L’humanité n’a peut-être jamais été aussi consciente de sa dépendance au climat. Une conscience scientifique d’abord, rejointe par une conscience empirique, une perception universelle, qui se propage à toute l’espèce, du danger, de la hausse des températures, de la volatilité et de la brutalité des phénomènes météorologiques. Une conscience historique également avec, au gré de leurs recherches, l’excavation de preuves de la causalité climatique de la chute d’anciennes civilisations…
Au nombre desquelles on compterait depuis peu celle des Hittites, selon une analyse des circonvolutions d’arbres d’Anatolie, récemment publiée par la revue Nature.
Difficile de dire si les trois années de sécheresse (entre 1198 et 1196 avant J.C.) relevées par cette étude auraient suffi à elles seules à précipiter les citoyens d’Hattusa dans l’exode et condamner l’une des plus grandes civilisations de la région. Mais l’hypothèse d’une période de 200 à 300 ans de sécheresse causant entre la fin de l’âge du bronze et le début de l’âge du fer une baisse de 40% des précipitations fait son chemin.
L’effet de cascade d’un tel changement climatique (exils et flux migratoires, bouleversements des sociétés, tensions géopolitiques et baisse des récoltes) rappelle celui qui nous menace aujourd’hui. Après trois ans d’absence, le retour d’El Nino pourrait être aggravé par le ralentissement du débit du Gulfstream qui semble de moins en moins jouer son rôle de thermostat océanique. Cette combinaison hautement calorifique pourrait propulser les températures au-dessus des records de l’an dernier.
Focalisés (pour l’instant) sur une thermodynamique plus virtuelle, les investisseurs peinent à maintenir le thermostat au maximum de la position « risk-on ». Le momentum haussier des marchés actions ralentit avec le rebond des taux, au fur et à mesure que l’équation croissance – inflation – valorisation se complique.
Face à une inflation qui ralentit moins que prévu, porteuse de taux d’intérêt plus élevés, la justification de la prime de risque excessivement basse des marchés actions passe par la croissance des bénéfices, et partant, de l’économie.
Prenant le pouls des fonctions achats des entreprises, du sentiment des personnes chargées de restocker, de passer commande auprès des fournisseurs en vue de la croissance du chiffre d’affaires, l’enquête des Purchasing Managers (PMI) est importante pour anticiper le climat des affaires et la croissance du PIB.
Or, cette donnée qui enregistre sa quatrième hausse consécutive est ressortie en janvier largement au-dessus des attentes et du seuil fatidique de 50 points.
L’activité dans les services se montre particulièrement résiliente. Elle semble traduire qu’en ce début d’année, le rebond de la confiance des ménages bénéficie aux entreprises tournées vers la consommation.
En revanche, l’activité manufacturière reste en berne, et cela malgré la réouverture chinoise.
Pas d’aggravation cependant : le ratio de prises de commandes sur inventaire reste stable.
Les investisseurs devront néanmoins se demander si le scénario d’une reprise de l’activité économique est totalement compatible avec celui du repli de l’inflation valorisé par les marchés. Peut-on réellement vaincre l’inflation quand l’activité résiste ou repart déjà ?
L’équilibre est d’autant plus délicat que l’inflation « core » en Zone euro reste plus élevée que prévue. Faisant écho à la bonne tenue du PMI Services, elle montre que la pression à la hausse des prix est tenace, malgré la baisse plus forte qu’escomptée (-0,4%) de la croissance allemande au quatrième trimestre et la politique monétaire plus restrictive de la BCE.
Dans le contexte actuel, espérer dès à présent le rebond de l’économie et des bénéfices sans le préjudice de l’inflation et de taux plus élevés, c’est un peu vouloir le beurre sans en payer le prix. Entre l’espoir d’un point bas déjà entériné dans les affaires et celui d’un pic définitif atteint sur l’inflation, les marchés se laissent à présent moins de marge pour les mauvaises surprises… Alors que l’année 2023 devrait rester riche en rebondissements économiques, géopolitiques et malheureusement climatiques…
Thomas Planell, Gérant-analyste chez DNCA