Par Paul Doyle
Malgré une certaine nervosité estivale sur les marchés financiers, les gouvernements vont faire preuve de prudence dans la normalisation des politiques monétaires et que la croissance restera solide. Alors que les banques centrales s’aventurent prudemment sur la voie de la normalisation de leur politique monétaire, nous assistons à un délicat numéro d’équilibrisme. Elles doivent en effet resserrer leur politique, mais pas trop tôt ni trop vite. En effet, l’aplatissement de la courbe des taux américaine en juin a rappelé les craintes de voir la Fed durcir le ton trop rapidement, ce qui mettrait fin au cycle économique.
Cette appréhension est en fait une réaction excessive et le recul des rendements obligataires à long terme devrait être temporaire. Les marchés financiers connaissent une phase de transition entre les conditions monétaires et budgétaires exceptionnelles des 18 derniers mois et un retour à la normale.
Même si la croissance a peut-être atteint son maximum aux Etats-Unis, la croissance mondiale devrait s’accélérer au deuxième semestre de l’année étant donné que
les régions à la traîne connaissent une période faste. Seule la Chine ralentit après le resserrement de sa politique monétaire en début d’année. Cela étant, il est peu probable que la croissance du crédit chinois recule davantage, même si le durcissement déjà observé pèsera sur l’activité pendant encore plusieurs mois.
Une lente évolution
D’ici le milieu de l’été 2022, la croissance du PIB des principales économies devrait se normaliser aux environs de 5%, ce qui est encore élevé. La consommation restera solide, avec des ménages qui commenceront à dépenser l’épargne accumulée pendant les confinements, et l’activité passera des biens aux services. Les ménages américains ont thésaurisé à eux seuls 2.600 milliards USD d’épargne supplémentaire depuis mars 2020.1
Pour satisfaire cette hausse de la demande, les sociétés vont devoir renforcer leurs dépenses d’investissement. Et ce, alors que les Etats-Unis maintiennent un niveau de dépenses publiques élevé2 et que l’Union européenne ouvre les vannes de son Fonds de relance et de son Plan Next Generation.3 Outre-Atlantique, la croissance pourrait ralentir par rapport à son niveau actuel élevé, mais aucune récession mondiale ne semble se profiler à l’horizon.
Le variant Delta du Covid-19 fait peser une autre crainte, celle d’un report de la réouverture des économies. Néanmoins, compte tenu de la hausse des taux de vaccination, les retombées sur les chiffres d’hospitalisations et de décès ne se sont pas matérialisées. Le Royaume-Uni sert de laboratoire aux autres pays et on y note une divergence entre les chiffres de nouveaux cas et ceux des décès. Par ailleurs, 10 milliards de doses de vaccins seront produites d’ici fin 2021,4 suffisamment pour avoir vacciné la majeure partie de la population mondiale dès le début de 2022, ce qui limitera les risques de nouveaux confinements. Les voitures d’occasion, les hôtels et les transports aériens ont dopé l’inflation. Cependant, l’inflation sous-jacente n’est, pour l’heure, pas problématique : l’indice des dépenses de consommation personnelle aux Etats-Unis affiche une hausse de seulement 1,8% en rythme annuel, l’indicateur des points morts d’inflation des bons du Trésor à 10 ans se situe à 2,3%, tandis que l’indicateur de suivi des salaires de la Réserve fédérale d’Atlanta s’inscrit en baisse, ce qui signifie que les hausses de prix ne se traduisent pas par des hausses de salaire.5
Par ailleurs, des banques centrales de moins grande envergure en Norvège, au Canada et au Royaume-Uni réduisent déjà leurs achats d’obligations6 et évoquent une hausse des taux d’intérêt. La Fed est la plus accommodante de toutes les banques centrales puisqu’elle attend que le marché du travail se rapproche du plein emploi avant de relever ses taux.
