Le dollar, les BRICS et le monde que nous ne voyons pas pivoter (à notre détriment)
L’annonce d’accords renforcés entre les pays du BRICS (acronyme pour Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) et de son extension à six autres pays, dont l’Iran et l’Arabie Saoudite, est un fait géopolitique majeur. Bien sûr, on peut minimiser et se draper dans la supériorité du modèle occidental. On peut aussi légitimement s’interroger sur le projet d’union monétaire entre des pays très hétérogènes. Voici mes intuitions :
• Ces rapprochements isolent le modèle américano-européen, et plus encore l’Europe, dont les capacités énergétiques et militaires autonomes sont insuffisantes. Ces pays se détachent des valeurs politiques dont nous avons, à tort, affirmé l’universalité. L’Europe et les États-Unis totalisent 700 millions d’habitants sur un total planétaire de 8 milliards d’habitants.
• L’Europe sera inévitablement perdante face à ce redéploiement mondial.
• L’Europe est trop dépendante des États-Unis, et l’hégémonie monétaire du dollar sera, à terme, érodée. Ces deux constats ne sont pas nouveaux : Charles de Gaulle, dont on reconnaît désormais les capacités visionnaires, l’avait déjà souligné.
• D’un point de vue financier, si les États-Unis sont poussés vers un isolationnisme économique ou vers une perte d’hégémonie monétaire, ils pourraient causer l’effondrement du dollar et faire défaut sur leur dette. Le dollar demeure la devise de réserve mondiale, utilisée pour 60 % des échanges internationaux, mais elle représente seulement 4 % de la population mondiale. Les États-Unis l’ont commis en 1933-34, 1971, et 2008 (au travers d’une mise en péril de l’euro).
• Nous sommes, certes indirectement, en guerre dans un contexte géopolitique nouveau : la Russie, ayant déclaré la guerre, se joint à un ensemble de pays s’éloignant de nos valeurs. Et je soutiens que certains va-t-en-guerre européens, aux légitimités démocratiques douteuses, ont poussé l’Europe vers une escalade militaire. Cette dernière est justifiée par l’invasion de l’Ukraine et les atrocités qui en découlent, mais qui n’est possible qu’avec le soutien américain qui, je le prévois, faiblira.
Nous sommes influencés par le soft power américain et le rappel constant des deux guerres mondiales que, sans l’aide anglo-saxonne, nous aurions perdues. Mais les caprices de l’histoire se manifestent désormais par d’autres ruses.
Le 1er septembre 1966, Charles de Gaulle prononça un discours prophétique à Phnom Penh lors d’un voyage officiel au Cambodge, disant : « À moins que l’univers ne s’oriente vers la catastrophe, seul un accord politique pourrait donc rétablir la paix. »
À méditer, en se remémorant que ceux qui se disent être à la direction de l’Europe ne sont, à l’aune de l’histoire, que des personnages très secondaires.
Bruno Colmant