Bijnens, G. / Anyfantaki, S. / Colciago, A. / De Mulder, J. / Falck, E. / Labhard, V. / Lopez‑Garcia, P. / Lourenço, N. / Meriküll, J. / Parker, M. / Röhe, O. / Schroth, J. / Schulte, P. / Strobel, J.
Des réglementations climatiques plus strictes nuisent initialement à la productivité, en particulier à celle des entreprises fortement émettrices, mais, à long terme, elles stimulent l’innovation et la croissance de la productivité. Le succès de l’innovation dans le domaine des technologies vertes dépend de la nature des entreprises et des cadres réglementaires. S’ils sont moins perturbateurs, les outils fondés sur le marché peuvent ne pas encourager l’innovation, contrairement aux subventions à la R&D. Le passage à une économie neutre en carbone requiert une planification minutieuse pour éviter les coûts de productivité durables. Tant le changement climatique proprement dit que la politique menée afin de le limiter et d’en éviter les conséquences auront une incidence sur la productivité du travail. Les changements du climat et de la météo, y compris les variations à long terme des températures et du niveau des océans, ainsi que l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des événements extrêmes, sont généralement appelés « risques physiques ». Les conséquences de la transition de l’économie vers la neutralité carbone nette sont quant à elles qualifiées de « risques de transition ». Ces risques englobent tant la mise en œuvre d’une politique climatique, telle que les taxes carbone et la réglementation, que les autres changements induits par l’évolution des préférences et de la demande des consommateurs. Ces risques physiques et de transition auront des répercussions sur les trois dimensions de la fonction de production traditionnelle, à savoir le capital, le travail et la productivité totale des facteurs, cette dernière étant influencée par les technologies de production.
L’effet des risques physiques sur la productivité devrait être majoritairement négatif. Une hausse constante des températures va vraisemblablement affaiblir la croissance de la productivité, surtout dans le Sud de l’Europe, ce qui creusera les écarts de croissance au sein de la zone euro (cf. graphique 1). À plus long terme, le stock de capital productif pourrait être partiellement détruit à la suite de catastrophes ou des changements météorologiques à long terme, ou réduit en raison d’une affectation accrue du capital à des mesures d’adaptation non productives. Des mouvements migratoires liés au climat pourraient également être observés. D’un point de vue historique, la plupart des déplacements de population s’effectuent à l’intérieur des pays et non par-delà les frontières. En outre, l’Europe dans son ensemble pourrait tirer profit de l’immigration en provenance d’autres régions plus touchées. La croissance de la productivité totale des facteurs sera probablement aussi influencée par des conditions climatiques plus hostiles engendrant des perturbations au sein des entreprises et des chaînes d’approvisionnement et par le fait qu’une part toujours croissante des ressources sera consacrée à l’adaptation plutôt qu’à l’innovation.
Même si une transition désordonnée n’aura peut-être pas d’influence sur la productivité à court terme, un trajet de transition ordonné semble préférable à moyen et à long termes. Une évolution bien organisée, rythmée par des hausses progressives des prix du carbone, donne aux industries et aux entreprises le temps et les ressources nécessaires pour s’adapter et investir dans des pratiques et technologies durables. Bien que la productivité puisse diminuer à court terme en raison de la hausse des coûts et de la baisse de la demande, les perspectives à long terme sont plus favorables. Non seulement une transition ordonnée atténue la brutalité du choc pour les industries, mais elle encourage également l’innovation et l’amélioration de l’efficacité, qui peuvent accroître la productivité à long terme. Par ailleurs, une transition désordonnée, caractérisée par une politique déficiente ou incohérente, peut avoir de graves répercussions à long terme, en particulier sur le secteur de l’énergie (cf. graphique 2). Dans un tel scénario, la tarification à long terme des émissions serait nettement plus élevée que dans celui d’une transition ordonnée, ce qui entraînerait des perturbations plus importantes et une éventuelle instabilité économique. En outre, une transition désordonnée induit un risque accru d’actifs échoués, les investissements dans des industries à forte intensité de carbone devenant non rentables, avec des pertes financières considérables à la clé. Même si une transition désordonnée n’affecte peut-être pas directement la productivité, il est préférable à moyen et à long termes d’opter pour une transition ordonnée. Celle-ci contribue en effet à minimaliser les chocs économiques associés à des changements de politique brutaux et, au final, permet d’accroître la productivité du travail grâce à l’introduction de technologies et de pratiques plus propres. Non seulement cette transition est nécessaire pour le climat, mais elle constitue également une stratégie renforçant la résilience économique et la prospérité à long terme.
