Cet article se penche sur le comportement d’épargne des ménages belges pendant et après la crise du COVID‑19. Outre le lourd bilan humain, la pandémie et les mesures de restriction qui l’ont accompagnée ont notamment eu une incidence considérable sur la consommation et l’épargne des ménages dans le monde entier. En Belgique, le taux d’épargne a atteint un niveau record en 2020 et s’est maintenu à un niveau plus élevé que d’ordinaire pendant une longue période, ce qui a entraîné l’apparition d’un « excédent d’épargne » substantiel. Afin de pouvoir estimer le rythme de la reprise économique, et en particulier l’évolution des dépenses de consommation, après la pandémie, il importe de connaître les raisons de cette hausse de la propension à épargner et les caractéristiques des ménages qui ont épargné plus que d’habitude. Étant donné que les données nationales et sectorielles disponibles fournissent peu d’informations en la matière, l’analyse présentée dans cet article repose essentiellement sur des données d’enquêtes.
L’épargne forcée explique en grande partie le taux d’épargne élevé pendant la crise du COVID-19
L’apparition de la pandémie de COVID-19 au printemps de 2020 a donnée lieu, en Belgique comme dans beaucoup d’autres pays, à diverses mesures restrictives censées endiguer la propagation du virus. Dans ce contexte, des pans importants de l’économie ont tout d’abord été fermés. Les mesures d’aide, parmi lesquelles le chômage temporaire pour les salariés et le droit passerelle pour les indépendants, ont permis aux ménages et aux entreprises d’absorber partiellement le choc financier. Au niveau macroéconomique, le pouvoir d’achat des ménages belges a même encore progressé en 2020. Il n’en demeure pas moins que la consommation des ménages s’est effondrée en 2020, chutant de plus de 8 %, soit le repli le plus marqué de toutes les composantes de la demande au cours de l’année.
Une enquête en ligne de la BNB datant de juillet 2020 suggérait déjà que le recul des dépenses des ménages n’était imputable que dans une mesure limitée à la perte de revenus ou, de manière plus large, à une dégradation de la situation financière. Une décomposition du taux d’épargne des ménages confirme qu’une petite partie seulement de la hausse sensible qu’il a affichée en 2020 s’explique par des changements dans les déterminants habituels tels que les revenus et le patrimoine des ménages. L’épargne dite de précaution, dans le cadre de laquelle les ménages mettraient davantage d’argent de côté en raison d’une incertitude accrue quant à leur emploi ou leur revenu, s’avère n’avoir joué, elle aussi, qu’un rôle secondaire.
Le net renforcement de la propension à épargner au cours de 2020 doit donc être attribué à d’autres motifs. À cet égard, on peut notamment attirer l’attention sur le « comportement d’épargne forcée »: la fermeture de certains magasins et l’indisponibilité de nombreux services ou activités (de loisirs) ont rendu certaines dépenses durant la crise du COVID très difficiles, voire impossibles. La crainte d’être contaminé lors de la fréquentation d’un magasin ou le choix de limiter les contacts sociaux peuvent, eux aussi, avoir incité certains consommateurs à réduire leur profil de dépenses habituel.
Le choc de revenu dû au COVID s’est avéré asymétrique et a surtout touché les ménages déjà plus vulnérables
Grâce à des données d’enquêtes, on a pu vérifier la mesure dans laquelle différents ménages ont été touchés par la crise du COVID-19. Bien qu’au niveau macroéconomique, le pouvoir d’achat ait encore globalement augmenté, certains ménages ont quand même ressenti une incidence financière considérable. Les pertes de revenus liées à la pandémie se sont avérées les plus importantes pour la population active, notamment pour les indépendants, les chômeurs temporaires et les étudiants jobistes. Les ménages ayant les revenus les plus faibles ont été les plus sérieusement impactés à cet égard, sans doute parce qu’une part relativement plus importante d’entre eux ont été touchés par le chômage temporaire.
Une analyse fondée sur le volet belge de l’enquête sur les anticipations des consommateurs (Consumer Expectations Survey – CES) de la BCE montre qu’il est trois fois plus probable que les ménages ayant subi les pertes de revenus les plus importantes – comparés aux ménages dont la situation financière est demeurée stable – aient mentionné dans le cadre de l’enquête qu’ils avaient sensiblement réduit leurs dépenses. Ces ménages qui ont dû limiter leurs dépenses pendant la crise du COVID-19 n’ont pas non plus pu accroître leurs réserves d’épargne. Toujours selon l’analyse des résultats de la CES de juillet 2020, il apparaît en effet que les ménages dont les revenus sont les plus bas n’ont en moyenne pas pu mettre plus d’argent de côté au deuxième trimestre de 2020 qu’au premier trimestre de cette même année, juste avant l’éclatement de la pandémie. Par contre, les ménages dont les revenus sont les plus élevés ont fait état de la plus forte hausse moyenne de leurs opportunités d’épargne.
Il y a peu de raisons de croire que l’excédent d’épargne constitué sera consacré à la consommation.
Étant donné que l’excédent d’épargne semble se situer essentiellement du côté des ménages aux revenus les plus élevés, il est peu probable que celui-ci soit utilisé pour une consommation supplémentaire à l’avenir, ce groupe affichant généralement une faible propension marginale à consommer. En outre, il semble qu’une large part de l’épargne supplémentaire ait été consacrée à des investissements moins liquides ou plus risqués, tels des achats en bourse ou des placements immobiliers.
L’analyse des résultats de la CES le confirme. Bien que les dépenses de consommation réelles de l’an dernier se soient repliées jusqu’en mars 2021, aucune hausse (correspondante) des dépenses attendues pour les mois suivants n’a été rapportée. Si les consommateurs avaient eu l’intention de rattraper dans un avenir proche les dépenses manquées, les deux lignes auraient dû être à peu près le reflet l’une de l’autre. Dans l’enquête auprès des consommateurs de mars 2021, le sous-groupe de participants ayant vu augmenter leur épargne ou leurs investissements financiers depuis 2020 ont par ailleurs été spécifiquement invités à indiquer comment ils comptaient dépenser ces moyens supplémentaires dans le courant de l’année suivante. La répartition des résultats met surtout en évidence une volonté de conserver l’épargne ou les investissements accumulés, les participants ayant déclaré dans une moindre mesure envisager un mouvement de rattrapage en matière de consommation.
À la mi-2021, la consommation des ménages constituait la seule composante de la demande qui n’avait pas encore renoué avec son niveau d’avant la crise (affichant un écart résiduel de quelque 5 %). Même sans l’appui de l’excédent d’épargne constitué, la consommation privée augmenterait sensiblement dans la période à venir, portée par ses déterminants habituels. Le pouvoir d’achat resterait orienté à la hausse, à la faveur notamment de la situation propice sur le marché du travail. Grâce à cette dernière, l’incertitude des consommateurs concernant leur emploi ou les revenus du ménage est assez limitée, même si les risques sanitaires inhérents au COVID-19 ne peuvent pas encore être écartés totalement.