Summer may be coming
Non, nous ne faisons aucunement allusion à un rebondissement inattendu de la série télé préférée dans le monde entier[i] et encore moins au changement saisonnier imminent. Ce genre de retournement est bien trop facile à prévoir. Nous recherchons au contraire les « hirondelles » qui, par leur arrivée ou leur fuite, annonceraient un changement de saison sur les marchés financiers : ces renversements de tendance sont beaucoup plus difficiles à prédire. Et les indicateurs économiques actuels nous compliquent encore plus la tâche. Ils peuvent annoncer deux scénarios aux antipodes l’un de l’autre : un refroidissement prononcé ou une chaleur estivale. Nous détectons en tout cas un signal positif dans les résultats des entreprises au premier trimestre de 2019 qui ont été publiés jusqu’à présent aux États-Unis. Dans l’ensemble, ils ont surpris agréablement. Ainsi, les quelque 40 % des entreprises américaines qui ont déjà communiqué sur l’évolution de leurs activités depuis le début de 2019 ont annoncé des bénéfices supérieurs de 6 % aux résultats prévus. Pas moins de 75 % de ces entreprises ont réussi à dépasser les attentes du marché.
Quant à celles qui ont déçu les investisseurs, leur cotation a fait la culbute en Bourse. Mais à quelque chose malheur est bon : ces baisses de cours, sans doute exagérées, nous ont permis d’acheter à bon compte quelques-uns de ses anges déchus.
Les fortes divergences constatées au niveau des performances des valeurs individuelles – un phénomène appelé dispersion – caractérisent les marchés d’actions depuis quelques mois. Les indices largement diversifiés (comme l’indice S&P 500), qui sont constitués de multiples actions, affichent cependant une volatilité (attendue) très faible. Cela n’a rien de contradictoire. Les grands écarts de performance entre les différentes valeurs se neutralisent en effet au niveau de l’indice. Ce qui implique que détenir des portefeuilles insuffisamment diversifiés vous expose inutilement à de grands risques.
L’évolution positive, et inattendue, des bénéfices des entreprises a propulsé fort logiquement les indices S&P 500 et Nasdaq à des niveaux proches de leurs records respectifs, atteints en septembre 2018.
Mais cette remontada s’accompagne de peu de signes d’euphorie. Si les bénéfices des entreprises ont surpris agréablement dans 3 cas sur 4, les chiffres d’affaires n’ont correspondu aux attentes qu’une fois sur deux. Ce constat nous ramène directement au contexte de ralentissement de la croissance économique, tant aux États-Unis qu’au niveau global. Dans un tel climat, il sera difficile pour les entreprises de maintenir leurs marges bénéficiaires, et encore moins de les étoffer. Surtout que, parallèlement au ralentissement de la croissance, les entreprises sont confrontées à une pénurie inédite de talents sur le marché du travail, ce qui fait grimper les salaires et les coûts de formation.
Les marchés financiers se limitent donc actuellement à revenir à leur niveau record précédent. Pour l’heure, ils ne semblent pas vouloir aller au-delà. Cette réticence pourrait cependant disparaître si la timide reprise économique que l’on observe sporadiquement (avec une solide dose de bonne volonté) débouchait, plus tard dans l’année, sur une montée en puissance de la croissance au niveau mondial.
Le scénario du pire, à savoir la combinaison d’un affaiblissement économique et d’une poussée inflationniste, semble en tout cas devoir être écarté. Les marchés financiers sont donc à l’abri d’une offensive hivernale.
De fait : la croissance économique américaine est encore suffisamment forte pour surmonter son coup de mou passager et la croissance des salaires ne s’est pas traduite, jusqu’à présent, par une inflation plus élevée. Au contraire, l’indice d’inflation PCE attendu (qui sert de référence à la Fed pour sa politique monétaire) se situe à un niveau (encore) plus bas que le 1,79 % actuel.
Le président de la Fed, Jerome Powell, estimait pourtant inévitable une poussée inflationniste, ce qui l’avait amené, tout au long de l’automne dernier, à annoncer plusieurs hausses prochaines du taux directeur, provoquant des dégâts considérables sur les marchés financiers. Ces derniers avaient pourtant bien analysé la situation en indiquant qu’une baisse du taux directeur serait un choix de politique monétaire beaucoup plus avisé.
Après avoir baissé au cours des dernières semaines, la probabilité d’une baisse du taux directeur en janvier 2020 a remonté pour atteindre 65 %. Et l’hypothèse que cette baisse du taux directeur intervienne dès le mois de décembre de 2019 gagne également en vraisemblance (probabilité de 60 % selon les marchés des futures).
