Alain Deladrière
On se plaint souvent qu’il y a vraiment beaucoup de règles en Europe. « Certes, mais il existe un socle commun qui est européen, ce qui est une bonne chose. Par contre, ce qui est dommage, c’est que l’on s’intéresse peut-être trop aux détails… » analyse Jean-Pierre Buyle.
Les compliance officers, dont nous avons déjà parlé, sont actuellement fort sollicités. « Ils ont une approche différente des juristes ce qui est intéressant, » constate Jean-Pierre Buyle. « Ils ont une approche plus pragmatique. »
Risk & Compliance Platform Europe: « N’y a-t-il pas trop de règles, le compliance officer étant de plus en plus sollicité et même parfois dépassé?
Jean-Pierre Buyle: « C’est vrai qu’il y a trop de cumul de règles qui sont même parfois contradictoires parce que les champs d’application des lois ne sont pas toujours les mêmes. 0n peut comprendre pourquoi on est rentré dans trop de détails, ce qui fait que l’on se perd parfois dans l’accessoire au lieu de rester au niveau des principes. Mais les principes ne sont malheureusement pas respectés et l’on a donné priorité à des inégalités de traitement, à la recherche du but lucratif en faisant prendre des risques démesurés à des entreprises. On a vendu des produits très risqués que l’on ne comprenait plus et que l’on a titrisés. »
Risk & Compliance Platform Europe: Cela signifie que ce mouvement ne s’arrêtera pas de sitôt?
Jean-Pierre Buyle: « Même si l’on a jugulé les choses, on n’est pas à l’abri d’une nouvelle crise bancaire et financière. Il y en aura d’autres. C’est Beaudelaire qui disait qu’il y a deux certitudes dans la vie: la mort et la fraude. Une règle n’a de réelle existence que si elle est violée en quelque sorte. Je pense qu’il y aura toujours des indiens qui ne respecteront pas les règles ou qu’il y en aura qui interpréteront d’une façon inadéquate. »
La Belgique n’aurait-elle pas dû s’intéresser de plus près à cette autorité de contrôle à Francfort?
Risk & CompliancePlatform Europe: Le nombre de réglementations va-t-il continuer à augmenter?
Jean-Pierre Buyle: « Oui! Ce qui est intéressant par contre c’est qu’il y a – en tout cas au niveau européen – une volonté d’uniformiser les règles dans le village qu’est l’Europe. Je trouve que c’est un exemple au niveau de l’Union européenne de ce que l’on doit faire, c’est-à-dire plus de souveraineté au niveau européen et moins de libertés réglementaires au niveau des Etats membres. Le législateur européen devrait s’inspirer de ce que l’on a réalisé au niveau bancaire avec les trois piliers qui sont ceux de la supervision, de la résolution et de la protection des dépôts.
La supervision où l’on a essayé d’avoir une autorité de contrôle et de supervision unique qui est basée à Francfort. On connaît ses limites. Il y a des compétences qui s’appliquent à toutes les banques notamment en matière d’agréments mais il y a des compétences de supervision qui ne s’appliquent qu’aux grandes banques systémiques. En Belgique, cela concerne quand même environ 70 % du marché qui sont contrôlés par une autorité de contrôle avec un socle de règles communes. En matière de supervision, on va donc dans le bon sens.
On peut d’ailleurs se poser la question de savoir si la Belgique n’aurait pas dû s’intéresser de plus près à cette autorité de contrôle, la Banque Centrale Européenne (BCE) à Francfort. Je constate que les Français ont vite compris qu’il fallait s’y intéresser. Ils ont envoyé 200 personnes à la BCE. La Belgique? Elle n’a envoyé quasi personne. C’est un regret amer que j’ai. Alors que la Belgique a de par le passé toujours démontré une dimension historique internationale, nous avons raté le coche pour cette institution européenne très importante, qui est le coeur de l’Europe financière, en se désintéressant de ses cadres et de ses structures.
Le deuxième pilier de l’Union bancaire est la résolution. En cas de crash, on a édicté des règles d’intervention sur le plan européen : qui doit payer quoi lorsqu’une banque est confrontée à une difficulté de solvabilité ou de liquidité. On règle d’abord en interne avec les actionnaires et les créanciers. Et puis, si c’est insuffisant, on s’adresse à un fonds. Il a été décidé de créer un fonds européen de résolution d’un montant mesuré qui va être constitué dans les 8 années. Il y a là une fédéralisation solidaire qui sur le plan européen est intéressante. C’est à mon avis la bonne solution pour couper le lien pervers qu’il y avait entre les crash bancaires et les Etats souverains.
Et puis le troisième pilier qui lui n’est pas encore terminé à savoir le système de protection des dépôts. Le Commissaire Barnier, avant les élections européenne,s avait proposé un projet qui a malheureusement été abandonné. On est revenu avec un projet de directive qui doit être encore finalisé et qui consacre la protection des dépôts à concurrence de 100.000 euros. On connaît cette protection au niveau national actuellement mais l’idée à terme est aussi de le financer par un fonds européen.
Par conséquent, oui, il y a beaucoup de règles, oui il y a un socle commun européen, ce qui est bon. Par contre, ce qui est dommage, c’est que l’on s’intéresse peut-être trop aux détails, au particulier. Mais, cela reste peut-être malheureusement la seule solution pour que les règles soient interprétées et appliquées de la même manière dans l’ensemble des 28 Etats membres ou dans l’ensemble des pays de la zone euro puisqu’il y a encore des règles parfois différentes et plus contraignantes pour ces Etats là. »
Jean-Pierre Buyle, Avocat, Partner Buyle Legal, ancien bâtonnier du Barreau de Bruxelles.