Christophe Donay
La perspective d’une année fructueuse pour les actifs risqués ne peut masquer les profonds changements à l’œuvre dans l’économie mondiale. L’année 2017 pourrait être le théâtre de changements importants dans le domaine de l’investissement.
Il ne faut cependant pas perdre de vue les tendances à long terme, marquées par des changements de régimes économiques et politiques, tout comme le choc d’innovation qui commence tout juste à se faire sentir. Il concerne tous les secteurs, qu’il s’agisse du transport, des sciences de la vie, de la technologie financière, de l’énergie, de la logistique ou de l’industrie manufacturière. Pourtant, les transformations qui en découlent n’apparaissent pas encore dans toute leur ampleur.
Huit ans après la chute de Lehman Brothers, la faible croissance de la productivité se traduit toujours par une croissance économique atone, même si les bénéfices des entreprises ont augmenté en termes de pourcentage du PIB.
Cette situation est imputée à plusieurs facteurs tels que les effets persistants de la crise financière et la désinflation, qui se reflète dans une croissance des salaires faible ou inexistante. L’automatisation contribue incontestablement à tirer les salaires vers le bas, un phénomène qui contraint de nombreux travailleurs à émigrer et génère des inégalités croissantes. Mais nous ne souscrivons pas à la thèse selon laquelle les sociétés capitalistes seraient confrontées à une stagnation séculaire. Par le passé, la faiblesse de la productivité s’est souvent avérée temporaire et la situation s’est rétablie de manière imprévisible. Ainsi, la croissance de la productivité a été relancée aux Etats-Unis à la fin des années 1990 grâce à l’arrivée d’Internet et des nouvelles technologies de communication. Par ailleurs, certains spécialistes estiment que les critères habituellement utilisés pour mesurer la productivité ne correspondent pas à la réalité.
Tout au long de l’histoire, la productivité a généralement augmenté avec le déploiement des effets liés aux grandes innovations – et les salaires réels ont suivi. A cet égard, il est important de noter que les salaires horaires aux Etats-Unis ont enregistré une progression annuelle de 2,9% en décembre, la plus forte depuis 2009. Tant que cette évolution s’accompagne d’une hausse de la productivité, une accélération de la croissance des salaires pourrait soutenir un boom de l’investissement dans l’innovation. A son tour, dans une sorte de cercle vertueux, ce boom pourrait servir de catalyseur pour la productivité. Bien sûr, les choses risquent de ne pas être aussi simples. La vague d’innovation pourrait bien changer le rôle des humains dans le processus de production – et creuser encore davantage les inégalités.
Les effets évolutifs du choc d’innovation sont déjà pleinement intégrés dans nos attentes à 10 ans pour la croissance et l’inflation, ainsi que pour d’autres facteurs tels que la politique monétaire et l’évolution du rôle des marchés émergents.
Baisse des rentabilités en perspective
A mesure que les effets de la crise financière s’estomperont, nous assisterons à une « normalisation » progressive de l’inflation et de la croissance dans la plupart des pays. Cela devrait déboucher sur un nouvel équilibre. Les craintes persistantes de déflation ou même de désinflation sont donc susceptibles de se dissiper, même si l’inflation devrait rester faible en comparaison historique. En supposant que l’impact du choc d’innovation sur la croissance économique mondiale s’avère relativement modeste, notre scénario de base pour les 10 prochaines années table sur une croissance réelle du PIB d’environ 2,25% par an aux Etats-Unis, 1,25% dans la zone euro et 4,5% en Chine (bien en dessous du taux annuel de 8,6% enregistré sur la période 2008-2015).
Notre analyse de ces changements dans la dynamique macroéconomique a été intégrée à nos calculs de rentabilités attendues des classes d’actifs. Dans l’ensemble, les rentabilités à prévoir pour les actions des marchés développés sur les 10 ans à venir seront inférieurs de plus d’un tiers à la moyenne des 46 dernières années. En ce qui concerne les emprunts d’Etat, nous estimons que le total des rentabilités annuelles sur les 10 prochaines années n’atteindra qu’un quart de leur niveau moyen depuis le début du marché haussier des obligations qui a commencé en 1981. Heureusement, il existe d’autres moyens de compenser le déclin des rentabilités attendues dans les classes d’actifs traditionnelles. Cela implique de rechercher des placements alternatifs, mais au prix d’une liquidité relativement faible.
Christophe Donay est chef stratège, responsable de l’allocation d’actifs et de la recherche macroéconomique chez Pictet Wealth Management
Le choc d’innovation pourrait ne favoriser que peu la croissance
23 février 2017