Bruno Colmant
Les premiers jours de l’été 2015 auront représenté l’automne d’une certaine union monétaire, fondée en 1999 et traversée, depuis six ans, par des chocs systémiques importants. Nul ne sait quel sera l’avenir de la Grèce dans cet agencement monétaire, mais la zone euro a perdu sa virginité, c’est-à-dire le postulat de son intangibilité. La monnaie est désormais à risque. Or, la monnaie est l’adhésion étatique la plus aboutie, puisque fondée sur la confiance collective.
Quelles leçons peut-on tirer des dernières heures ?
1. L’euro est une monnaie politique qui n’a jamais correspondu à une zone monétaire optimale. L’éloignement géographique de ses Etats constituants empêche une homogénéité et un rééquilibrage des différentes économies. Nous avons cru, un peu naïvement, que la monnaie commune recouvrerait mécaniquement des siècles de différences entre les peuples.
2. La zone euro ne s’est pas dotée d’institutions politiques, budgétaires et fiscales solides, et encore moins de mécanismes de résolutions de crises majeures. La monnaie est devenue commune mais les finances publiques sont confédérales. Sachant que la monnaie garantit les dettes publiques et inversement, il eut fallu mettre en œuvre une mutualisation des dettes publiques et un marché des capitaux homogène.
3. Par son référendum, la Grèce reconnait que le choix monétaire relève des attributs populaires et non d’une représentation particratique. La Grèce souligne l’antagonisme entre un choix démocratique domestique et une tutelle monétaire supranationale. Ces deux formulations sont légales, mais leur opposition est légitime.
4. La BCE a perdu deux ans avant de reconnaitre le contexte déflationniste qui l’a finalement conduit à devoir procéder à une gigantesque création monétaire. Ce déni de déflation a retardé le redémarrage économique de la zone euro.
5. Par contre, la BCE s’est imposée comme le véritable pilote du système monétaire puisque son assistance aux banques grecques permettra probablement l’évitement d’une implosion du système financier local.
6. Les plans de rigueur et d’austérité, mis en œuvre par la Commission Européenne et traduit dans le Pacte de Stabilité et de Croissance, ont probablement été contre-productifs et ont conduit à accentuer la chute des économies les plus faibles de la zone euro.
7. La dette grecque, comme d’autres dettes publiques, est incompatible avec la richesse nationale et l’épargne domestique. Il eut donc fallu procéder à son rééchelonnement perpétuel plus tôt, sachant que cette dette est, dans les faits, incompatible avec ses échéances de remboursement.
8. Les négociations avec la Grèce ont conduit à amalgamer des mesures monétaires, bancaires et un programme d’austérité. Il eut été préférable de découpler les mesures budgétaires d’un problème structurel d’endettement.
9. Malgré son orientation de gauche, le gouvernement grec n’a pas procédé aux amorces de réformes indispensables dans le domaine fiscal. Il a préféré fonder sa légitimité sur une opposition avec l’Europe.
10. Finalement, la derrière leçon porte sur l’adéquation entre une symbolique monétaire et l’économie réelle, sur le respect des différences entres les cycles économiques et les typologies des États de la zone euro, sur l’opportunité de se limiter à une politique monétaire homogène, fondée sur un seul objectif d’inflation à 2 %, sans tenir compte des variations propres à chaque pays et de leur niveau d’activité, sur la nécessité de déployer des projets d’envergure européenne suivant une logique keynésienne.
La question porte sur la nécessité de dépasser une gouvernance européenne reflétant la juxtaposition d’Etats-nations hérités du 19ème siècle. L’euro doit rester un projet d’expansion et de croissance, pas une logique de refoulement de ses membres les plus faibles.
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02 juillet 2015