avec des missions microprudentielles et macroprudentielles et des pouvoirs d’enquête assez importants dans le chef de la BCE. En outre, la BCE peut prononcer des sanctions importantes pécuniaires, administratives. Elle peut aussi demander aux autorités de contrôle nationales d’appliquer certaines mesures conservatoires (désignation d’administrateurs provisoires ou prendre des mesures d’interventions précoces).
Une question délicate qui s’est posée est de savoir comment la Banque centrale pouvait agir dans cette mission de manière indépendante? On a réglé la chose en disant que la Banque centrale porte deux casquettes: une de politique monétaire et une de surveillance. Pour séparer ces deux fonctions, faire en sorte qu’elle soit indépendante dans sa fonction prudentielle, il est prévu que les missions prudentielles soient confiées à un ‘tiroir’, un conseil de surveillance, qui va être financé par les banques de l’Euroland.
La législation européenne prévoit des recours contre les décisions de la BCE. D’abord des recours en interne, ensuite si la banque centrale devait maintenir sa position sans la revoir, par exemple, et refuser un agrément, il existe un recours prévu devant les juridictions de l’Union européenne qui se trouvent à Luxembourg.
Le deuxième pilier est le mécanisme de résolution unique (MRU). Il est très important. Il prévoit deux volets. Un volet préventif, le redressement et la résolution des défaillances bancaires. Il s’agit d’une directive du 15 mai 2014. Il y a également un volet curatif: le mécanisme de résolution unique proprement dit, régi par un règlement du 15 juillet 2014. On rappellera que la différence entre une directive et un règlement réside dans le fait que la directive s’applique à tous les Etats membres mais laisse des portes de sortie sur certains points et implique qu’une loi intervienne mais il peut encore y avoir des différences. Tandis qu’un règlement est d’application immédiate et c’est le même texte commun pour tous les Etats qui sont concernés.
La matière du volet préventif, le redressement et la résolution des défaillances bancaires, est régie par une directive dénommée BRDD du 15 mai 2014, dont l’objectif est d’intervenir le plus possible en amont et d’éviter des procédures d’insolvabilité et de défaillance. On a prévu que les banques doivent établir des plans de redressement et les mesures qu’elles doivent prendre quand elles sont confrontées à une déterioration significative de leur situation financière. Elles doivent établir un plan et le valider avec leur autorité de contrôle (ce sont des plans dits de résolution).
Il est prévu également que les autorités de résolution puissent prendre des mesures dites d’intervention précoce: cession forcée, création d’une banque relais, séparations des activités saines et toxiques, mise à contribution de certains créanciers. Le pivot de cette directive est la mise en place d’un mécanisme de renflouement interne, ce que l’on appelle le bail-in – par opposition au bail-out qui est une intervention de l’Etat que l’on a connue lors de la crise (lire également l’encadré).
Cela signifie que l’on casse le lien entre les faillites de banques et les dettes publiques. Il s’agit donc bien d’une directive d’harmonisation et qui vise bien l’ensemble de l’Union européenne.
Il n’y a pas de centralisation du processus décisionnel en matière de résolution. Autrement dit, les autorités nationales comme la Banque nationale de Belgique ou la Banque nationale de France par exemple, seront compétentes pour décider si oui ou non, on entre dans un mécanisme de résolution. C’est la raison pour laquelle, il fallait prévoir à côté de ce mécanisme préventif, un autre mécanisme de résolution unique, le deuxième pilier de l’Union bancaire européenne, le MRU, le mécanisme de résolution bancaire, qui lui entrera en vigueur le 1er janvier 2015 et ne vise que les 18 Etats membres de la zone euro.
La gestion de ce mécanisme de résolution unique se fera par le biais d’une agence de l’Union européenne qui s’appelle le Conseil de résolution unique (CRU) dont les membres sont nommés par le conseil de l’Union européenne.
Ce mécanisme fonctionne en 4 étapes. Première étape, la banque centrale allume le feu clignotant. Il y a une alerte. Deuxième étape, le CRU établit un plan de sauvetage. Troisième étape, la Commission européenne valide ou rejette le plan et si elle l’accepte déclenche la résolution. C’est l’autorité centrale de décision. Quatrième étape, on retourne au CRU qui va exécuter le plan décidé par la Commission européenne.