L’impact est négatif à court terme
L’impact d’une réglementation climatique plus stricte sur la croissance de la productivité est négatif à court terme mais augmente l’innovation et donc la croissance de la productivité à long terme. L’effet sur la capacité d’innovation et sur la croissance de la productivité des entreprises reste cependant hétérogène entre elles. Les petites entreprises qui ont initialement un accès moins aisé au financement et sont moins innovantes pourraient se heurter à des problèmes de productivité comme une baisse de sa croissance. Toutefois, si ces entreprises s’adaptent et ont accès à des mécanismes de soutien, tels qu’une aide financière ou une expertise technologique, leurs perspectives de productivité s’amélioreront progressivement. La réglementation climatique peut stimuler l’innovation verte sans évincer d’autres types d’innovation. Cet investissement dans les technologies vertes peut entraîner des gains de productivité qui compenseront à long terme les coûts de mise en conformité.
Le succès de cette innovation pour le développement de technologies vertes capables de rivaliser avec des technologies à forte intensité de carbone dépend de facteurs tels que le type d’entreprise et le cadre réglementaire existant. En créant des incitations à l’innovation, la réglementation environnementale peut donc doper suffisamment la productivité que pour compenser les coûts liés à cette réglementation. Ce processus est connu sous le nom d’hypothèse de Porter, pour laquelle nous trouvons un soutien nuancé. L’amélioration de la protection de l’environnement est associée à une hausse à court terme de la croissance de la productivité au niveau sectoriel dans les pays situés à la frontière technologique. Une analyse au niveau des entreprises montre également que les plus productives d’entre elles peuvent engranger des gains de productivité grâce à leur accès à des technologies de pointe, à des ressources de R&D et à des capitaux basés sur la connaissance. Pour les entreprises moins avancées, des investissements plus élevés pourraient s’imposer pour se conformer à la nouvelle réglementation, ce qui réduirait temporairement la croissance de leur productivité. L’effet varie également en fonction du type de réglementation, les politiques basées sur le marché (telles que les taxes carbone) ayant un effet moins perturbateur, alors que les subventions de R&D sont les plus efficaces dans la stimulation de l’innovation verte.
Redistribution du capital et du travail
La transition verte s’accompagne d’une importante redistribution du capital et du travail au sein des secteurs et entre ceux-ci, avec des effets contrastés sur la productivité. Aux niveaux actuels de la productivité sectorielle, la redistribution des activités des secteurs à forte intensité de carbone vers des secteurs qui profitent de la transition verte peut réduire mécaniquement la productivité. Si les coûts des émissions sont de plus en plus pris en compte, les secteurs à forte intensité d’émissions vont vraisemblablement se contracter en raison de la hausse des prix relatifs. Pour l’instant, ces secteurs affichent généralement une productivité supérieure à celle des secteurs susceptibles de croître sous l’influence de la transition verte (notamment la construction). Toutefois, une réglementation plus stricte et un renchérissement du prix du carbone entraîneront probablement des effets d’assainissement au sein d’un secteur, les entreprises les moins productives étant évincées du marché. Cet effet d’assainissement positif dans un secteur sera sans doute tempéré au niveau agrégé, les secteurs qui pourraient bénéficier de la transition étant généralement moins productifs. Dans la plupart des secteurs touchés, la taxe carbone pourrait diminuer l’accès au marché, compte tenu de l’augmentation du seuil de productivité pour y entrer. Au sein d’une entreprise, la réallocation des facteurs de production de l’énergie vers le capital et le travail exercera probablement une incidence négative sur la productivité en raison du repli des rendements marginaux. La redistribution de l’activité économique va de pair avec la redistribution du travail. Même si les effets négatifs globaux de la réallocation du travail vers des activités vertes devraient rester gérables, l’effet sur les zones géographiques et les types de travailleurs sera hétérogène, ce qui pourrait créer un pendant humain aux actifs échoués.
Source: Banque Nationale de Belgique