Un durcissement des politiques monétaires à l’échelle mondiale n’est toutefois pas synonyme de conjoncture économique difficile, étant donné que les politiques budgétaires restent favorables. Le Fonds monétaire international prévoit que les économies avancées afficheront des déficits budgétaires corrigés des variations cycliques de 2,6% entre l’année prochaine et 2026, contre 1,1% entre 2014 et le déclenchement de la pandémie.7
« L’augmentation des dépenses de consommation et l’écart croissant entre les bénéfices solides et la stagnation des ratios liés aux cours impliquent un meilleur potentiel de hausse pour les actions »
Le retour du thème de la reflation
Quelles sont donc les conséquences pour les marchés financiers d’un renforcement de la croissance mondiale pendant le reste de l’année 2021 ? L’augmentation des dépenses de consommation et l’écart croissant entre les bénéfices solides et la stagnation des ratios liés aux cours impliquent un meilleur potentiel de hausse pour les actions, en particulier dans les secteurs cycliques. Depuis le début de l’année, les bénéfices ont fait l’objet de révisions à la hausse de 11% dans les principales régions, soit la plus forte variation jamais enregistrée.8
Les résultats record ont été accompagnés de dégradations des ratios cours/ bénéfices, malgré des marchés actions solides. Les prévisions de bénéfices des valeurs cycliques ont augmenté tandis que celles des valeurs défensives ont reculé. Cette situation a ouvert une fenêtre pour l’achat d’actions cycliques.
Les actions européennes pourraient surperformer, notamment parce qu’elles ont tendance à le faire lorsque les rendements obligataires grimpent,
sur un marché marqué par une duration en baisse et un nombre plus faible d’actions de croissance. La croissance des bénéfices des entreprises en Europe pourrait dépasser notre prévision actuelle, à 35%, et retrouver son niveau d’avant le Covid d’ici la fin 2021. Cela constituerait une reprise très rapide par rapport aux précédentes récessions. Après la crise financière mondiale, il a fallu 11 ans aux bénéfices en Europe pour remonter à leur niveau de 2007. Lorsque la pandémie
a éclaté, les résultats des entreprises européennes n’avaient grimpé que de 2% par rapport à l’année 2007.9 Cependant, Goldman Sachs table, par exemple, sur des bénéfices en croissance annuelle de 4% en Europe à partir de 2023, ce qui est nettement mieux que les 0,1% annuels entre 2007 et 2019.
Tout cela laisse entendre que les craintes de cet été à l’égard de la croissance ont été exagérées, tout comme leurs effets sur les marchés. Notre observation du marché nous fait dire que les taux d’épargne restent élevés, les bilans sont solides, les marchés du logement également et le marché de l’emploi s’améliore. En outre, les bénéfices des entreprises rebondissent, tout comme les dépenses d’investissement. Les plans de dépenses d’infrastructures sont un gros point positif. Pourquoi les économies devraient-elles ralentir ? Nous tablons sur une croissance qui restera forte au cours des 12 prochains mois, alors que les politiques monétaires et budgétaires reviendront doucement à la normale. Les actions devraient continuer de surperformer les obligations, même si elles ne sont pas spécialement bon marché.
- https://markets.businessinsider.com/news/stocks/us-excess- savings-coronavirus-pandemic-power-economy-recovery- moodys-2021-4
- https://www.fitchratings.com/research/sovereigns/us-stimulus- will-boost-growth-at-cost-of-higher-deficits-debt-09-03-2021
- https://www.consilium.europa.eu/en/policies/eu-recovery- plan/
- Duke University, « Reducing Global COVID Vaccine Shortages », avril 2021.
- Bloomberg, juillet 2021.
- https://www.ft.com/content/6cd56028-b577-4ba9-9e4c- 05ec62bbdc25
- https://www.cbo.gov/publication/56073
- Bloomberg, juillet 2021.
- Bloomberg, mars 2020.
Par Paul Doyle, Head of Europe ex-UK Equities