Cela montre que si le Conseil de l’Union européenne nomme les gens, ce ne sont pas les représentants des gouvernements qui prennent la décision, mais bien la Commission européenne dont les membres ont été élus par le Parlement. Par conséquent, on est en présence d’une assiette démocratique de ce mécanisme de résolution.
A côté de ce mécanisme, la logique de la mise en place de ce mécanisme appelle la création d’un fonds européen de résolution. Le financement de ce fonds par les banques est prévu en 8 années pour arriver à 55 milliards d’euros (12,5 % par an). Il est stipulé que les contributions serontt progressivement mutualisées au niveau européen et le rythme sera accéléré: 40 % la première année, 20 % la deuxième et 10 % chaque année. C’est à la fois peu et beaucoup. C’est beaucoup parce que en réalité cela représente 1 % des dépôts garantis. C’est beaucoup mais peu à titre de comparaison. Par exemple, lorsqu’on regarde ce que l’Allemagne a dépensé lors de la crise des banques en difficulté en 2008, ce fut 60 milliards d’euros. Si je prends la Belgique et la France lors de l’affaire Dexia, on a déboursé 12 milliards d’euros. Et si je prends la période 2008-2011, les Etats européens ont déboursé 400 milliards d’euros et émis 1.600 milliards d’euros de garantie. C’est donc énorme par rapport à ces 55 milliards d’euros.
Et s’il y a un crash? Rien n’est prévu. Il faudra donc se parler. Mme Merkel discutera avec M. Hollande et les autres, nos hommes politiques étant contraints de trouver une solution. Il faut qu’à moment donné quelqu’un débourse ou laisse tomber comme pour Leeman Brothers. Mais si vous avez face à vous une banque systémique, il est impossible de laisser tomber. Probablement qu’à un moment donné, on retournera vers les Etats ou bien que dans les années qui viennent, on augmentera progressivement ce fonds européen de résolution.
Le troisième pilier est le système de protection des dépôts. Il est actuellement incomplet ou inabouti. Il correspond à un système qui devrait être unique de garantie de dépôts pour protéger les déposants de la zone euro en cas d’échec du plan de sauvetage déjà évoqué. Pour le moment, ce pilier n’est pas mis en oeuvre. La proposition de la Commission européenne de créer un fonds européen unique de garantie des dépôts a été retirée en raison de l’opposition de l’Allemagne. Actuellement, nous disposons d’une directive du 16 avril 2014 qui s’inscrit dans la lignée des directives précédentes et qui s’applique à toutes les banques dans toute l’Union bancaire européenne. Elle prévoit une couverture fixe de 100.000 euros par répondant avec quelques exceptions et des régimes dérogatoires et financement de ce fonds.
Des actionnaires vigilants mais qui devront encore l’être nettement plus
Dorénavant, les actionnaires devront être encore plus vigilants. C’est pour cela aussi que l’on a prévu toute une série d’autres règles de comportement à la fois symboliques mais également de gouvernance consistant dans la structuration et la séparation des activités bancaires. On n’a pas voulu mettre fin aux banques universelles, on n’a pas voulu comme certains le pressaient, interdire les activités de négoce pour compte propre mais on les a limitées de manière drastique à la fois aux activités qui sont autorisées mais aussi en les chiffrant et en faisant en sorte que cela ne dépasse pas ce que certains appellent des ‘coussins’ et d’autres des ‘seuils’. A ma connaissance dans les pays qui ont réglementé cette matière, il n’y en a aucun qui interdit purement et simplement les activités pour compte propre. Ceci dit, vous avez toute une série d’autres limitations. En droit social, tous l’aspect des rémunérations, limitation des bonus, limitation des indemnités de départ, la réglementation en matière de gouvernance avec l’introduction actuellement de quatre comités au lieu de deux. Une série de nouvelles règles de comportement qui font que l’on peut espérer non pas que cela empêche une nouvelle crise bancaire et financière parce que c’est impossible à juguler – et je crains qu’il y en ait encore d’autres – mais en tout cas à les les amortir et essayer de réduire les risques auprès d’une série d’établissement de crédit.
Jean-Pierre Buyle est avocat chez Buyle Legal et maître de conférence à l’ULB.
La nouvelle Union bancaire européenne et ses enjeux
05 novembre 2014