La crise du COVID-19 a fortement impacté la vie des entreprises, imposant le respect de mesures sanitaires strictes, un bouleversement des conditions de travail et la mise à l’arrêt forcée de certaines activités. Cet article montre que, pour près des trois quarts des firmes, les performances de ventes ont été moins bonnes que pendant une année normale, les diminutions étant parfois très importantes. Toutefois, pour un quart des firmes, les résultats engrangés durant la crise ont été similaires à ceux d’une année normale.
Cet article met en perspective la situation contrastée des entreprises en neuf faits stylisés qui illustrent chacun un aspect de la crise, comme l’évolution mois par mois, l’identification des secteurs les plus touchés, une comparaison entre les régions et les provinces, ou encore l’impact sur l’emploi ou sur l’investissement.
Il dresse également un bilan contrasté en comparant l’évolution des ventes à celle des coûts (achats d’inputs et salaires). Au terme d’un an de crise, 48 % des firmes sont restées dans le vert, les ventes ayant été supérieures aux coûts. En revanche, 36 % des firmes sont passées en zone orange, avec une marge toujours positive malgré une évolution défavorable des ventes par rapport aux coûts. Enfin, 16 % des firmes sont dans le rouge, ayant subi une augmentation plus vive des coûts et affichant au final une marge négative.
En termes de politique économique, s’il était pleinement justifié de fournir un soutien massif et inconditionnel à toutes les entreprises au début de la crise, la diversité des situations plaide aujourd’hui en faveur d’un soutien ciblé aux firmes les plus touchées.
À la mi-mars 2020, le gouvernement belge annonçait des mesures drastiques de confinement pour enrayer la première vague de la pandémie de COVID-19. Cette situation, complètement inédite, a fortement impacté la vie des entreprises, imposant le respect de mesures sanitaires strictes, un bouleversement des conditions de travail et la mise à l’arrêt forcée de certaines activités. Au final, c’est à un choc sans précédent que les entreprises ont été confrontées.
Au cours de la période de douze mois allant du 1er avril 2020 au 31 mars 2021 – définie dans cet article comme la période dite de crise –, la valeur ajoutée du secteur des sociétés non financières s’est réduite de 8 % par rapport à 2019. Ce chiffre masque toutefois de très fortes disparités entre les entreprises. Elles n’ont en effet pas toutes subi des pertes et, le cas échéant, celles-ci n’ont pas toutes été de la même ampleur. Si on peut aisément concevoir que la situation d’un hôtel, d’un salon de coiffure ou d’un lieu culturel a été nettement moins favorable que celle d’une firme pharmaceutique, il est moins clairement établi qu’au sein d’une activité spécifique, comme par exemple la restauration, certaines entreprises ont enregistré des chutes dramatiques de leur chiffre d’affaires alors que d’autres n’ont affiché qu’un faible recul, voire, parfois, une hausse, de leur activité. Le but de cet article est de documenter la disparité des situations individuelles des entreprises durant l’épidémie.
Pour dresser un bilan complet de la situation, nous analysons les montants des ventes dans les déclarations de TVA d’environ 470 000 sociétés non financières. Sont exclus de notre analyse les indépendants, les institutions sans but lucratif, les sociétés financières et le secteur public. Notre population d’entreprises couvre la plupart des branches d’activité de l’économie, de l’agriculture aux services aux personnes, en passant par l’industrie, la construction, le commerce et les services aux entreprises.
Des situations très variées d’une firme à l’autre
Au cours de la période de crise, 55 % des firmes ont vu leurs ventes reculer par rapport à 2019. Sur la base de ces chiffres, on pourrait conclure hâtivement que la crise a fait plonger ces firmes dans le rouge. Tel n’est pas le cas. On peut en effet supposer que, même si 2020 avait été une année normale, certaines de ces firmes auraient quand même enregistré une diminution de leurs ventes. Il est évidemment impossible de savoir ce qui se serait passé sans l’épidémie de COVID-19. En revanche, on peut comparer la situation exceptionnelle de la crise à la situation d’une année normale sans choc majeur.
Au cours d’une année normale, 45 % des firmes subissent en général des pertes de chiffres d’affaires par rapport à l’année précédente. Ceci nous amène à un premier constat. Le pourcentage de firmes dont le chiffre d’affaires a baissé est passé de 45 % en situation normale à 55 % en situation de crise sanitaire. Au final, on peut estimer à 10 % la part des firmes qui ont enregistré des pertes de chiffre d’affaires qu’elles n’auraient vraisemblablement pas connues en situation normale.
En s’appuyant sur une telle comparaison, on peut également établir que la crise a généré plus de disparités dans les performances des entreprises qu’en temps normal. Pour les 25 % les plus performantes d’entre elles, les résultats durant la crise du COVID-19 ont été comparables à ceux des meilleures entreprises durant une année normale. Mais, pour près de trois quarts des firmes, les ventes ont été moins bonnes, les diminutions étant parfois très importantes.
Pour illustrer de façon simple la situation contrastée des entreprises, on peut trier celles-ci par ordre de performances et sélectionner cinq firmes pivots: le très bon performer, le bon performer, le performer médian, le faible performer et le très faible performer. Comme le montre le graphique, les résultats des bons et des très bons performers sont comparables (voire légèrement meilleurs) à ceux d’une année de référence, avec, respectivement, des hausses d’environ 20 et 80 % des ventes. En revanche, les résultats des autres firmes pivots sont en deçà de ceux réalisés en période normale. La firme médiane a enregistré une variation de -4 % de ses ventes, contre +2 % en période de référence. Les faibles et très faibles performers ont affiché des pertes de, respectivement, 33 et 66 % en période de crise, contre des pertes de 13 et 42 % pour les entreprises correspondantes en période de référence, ce qui équivaut à une diminution de plus de 20 points de pourcentage.
