Pour la première fois depuis cinq ans, la Chine, détrônée, cède sa place sur le podium des « émergents » qui attirent le plus les flux de capitaux étrangers. Place à Taiwan et la Corée qui profitent des retombées de l’intelligence artificielle… Derrière l’Inde, soutenue par les Etats-Unis ravis de voir certains pans de la chaine de valeur chinoise s’y délocaliser. La consommation d’acier semble confirmer l’accélération du pays sur la voie de l’industrialisation et du déploiement des infrastructures. Déjà deuxième consommateur mondial, l’Inde devrait voir la demande nationale d’acier croitre au rythme le plus élevé sur la planète cette année : plus de 7%, contre plus de 6% l’an prochain. Les obligations en dollars des aciéristes indiens (Tata, JSW) sont recherchées par les investisseurs. Le réveil de l’Inde annonce-t-il un nouveau super-cycle des matières premières ?
En attendant, en repli de près de 11% depuis le début de l’année, elles pâtissent d’une croissance chinoise inférieure aux attentes. Consommant à peu près entre un quart et la moitié de ce que la terre produit, le pays ne croit qu’au rythme de 5,5% cette année. C’est supérieur à la cible officielle du gouvernement, mais c’est un maigre lot de consolation pour une année qu’on attendait sur le terrain de la reprise, après tant de sacrifices sur l’autel de l’ordre sanitaire. Tant que la croissance ne dérape pas sous les objectifs du gouvernement, la relance budgétaire devrait rester mesurée, assurant un soutien minimum à la politique de prospérité commune de Xi Jinping. Le manque du faste économique d’antan n’est peut-être pas étranger à l’esprit de revanche qui ne se déploie plus seulement entre les eaux taïwanaises et japonaises. Récemment, le ministre chinois des ressources naturelles a décidé de rendre à la ville russe de Vladivostok ou à l’île de Sakhaline leur nom chinois (Haishenwai et Kuyedao)… n’en déplaise à l’apparente alliance que chérit Vladimir Poutine.
Ce dernier, qui semble avoir contenu les velléités insurrectionnelles de Prigozin parvient également à ralentir la contre-offensive ukrainienne. L’avancée des troupes est sapée par la saturation en mines du glacis protecteur russe.
Le président ukrainien, qui redoute une immobilisation du conflit navigue dans des eaux autrement dangereuses : celles de la diplomatie otanienne… que risque d’envenimer sa surenchère, pour l’instant rhétorique : Volodymyr Zelensky a annoncé prendre pour cible tout cargo russe évoluant vers les ports ennemis en mer Noire…
Au lendemain de trois jours consécutifs de bombardements sur les ports ukrainiens, qui succèdent au retrait de la Russie de l’initiative céréalière en mer Noire, les prix du blé évoluent 20% au-dessus de leur point bas de 2023, atteint lorsque l’Ukraine était encore capable d’exporter jusqu’à 33 millions de tonnes de blé depuis août dernier par la mer.
Au même moment, les probabilités (90%) de retour d’El Nino au second semestre affolent les compteurs météorologiques. En 1983 et 1998, le phénomène qui sévit principalement dans les régions tropicales a amputé de plusieurs milliers de milliards de dollars le PIB mondial à chaque occurrence, pesant sur la croissance de certains pays jusqu’à cinq ans après son apparition. Bien que la production d’huiles végétales soit généralement la plus touchée, la combinaison d’un niveau déjà élevé de température et de la survenance d’El Nino est susceptible d’affecter l’ensemble du complexe agricole. Si elle affecte moins les ménages d’Europe, l’inflation alimentaire est un drame pour les pays émergents. N’oublions pas les révoltes de la faim entre 2006 et 2008. A côté d’une telle détresse, la flambée des prix du gaz en Europe fait pâle figure…
Alors que le vieux continent rentre tranquillement dans le temps fort du remplissage des cuves de la « précieuse » substance fossile, les premiers effets du ralentissement économique commencent à se faire sentir dans plusieurs secteurs, au gré des résultats d’entreprises pour le second semestre.
Après la Chimie, c’est au tour de la consommation de montrer des signes d’accalmie. Electrolux (-20% en bourse le jour de ses résultats), un des leaders des produits « blancs » électro-ménagers voit toutes les régions (en dehors de l’Amérique du Sud et Latine) ralentir, largement sous les attentes. Face à 8% de baisse des ventes en organique, le groupe est contraint de faire des concessions sur les prix, en sacrifiant les marges. Le secteur du luxe n’est pas totalement épargné : Richemont constate un ralentissement des ventes aux Etats-Unis.
Au moment où les principales banques centrales semblent s’extraire du champ de mine de l’inflation, les investisseurs, après une hausse de +15% sur les indices actions européens, pénètrent peut-être à leur tour en terrain dangereux. Ceux qui ne s’abiment pas dans l’art très délicat du market timing naviguent dans les eaux troubles de la chasse au beta (valeurs massacrées dans la chimie) ou du momentum afin de combler leur retard face à ce marché qui a donné raison à une poignée d’optimistes. Le plus dur est peut-être désormais devant pour les gérants actions : savoir distinguer le bon grain de l’ivraie, mesurer l’élasticité bénéficiaire des entreprises au ralentissement domestique et chinois (qui pèse sur les révisions de la croissance de la zone euro). Le repli de l’inflation et des volumes risque également de contraindre les entreprises à revoir leurs prix à la baisse, tandis qu’en deça de l’excédent d’exploitation apparaissent les amortissements des investissements à prix forts des années précédentes…
Thomas Planell, Gérant – analyste DNCA Investments.