Thomas Planell
Quelle sera celle de 2022? En 2021, nous avons appris à vivre avec moins. Automobiles, semi-conducteurs, électro-ménager… un an après l’épidémie, le niveau de disponibilité des produits finis est équivalent à celui des crises de 2000 ou 2008. Nous avons aussi appris à vivre avec des prix plus élevés : le gaz naturel, un moyen généralement bon marché de chauffer ses pénates progressait de 250% au pic de l’année ! La multiplication par deux de la facture énergétique des ménages fait grincer des dents. En France les chèques énergie sont émis à l’ordre des foyers les plus modestes.
A la fin du mois de décembre, la confiance du consommateur américain chute de 13% par rapport à janvier. Son pessimisme est au niveau de la grande crise financière. Petit à petit l’argument de l’excès d’épargne pandémique commence à se heurter à la dure réalité de la hausse des prix qui n’est suivie que très parcimonieusement par celle des salaires !
Mais du côté des investisseurs américains et européens, les tourments sont rapidement balayés. Imminence de la hausse des taux (3 par la FED en 2022), embrasement inflationniste, risques de conflits (Taïwan, Ukraine), éclatement des premières bulles financières (les crypto-monnaies sous-performent les marchés actions, les indices SPAC et les indices ETF ESG perdent 40%) : rien ne bride l’optimisme.
Le Nasdaq 100, le S&P500 et le CAC40 progressent de près de 30%, l’Eurostoxx50 de 21%. La fortune de Bill Gates s’est accrue de 25 milliards de dollars, Apple en vaut 3000. Mais, plus la fin d’année approche, et plus l’on constate sous le vernis de l’enrichissement financier apparemment général que les premiers défauts dans l’esquisse prennent forme…
A l’image des jeux olympiques à huis clos de Tokyo, 2021 devient un millésime riche en contradictions, en subtilités et en nuances et 2022 pourrait aussi emprunter au style pictural du clair-obscur…Tout comme les écarts de richesse et les inégalités sociales, les différentiels de valorisation ou de performances entre les styles de valeurs, secteurs et géographies se sont creusés.
En Europe, la bonne performance des valeurs des secteurs automobile, bancaire ou pétrolier est à peine en ligne avec la croissance des bénéfices : en résulte un discret de-rating par rapport au reste du marché, tiré par les valeurs d’Europe du Nord qui jouent au grand écart avec le Royaume-Uni.
Au contraire, aux EtatsUnis, les mastodontes de la tech américaine qui concentrent à eux seul un quart de la valeur du Nasdaq ont vu leurs ratios de valorisation progresser (non sans fondement car leurs performances commerciales et opérationnelles sont écrasantes). Mais à eux seuls ces géants déséquilibrent le marché : ils expliquent la majeure partie de la performance de l’indice technologique, tandis que les pépites de la Silicon Valley prometteuses mais moins rentables subissaient un revers flagrant au dernier trimestre. Autre exemple criant, cette année, il était quasiment impossible pour un gérant américain de battre le S&P500 sans détenir Tesla…
En Asie et dans les pays émergents qui n’ont malheureusement pas le luxe de pouvoir s’adonner au débat vaccinal qui ronge la France, les indices toujours en convalescence sous performent les places financières du G7 de plus de 20%…
Après ce millésime exceptionnel, il est logique de questionner la pérennité de l’un des plus formidables rallyes boursiers de l’histoire (+120% pour le S&P500 dividendes réinvestis entre le point bas de 2020 et la clôture de 2021). D’autant qu’à l’horizon semblent se former quelques orages menaçants.
Après le soleil de 2021 le temps des turbulences pour reprendre la formule de Greenspan pourrait faire son retour. Car pour toute une génération d’investisseurs, l’heure est venue en 2022 d’apprendre à vivre dans un nouveau monde, un monde où la marée des liquidités déversées se retranche vers l’horizon et le retour de la divergence monétaire entre les grandes zones économiques met en péril la retraite du marcheur vers le sable sec…
En tant qu’investisseur, il faudra, face à ces risques, un dividende exceptionnel. Celui d’une croissance solide, qui a terriblement besoin du rebond de l’investissement des entreprises, notamment en Europe. Les indicateurs PMI et tout indice de croissance des CAPEX, devront convaincre que face à l’inflation, à la sortie des politiques expansionnistes et aux déceptions des plans de relance (« Build back better » de Biden retoqué par exemple …), les entreprises mobilisent leur excès de liquidités historique. Au travers de leurs carnets d’ordres solide, les groupes qui recueillent les fruits de ces investissements en machines industrielles, dans le digital ou dans les solutions vertes (Schneider, Accenture, Cap Gemini, Microsoft, Alphabet, Nvidia, …) semblent montrer que les décideurs s’engagent à mobiliser leur trésor de guerre pour innover, améliorer leur productivité, opérer la transition.
Aux Etats-Unis, les CAPEX du S&P500 reviennent à des niveaux records. La mauvaise inflation (celle qui se concentre sur les prix de l’énergie) semble s’estomper. La chaine logistique retrouve peu à peu, de la fluidité. Le marché de l’emploi reste fort et pour la première fois depuis bien longtemps, en faveur des travailleurs. La remontée des taux, par une repentification de la courbe, n’est pas un vent contraire pour les actions, lorsqu’elle traduit la confiance dans la croissance économique restaurée à la vue d’un variant omicron moins terrible qu’attendu. Chères dans l’absolu, les actions offrent un rendement bénéficiaire historiquement élevé par rapport à celui du crédit ou des obligations souveraines car les résultats ont progressé plus que prévu en 2021, et rien n’indique qu’une bonne surprise n’est pas possible en 2022.
Alors, cette année, une autre leçon peut être enseignée : nous pouvons rester optimistes malgré ce mur monétaire : cette hausse des taux n’est-elle d’ailleurs pas censée entériner notre sortie définitive de crise?
Thomas Planell, Gérant-analyste chez DNCA