À présent, la plupart des entreprises américaines et européennes ont dévoilé leurs chiffres à mi-exercice. Leurs prestations sont belles à voir : En Europe, trois quarts des entreprises ont publié des résultats supérieurs aux prévisions alors que 90 % des pensionnaires de l’indice S&P Composite ont dépassé, au cours du trimestre écoulé, des attentes pourtant très élevées.[1] Les bénéfices des entreprises publiés aux États-Unis ont été supérieurs de 16 % aux chiffres prédits par les analystes. Cette performance n’a d’ailleurs rien de ponctuel. Au premier trimestre de 2021, les résultats enregistrés aux États-Unis avaient même surpassé les attentes[2] de plus de 20 %.
Cette amélioration spectaculaire est le fait de très nombreuses entreprises, mais les 5 principaux groupes américains[3] ont tout de même réussi à s’en distinguer avec une croissance du chiffre d’affaires de 36 % en base trimestrielle (qui progresse ainsi de 332 milliards de dollars si cela vous parle plus…). Le secteur technologique américain, comme à l’accoutumée, s’est fait remarquer par de très solides performances, tant dans l’ensemble que dans des segments spécifiques à forte croissance comme les services cloud et la sécurité Internet, la 5G, la robotique, l’intelligence artificielle, etc.
Ces chiffres impressionnants n’ont cependant pas provoqué d’emblée des bonds de joie et des cours sur les bourses. Bien au contraire, les cours des actions ont même reculé dans un premier temps. Non pas par ingratitude, mais en raison de l’ajustement à la baisse des perspectives pour les troisième et quatrième trimestres de 2021. Ainsi, un poids lourd comme Amazon a annoncé, en marge de la publication d’excellents résultats pour le résultat écoulé (+46,8 %), qu’il prévoyait un ralentissement de la croissance de ses ventes en ligne et, de ce fait, réduisait de 30,6 % sa prévision de bénéfice pour le troisième trimestre. Son cours boursier a été amputé d’un coup de plus de 7 %. Jeff Bezos n’en a pas perdu le sommeil pour autant. Un tel recul n’est qu’une petite entaille indolore pour ceux qui détiennent le titre en portefeuille depuis longtemps.
Graphique 1 : Évolution de l’action Amazon (axe de gauche) et de ses bénéfices (axe de droite) depuis 2010.
Le ralentissement de la croissance des ventes en ligne était déjà manifeste depuis quelques mois et menace donc de se poursuivre. Mais ne nous méprenons pas : les chiffres de croissance hallucinants tels que ceux qui ont été réalisés en 2020 ou au premier trimestre de 2021, étaient de toute façon impossibles à rééditer. Une descente de régime est donc logique. Cette annonce n’est dès lors pas une catastrophe et encore moins le prélude à une implosion imminente des ventes en ligne, comme nous avons déjà pu le lire ici et là. [4]
Forts de notre patience coutumière, nous avons ainsi été récompensés par une belle fournée de records des trois grands indices américains, le Nasdaq, le Dow Jones et le S&P Composite, mais également sur les bourses européennes.
Graphique 2 : Évolution du S&P Composite (États-Unis), du Stoxx 600 (Europe) et du MSCI China depuis le 01.01.2021 : Indice prix en monnaie locale
Ces nouveaux sommets illustrent la puissance des entreprises américaines et européennes comme moteurs de la croissance bénéficiaire, surtout dans des secteurs tels que la technologie et les industries spécialisées, mais ils n’en sont pas moins les reflets réalistes de la situation. Ainsi, les niveaux records des cours boursiers sont toujours conformes aux bénéfices attendus des entreprises au cours des prochains trimestres, compte tenu de la faiblesse des taux d’intérêt à long terme.
Mais, malgré (ou à cause ?) de ces bonnes raisons de se réjouir, un sentiment fin de siècle nous envahit. Pourra-t-on un jour faire mieux encore ? Probablement, mais ce sera toujours plus difficile. Notre modèle d’allocation d’actifs nous enjoint cependant obstinément à surpondérer les actions, certes faute de possibilités alternatives vu la faiblesse des taux d’intérêt, mais aussi en raison des perspectives persistantes de croissance bénéficiaire des actions, surtout aux États-Unis et en Europe, et plus particulièrement dans les deux cas au niveau des entreprises technologiques et industrielles de qualité.
Entre-temps, de nouvelles statistiques nous ont permis de faire le point sur l’évolution des économies américaine, chinoise et européenne.
Les chiffres ISM[5] aux États-Unis indiquent un bond remarquable des secteurs des services, mais traduisent en même temps un léger ralentissement de la composante industrielle de l’économie. Mais c’est trompeur. La tendance sous-jacente indique toujours une vigoureuse croissance de fond. Suffisante en tout cas pour créer (de nombreux) nouveaux jobs, mais pas assez pour rassurer la banque centrale américaine.
Ce scénario a été confirmé par la suite par les chiffres (attendus avec angoisse) relatifs aux marchés du travail qui ont été publiés vendredi dernier. Ils ont fait apparaître une augmentation du nombre d’emplois de quasi 1 million (!) d’unités. Ce qui était plus que suffisant pour redonner du crédit à la perspective d’une puissante vague conjoncturelle haussière. Conséquence logique de ce retour à la confiance : une légère hausse des taux d’intérêt à long terme aux États-Unis. Comme, entre-temps, les taux d’intérêt européens ont à peine bougé, le cours du dollar s’est renforcé par rapport à l’euro. Ce qui est toujours bon à prendre pour les investisseurs qui, comme nous, détiennent une position surpondérée en actions américaines.
