Une longue crise. Un monde qui vieillit.
Il y a deux manières extrêmes de se pencher sur la crise. Une première attitude, précipitée et fébrile, conduit à prêcher la fin du capitalisme et à invoquer le retour aux étatismes d’antan. A un azimut opposé, une autre posture, qualifiée de schumpetérienne, relativise cette crise comme un cycle conjoncturel. Pourtant, entre l’hyper-émotivité et la contemplation, il a la voie de la lucidité. De même qu’entre la prédication désespérée et la contemption de la décadence, il faut choisir l’action.
Et c’est alors qu’il faut s’interroger sur le positionnement de notre économie. Que croyait-on ? Que la Belgique allait pouvoir être indéfiniment le passager clandestin d’une croissance économique stimulée par ses partenaires économiques ? Que nos systèmes fiscaux et parafiscaux, fondés sur un effet d’optique et une conjoncture d’aubaine d’après-guerre, allaient nous permettre de traverser sans encombre les aléas des cycles économiques ?
Nous traînons, depuis les années septante, une lourde dette publique qui paralyse l’action politique. Nul ne sait exactement comment nous allons nous en débarrasser car l’effet « boule de neige » est probablement amorcé. En 2050, il y aura deux travailleurs potentiels pour un retraité, contre quatre aujourd’hui. Les dépenses seront donc intenables car les forces démographiques ouvreront contre le dynamisme entrepreneurial du pays.
Nous avons maintenant compris que nous étions devenus un petit pays. D’ailleurs, la mondialisation, c’est l’économie de marché généralisés. Cette crise est donc un avertissement qu’il faut décoder. Le marché a annoncé l’immersion dans un univers plus volatil. C’est une pénétration brutale dans l’instantanéité de l’économie de marché.
Pour le Royaume, les années 2008-15 ont sonné le tocsin d’une nouvelle guerre économique. Et où sera le peloton belge dans ce plan de bataille ? Pourra-t-il déserter la conscription ? Sera-t-il un guetteur résigné et désespéré ou un stratège inspiré ? La Belgique pourra-t-elle éviter l’obstacle des réformes structurelles qui assureront la croissance de demain ? La réponse est négative.
Certains imaginent que le statu quo économique est souhaitable et justifié par les réflexes des années septante. Comme s’il existait un état stationnaire qui constitue le point d’équilibre de l’économie, qui rendrait l’avenir prévisible, et rassurerait la plupart des agents économiques européens. Cette vision du monde est utopique. La Belgique devra inéluctablement ajuster le curseur de ses systèmes de redistribution au regard de son degré de compétitivité mondiale. L’ouverture des marchés est inéluctable, mais sera source d’ajustements et de frictions.
Et s’il y a une démarche à envisager, c’est de procéder à l‘analyse des forces et faiblesses stratégiques du pays, comme on le ferait pour une entreprise commerciale. Il ne s’agit de rien d’autre que d’une analyse SWOT (Strengths-Weaknesses-Opportunities-Threats). Cela conduira immanquablement à l’idée de transformer notre Royaume en une zone d’attrait, voire franche (c’est-à-dire très peu fiscalisée), pour les investissements étrangers. Il s’agit donc de faire le pari de l’élasticité fiscale, c’es-à-dire de l’accroissement des recettes fiscales par une baisse de taux comme cela a été constaté pour les intérêts notionnels. Il faut aussi investir massivement dans l’éducation et dans la formation professionnelle.
Car, finalement, la question sera de savoir si nous serons à la hauteur de nos chances. Nous devons, repenser notre modèle économique dans la dépendance des capitaux et des centres de décisions étrangers. Cela exigera un projet. Car une autre chose donne des vertiges à la Belgique, un peu comme si l’état d’apesanteur dans lequel elle flottait s’était dissipé : l’intuition d’un cycle révolu. Pour le Royaume, la crise scelle la fin de l’économie du 20e siècle, qui avait survécu pendant 15 ans. Après des générations d’attentisme prudent vient le temps de l’action décisive. Cette crise, c’est l’adieu à un monde usé et vieilli.
Bruno Colmant