Frédéric Rollin
Les marchés obligataires ne sont plus ce qu’ils étaient. Les matières premières remontent, les entreprises peinent à embaucher et tout se renchérit. L’inflation se réveille et pourtant les taux obligataires restent de marbre. Pourquoi tant d’indifférence ? Pour mieux comprendre, rappelons les fondamentaux.
Taux et inflation : un mariage de raison
Les taux restent généralement supérieurs à l’inflation. Les investisseurs obligataires souhaitent à juste titre prévenir une érosion de leur épargne. Ils demandent donc un taux de rendement supérieur à l’inflation. Les entreprises et les états sont prêts à payer des coupons au-dessus de l’inflation. « En toute logique », la rentabilité espérée d’un investissement obligataire est supérieure à l’inflation.
De plus, les taux et l’inflation sont sensés marcher main dans la main : si une hausse de l’inflation se profile, il est raisonnable de penser que les taux s’ajustent. Les épargnants souhaiteront protéger leur épargne de l’érosion des prix et les entreprises intégreront l’inflation dans les perspectives de rendement de leurs investissements. La banque centrale pourra de plus accompagner cet ajustement en remontant les taux directeurs, refroidissant ainsi l’économie et reprenant le contrôle des prix.
Sur le principe, un taux de rendement obligataire évoluant avec l’inflation tout en restant supérieur permet à tous, préteurs et emprunteurs, d’être satisfaits. Une belle association en somme, mais qui a subi récemment quelques coups de canif.
Les banques centrales sèment la discorde
Aujourd’hui, les banques centrales des pays développés restent ultra-accommodante bien que l’inflation remonte. Elles considèrent que l’inflation est temporaire et que la croissance économique reste fragile. De plus, en laissant filer l’inflation et en maintenant des coûts de refinancement peu élevés, elles allègent la dette des acteurs économiques.
Sous leur influence, les taux obligataires se sont établis nettement en dessous de l’inflation. Et si les préteurs traditionnels ne sont pas contents du niveau des rendement obligataires, tant pis. D’une part, l’alternative offerte par les rendements monétaires est encore plus pénalisante. D’autre part, les investisseurs récalcitrants sont remplacés par les banques centrales, qui achètent massivement des obligations.
C’est la raison pour laquelle les rendements obligataires restent bas, relativement indifférents au retour de l’inflation.
L’influence des anticipations
Notons que les obligations ont parfois des comportements étonnants. En 1994, Alan Greenspan a drastiquement monté les taux directeurs américains et les marchés obligataires se sont effondrés. En 2003, le même homme a drastiquement monté ses taux directeurs et les obligations ont très bien réagi. Pourquoi les mêmes causes ont-elles produit des effets opposés ? En 1994, les investisseurs considéraient que la banque centrale était très en retard. Ils anticipaient de nouveaux resserrements, encore plus violents, pour éviter un dérapage de l’inflation. En 2003, Alan Greenspan avait su convaincre les investisseurs que sa politique était adéquate. L’inflation était sous contrôle, et les hausses de taux directeurs, refroidissant l’économie, faisaient baisser les anticipations d’inflation, favorisant les obligations.
Le niveau d’inflation et les politiques des banques centrales sont essentiels pour analyser les marchés obligataires. Mais le jeu des anticipations est lui aussi important. La banque centrale va-t-elle modifier sa politique ? La modification que je pressens est-elle anticipée par les autres investisseurs ? Sera-t-elle suffisante pour ralentir l’inflation ? La banque centrale saura-t-elle agir convenablement ? Ces questions tournent dans les esprits et les évolutions des marchés obligataires en dépendent aussi.
Frédéric Rollin, Senior Investment Adviser.