Une comparaison avec un précédent épisode de crise confirme également ce diagnostic. La crise du COVID‑19 a plus lourdement impacté une plus grande fraction d’entreprises que la crise financière de 2008-2009.
Profil des entreprises les plus touchées
Les conséquences économiques ont été les plus intenses lors de la première vague de contaminations. La situation au premier trimestre de 2021 est restée contrastée: plus d’un quart des firmes étaient toujours en difficulté, tandis que les très bons performers affichaient d’excellents résultats. Sans surprise, les secteurs de l’horeca, des arts et spectacles et des services aux personnes ont enregistré les moins bonnes performances et ce sont les firmes des sous-secteurs qui ont subi les restrictions d’activité les plus sévères qui ont le plus souffert. On estime qu’en moyenne, chaque jour de restriction d’activité a réduit le chiffre d’affaires de 0,26 %.
Si le secteur d’activité a été un important facteur explicatif des performances, la taille de l’entreprise a en revanche moins joué. La variation médiane du chiffre d’affaires des petites et des grandes firmes est très comparable. Toutefois, on observe une plus forte dispersion des performances des petites entreprises, ce qui indique que, parmi les firmes impactées négativement, les PME l’ont été plus lourdement que les grandes entreprises. Comme la taille, la dimension géographique n’a guère influé sur les performances des firmes. Il y a peu de différence entre les régions, les provinces ou les arrondissements. C’est un résultat qui n’est pas vraiment surprenant dans la mesure où la crise sanitaire a affecté l’ensemble des entreprises du pays et où les mesures ont souvent été prises à l’échelle nationale. La région bruxelloise se démarque quelque peu, avec des performances légèrement en deçà de celles du reste du royaume et une plus grande disparité entre les firmes.
Indépendamment de leur propre secteur d’activité, les firmes ont été touchées par une variation de la demande de leurs clients ou par d’éventuelles difficultés d’approvisionnement auprès de leurs fournisseurs. Pensons par exemple à la situation d’un restaurant qui a dû fermer ses portes. Dans quelle mesure la fermeture de cet établissement a-t-elle affecté ses fournisseurs ou ses clients ? De manière générale, on estime qu’une partie du choc subi par les fournisseurs ou par les clients s’est transmise aux firmes. Plus précisément, si les ventes de ses clients ont baissé de 10 %, les ventes d’une firme se sont réduites d’environ 5 %. Ces effets sont importants et confirment qu’un choc peut se propager à toutes les branches d’activité, même celles dont l’activité n’a jamais été restreinte (comme le secteur de la grande distribution ou l’agriculture). Une firme immunisée des mesures de restriction d’activité a pu subir des chocs de façon indirecte, au travers de ses fournisseurs ou de ses clients. Et si, au final, toutes les firmes n’ont pas été impactées négativement, c’est parce que certains clusters ont été bien préservés, notamment ceux au sein desquels des firmes ont enregistré des hausses de leurs ventes.
Tous ces facteurs explicatifs sont significatifs et leurs effets sont quantitativement importants. Néanmoins, notre analyse révèle qu’une large part des performances des firmes reste inexpliquée. On peut ainsi avancer que certaines entreprises ont mieux réagi ou se sont mieux adaptées que d’autres qui partagent pourtant les mêmes caractéristiques économiques et géographiques.
Incidence sur la santé des entreprises
Globalement, les firmes ont revu leurs achats d’inputs, c’est-à-dire les biens et les services acquis auprès d’autres firmes et utilisés pour leur production à la vente. Cet ajustement est toutefois resté très imparfait. Elles ont aussi adapté leur masse salariale, notamment en recourant au chômage temporaire. Ce mécanisme a permis aux firmes de réduire les charges salariales sans devoir nécessairement licencier du personnel.
Si on compare l’évolution des ventes à celle des coûts variables, qui intègrent les achats d’inputs et les salaires versés, on obtient ici encore un bilan contrasté. 48 % des firmes étaient dans le vert, avec des ventes qui ont progressé plus que les coûts variables au cours de la période de crise. En revanche, 36 % des firmes étaient en zone orange, avec une marge toujours positive malgré la hausse plus que proportionnelle des coûts variables. Enfin, 16 % des firmes étaient dans le rouge, avec une augmentation plus que proportionnelle des coûts variables et une marge négative à la fin de la période de crise. Une proportion significative de firmes se retrouvent dès lors dans une situation délicate.
En termes de politique économique, la diversité des situations plaide en faveur d’un soutien ciblé et spécifique. Au plus fort de la crise, durant la première vague de l’épidémie, il était pleinement justifié de fournir un soutien massif et inconditionnel à toutes les entreprises. Les mesures drastiques prises lors du premier confinement ont paralysé la quasi-totalité de l’économie, et le mot d’ordre était de préserver à tout prix le tissu économique. Aujourd’hui, les mesures sont beaucoup plus spécifiques et la plupart des firmes ne se heurtent pratiquement plus à aucun frein au développement de leurs activités. En revanche, d’autres firmes sont toujours en difficulté, notamment celles pour lesquelles les contacts entre les personnes sont au cœur de leur modèle d’entreprise. À l’heure où de nouvelles vagues d’infections ne sont pas à exclure, il est important d’allouer au mieux les moyens disponibles en destinant les mesures de soutien aux firmes les plus touchées.