Il va de soi que le président Trump aimerait que cet assouplissement de la politique monétaire soit mis en œuvre le plus tôt possible. Tous les indicateurs relatifs
à l’évolution future des prix à la consommation montrent en effet que le risque d’un dérapage inflationniste est assez faible. Aussi, le président peut espérer que la baisse du taux directeur stimule l’activité économique et favorise sa réélection en 2020. Et si le soutien s’avérait trop fort, avec une flambée des prix à la clé, cela ne se produirait qu’après le scrutin. En attendant, les stimulants financiers auraient eu les retombées économiques positives espérées, augmentant les chances de réélection de Trump. Mais en insistant aussi lourdement sur la nécessité de baisser le taux directeur, le président américain se tire involontairement une balle dans le pied : la Fed ne peut que reporter cette décision pour prouver son indépendance.
Toujours est-il que les craintes d’un déraillement de la croissance économique globale, nourries initialement par l’assombrissement des perspectives de la Chine, ont baissé d’un cran ou deux. Mais un affaiblissement de cette croissance mondiale reste dans l’ordre du possible et retient actuellement les investisseurs professionnels de procéder à des achats massifs sur les marchés d’actions, ce qui maintient les cours à leurs niveaux actuels.
Entre-temps, les discussions commerciales américano-chinoises semblent évoluer dans la bonne direction. Mais ce n’est évidemment qu’une impression. Personne, en dehors de quelques initiés, n’en a une idée précise. Jusqu’à présent, les signaux émis sont positifs. Les négociateurs de haut rang de deux pays sont revenus à Pékin et des indications concrètes font penser que les présidents Xi et Trump pourraient se rencontrer à la fin du mois de mai ou au début du mois de juin.
La seule référence fiable à nos yeux est le cours dollar/yuan, qui affiche déjà depuis plusieurs semaines une très étonnante stabilité. Or, toute montée de fièvre dans les négociations accroît immédiatement la volatilité du cours de change.
Il apparaît d’ailleurs de plus en plus clairement que le ralentissement économique chinois est moins prononcé que ce qu’on avait présenté. La plupart des données récentes traduisent même un redressement notable. Assez curieusement, le marché des actions en Chine en souffre. L’explication : une amélioration des indicateurs économiques pourrait amener en effet les autorités chinoises à réduire leurs mesures de soutien, ce qui freinerait la croissance future. Les décideurs chinois doivent en tout cas utiliser les armes des baisses de taux et des ratios de réserve bancaires avec la plus grande prudence pour ne pas créer d’autre déséquilibre financier et alimenter des spéculations immobilières.
Les inquiétudes quant à l’évolution de la croissance économique visent à présent l’Allemagne (et par extension, toute la zone euro), toujours confrontée à une quasi-stagnation de l’activité. Les marchés obligataires de nos voisins de l’est affichent ainsi une courbe des taux en territoire négatif jusqu’aux échéances de 15 ans.
La faiblesse de ces taux pèse sur les taux de l’ensemble de la zone euro, ce qui alimente directement l’appréciation du dollar par rapport à la monnaie unique. Le cours actuel du billet vert se situe à présent pleinement dans l’intervalle de confiance de notre modèle de valorisation et se rapproche même très fort de notre prédiction ponctuelle de 1,10 US $/€.
Notre modèle d’allocation d’actifs reste orienté vers une surpondération des actions. Dans le profil neutre, cela conduit à une exposition aux actions de 62 %, par rapport à un benchmark de 50 %. Dans ce segment des actions, nous mettons surtout l’accent sur les actions américaines, plus précisément dans les secteurs de la technologie, de la sécurité, de la robotique et de la biotechnologie. Cette position est complétée par une surpondération substantielle de la Chine et de l’Inde. Nous réservons également une place aux valeurs européennes, en raison surtout de leur valorisation bon marché. La composante obligataire est légèrement élargie au niveau des durées pour les obligations d’État espagnoles, portugaises et italiennes. Le portefeuille est complété par des bons du Trésor américain à court terme et des obligations des marchés émergents. Nous y avons également élargi la part des obligations à haut rendement.
Les bourses s’apprêtent-elles à vivre un été radieux ? Cela dépendra fortement du redressement des attentes à l’égard de la croissance globale. Mais nous avons bon espoir que ce sera le cas.
Pour l’heure, les grandes marées d’automne et les frimas de l’hiver semblent encore bien loin. Et ces scénarios ne se matérialiseront qu’en cas de hausse des taux.
Sauf accélération soudaine de la croissance salariale américaine ou déstabilisation inattendue sur le front géopolitique, cela semble peu probable.
En attendant, c’est le printemps. Qui nous gratifie tantôt d’un beau ciel ensoleillé, tantôt d’une averse.
[i] Pour les éventuels lecteurs dans un autre système solaire : nous parlons de Game of Thrones.
Blog Argenta. Publié le 30 avril 2019