Les statistiques publiées vendredi n’ont d’ailleurs révélé quasiment que de bonnes nouvelles. Le tempo économique est suffisamment soutenu pour faire reculer substantiellement les chiffres du chômage, mais pas assez fort pour craindre dans l’immédiat des pénuries importantes sur le marché du travail. La Fed peut donc s’abstenir de toute intervention pendant quelque temps encore. Ce n’est qu’après deux ou trois rapports du marché du travail de cette facture que la Fed se verra obligée de commencer à atténuer sa politique monétaire (très) expansive. Vraisemblablement d’abord en réduisant ses programmes de rachats (massifs) d’obligations d’État sur les marchés obligataires. Commencera alors la période de Tapering, comme on l’appelle.
Ce n’est que dans une seconde phase qu’il faudra penser à remonter le taux directeur. Selon nos calculs, cela devrait se traduire par une hausse de 25 points de base dans les 12 mois qui viennent, suivie par pas moins de trois remontées du même ordre (soit 75 points de base) d’ici à la mi-2023. Il va sans dire qu’une telle évolution ne sera pas une catastrophe, ni pour les bourses d’actions ni pour les marchés obligataires. Au contraire, la voie haussière de cette magnitude qui se dessine pour le taux d’intérêt à court terme traduit une progression bien maîtrisée de la croissance économique.
Pour l’heure, les craintes d’un dérapage de l’inflation se sont donc apaisées, ce qui n’exclut pas la publication de chiffres étonnamment élevés au cours de cette période. Mais les marchés financiers continuent à adhérer à la position de la banque centrale américaine selon laquelle le bond du niveau des prix est dû à une perturbation temporaire des chaînes d’approvisionnement et est donc de nature passagère. Cette position gagne d’ailleurs en crédibilité lorsqu’on analyse de plus près l’évolution des salaires. Certes, le salaire de base affiche une progression sensible. Mais elle n’est pas susceptible, du moins actuellement, d’entraîner les rémunérations dans une spirale inflationniste incontrôlable qui se traduirait pas une flambée des prix[6].
La Chine connaît un développement conjoncturel beaucoup plus lent que les États-Unis ou l’Europe. Les pouvoirs publics se sentent donc obligés de mettre en œuvre des mesures complémentaires de grande ampleur. Ainsi, les taux d’intérêt sont systématiquement tirés vers le bas et, récemment, les niveaux des réserves obligatoires des banques ont été rabaissés drastiquement. Ces interventions visent à rendre le crédit moins cher et à en faciliter l’accès.
En temps normal, cela nous aurait conduits à surpondérer fortement les actions chinoises dans nos positions, mais la réaction boursière à ces mesures a été très négative jusqu’à présent. Il ne faut pas y voir une réponse au contexte économique précité, mais une attitude de méfiance à l’égard d’une résurgence de l’idéologie communiste (intervenant, hasard ou non, au 100e anniversaire du Parti) qui cible quelques excès capitalistes d’entreprises chinoises. Mais la faible performance des bourses chinoises s’explique surtout par la réglementation que les autorités américaines s’apprêtent à imposer, sur le plan de la transparence, aux entreprises chinoises qui sont cotées sur les bourses d’actions aux États-Unis. La Chine considère cela comme une forme intolérable d’espionnage industriel. Nous préférons, pour notre part, rester en dehors de cette partie de bras de fer. Comme nous le faisons à chaque fois que les politiciens et les régulateurs sont à la manœuvre. Il existe bien assez de possibilités alternatives.
Et que devient dans tout cela la Covid-19 ? Ne vous en faites certainement pas pour elle. Pour l’heure, elle fait le plein de vitalité sur les côtes espagnoles. Histoire de revenir, gonflée à bloc, lorsque les jeunes reprendront le chemin de l’école.
Graphique 3 : Nouvelles contaminations à la Covid-19 par million d’habitants par semaine
[1] C’est le nombre le plus élevé d’entreprises qui ont réussi à dépasser les prévisions depuis que l’on a commencé à compiler ces statistiques en 1994. [2] Les bénéfices trimestriels publiés ont dépassé les prévisions en moyenne de 3,9 % au cours des 3 dernières décennies. [3] Apple, Amazon, Google, Microsoft et Facebook [4] Ou pour citer Mark Twain lorsqu’il s’était senti obligé de sortir de son silence après quelques mois de cache-cache avec les médias qui avaient fini par s’interroger sur son possible décès : « (…) reports of my death have been greatly exaggerated… » [5] Institute for Supply Managers : ce rapport mensuel important synthétise les résultats d’un sondage sur les intentions d’investissements (ou de désinvestissements) des directeurs d’achats des grandes entreprises américaines. [6] Nous sommes surtout frappés par le recul d’un mois à l’autre des salaires pratiqués dans le commerce de détail. Toute une série d’indications anecdotiques faisait craindre en effet une évolution inverse.L’auteur, Stefan Duchateau, est Professeur de gestion des risques/Conseiller auprès de HU Bruxelles et Argenta